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LIBÈRE. LA « CHUTE » OU LA < CAPITULATION


Arcadius.donc en 383-384, par deux prêtres lucifériens, Fa us tin et Marcellin. En réalité, la pièce n. 1 est totalement indépendante du Libcllus precum, et a pu être rédigée une quinzaine d’années auparavant, peu après la double élection de Damase et d’Ursinus. L’auteur est un Romain, contemporain, partisan de Libère et de sa mémoire, membre de la coterie d’Ursinus où figuraient tous les clercs restés fidèles à Libère et opposés à Félix. C’est à lui que nous avons emprunté le récit du retour de Libère et de la lutte avec Félix. Or, dans la narration de la venue de Constance à Rome, laquelle est parallèle dans ses grands traits à celle qui est conservée dans Théodoret, l’auteur met dans la bouche de l’empereur les paroles suivantes : « Vous l’aurez votre Libère, et il vous reviendra meilleur qu’il 21’est parti : Habe(bptis Liberium qui qualis a vobis profectus est melior reuerletur. » Et l’auteur d’expliquer le sens de l’ironie impériale : « Il voulait parler du’consentement par lequel il avait prêté les mains à la perfidie. Hoc autem de consensu ejus quo manus perfidies dederat. » Perftdia, que nous retrouverons ailleurs, est, dans la langue du temps, le contraire de fldes et presque le synonyme d’hérésie ; c’est aussi, en un sens plus concret, un symbole de foi condamnable, par opposition au sijmbolum fidei. De quelque manière qu’on l’entende, l’auteur de la pièce dit nettement que Libère n’est pas resté absolument fidèle à la noble attitude qu’il a d’abord louée chez lui. Tci non plus aucune raison de supposer une interpolation ; le ton fort sympathique dont il est parlé de Libère exclut toute pensée d’une rancune qui, par une calomnie ou même une exagération, chercherait à se satisfaire. La pièce en question nous offre par ailleurs une donnée chronologique qu’il est important de retenir. Constance est venu à Rome en avril 357 ; si notre récit est exact, la phrase de l’empereur semble indiquer qu’à cette date déjà le pape exilé « avait prêté les mains aux entreprises des perfides ».

3. Saint Jérôme.

a) — Presque contemporain du précédent est le témoignage fourni par la Chronique de saint Jérôme qui fut publiée en 380. Nous lui avons déjà fait un emprunt. Mais il est bon de considérer le texte dans son ensemble. A l’année d’Abraham 2365, 13e année de Constance, l’auteur de la Chronique bloque, suivant son habitude, un certain nombre de faits appartenant à d’autres années, parce qu’ils ont un lien intime entre eux. Romanse Ecclesiæ tricesimus quartus ordinatur episcopus Liberius. Quo in exsilium ob fldem truso, omnes elerici juraverunt quod nullum ulium susciperent. Verum cum Félix ab arianis fuissel in sacerdotium substitutus, plurimi pejeraverunt et post unnum cum Felice ejecti sunt, quia Liberius tsedio viclus exsilii et in hæreticam prauilatem subscribens, Romam quasi Victor intraverat. P. L., t. xxvii, col. 501, 502. Pour ce qui est de l’ordre des événements le texte, à coup sûr, n’est pas clair ; il est très précis au contraire sur les motifs qui ont amené le retour de Libère à Rome : vaincu par l’ennui de l’exil, il souscrivit à la méchanceté des hérétiques. L’hærctica pravitas est à rapprocher de la perftdia du document précédent ; c’est en gros le même sens. Pour apprécier la valeur de ce témoignage, il convient de ne pas oublier que Jérôme était à Rome en 358, et qu’il fut sans doute témoin oculaire de la rentrée triomphante du pape Libère. — La tradition manuscrite de la Chronique est trop difficile à établir pour que l’on puisse exclure a priori tout soupçon d’interpolation. Mais l’on n’a pas non plus apporté de raison positive et indépendante de l’esprit de système en faveur de ce traitement drastique appliqué au texte. Jusqu’à plus ample informé, il convient donc de considérer comme recevable le témoignage de la Chronique.

b) — Ce témoignage est d’ailleurs appuyé par un

autre du même auteur, et tout aussi clair. Le De viris iltuslribus, composé en 392, contient sous le n. 37 une notice de Fortunatien, évêque d’Aquilée, l’ami du pauvre pape ; Jérôme lui administre un blâme sévère parce qu’il fut la cause de la capitulation de Libère : in hoc habetur detestabilis quod Liberium, Romanse urbis episcopum pro ftde ad exsilium pergentem primus sollicitavil et I régit et ad subscriptionem hmreseos compulit. Quoi qu’il en soit de l’exactitude de l’accusation portée contre Fortunatien, une chose reste claire. Jérôme affirme en 392, comme il l’avait l’ait en 380, que Libère est allé jusqu’à souscrire une doctrine hérétique. Sans doute on a prétendu que l’auteur du De viris a emprunté cette donnée relative au rôle de Fortunatien, aux lettres de Libère dont on veut démontrer le caractère apocryphe ; on l’a prétendu, on ne l’a pas démontré. Il est tort difficile de démêler dans les lettres en question les agissements exacts de Fortunatien. Ici, au contraire, Jérôme exprime sur l’évêque d’Aquilée un jugement tout personnel, qui pourrait très bien refléter des récits entendus à Aquilée même lors du séjour qu’il y fit vers 374.

Les divers témoignages que nous venons de recenser sont indépendants, semble-t-il, les uns des autres : ils s’accordent sur une accusation très positive. D’après eux, le pape Libère, avant de rentrer à Rome, s’est laissé aller à une défaillance coupable ; il a rompu avec son attitude précédente de fidélité à Athanase et à la cause du nicénisme intégral ; il a souscrit quelque chose de répréhensible au point de vue de la foi (perftdia, hæretica pravitas). Cette démarche, au témoignage d’Athanase, s’est produite après deux ans d’exil environ ; elle était déjà connue de l’empereur Constance en avril 357, dit la Collectio Avellana. Elle est attribuable aux ennuis de l’exil, que Libère n’eut pas le courage de supporter jusqu’au bout ; Athanase parle même de menaces plus graves qui auraient été faites au vieux pape.

4. Saint Hilaire.

A la lumière de tout ceci s’explique un dernier texte qui se situe chronologiquement à côté du deuxième témoignage de saint Athanase. Il s’agit d’une véhémente apostrophe adressée par saint Hilaire en 360 à l’empereur Constance (elle ne fut d’ailleurs publiée qu’après la mort de celui-ci). Parmi les nombreux griefs qu’il fait au prince arianisant, l’évêque de Poitiers lui reproche tout spécialement d’avoir étendu sa rage jusqu’au siège romain, d’en avoir chassé l’évêque et d’avoir commis une plus grande impiété encore en l’y renvoyant : Vertisti usque ad Romam bellum tuum, eripuisli illinc episcopum et, o miserum, qui nescio ulrum majore impietale relegaveris quam remiser is. Cont. Const., 11, P. L., t. x, col. 589. Isolé, ce texte signifierait peu de chose : mais, s’il est vrai que le pape n’ait dû son retour à Rome qu’à une défaillance coupable, on comprend très bien en quoi l’impiété de Constance a été plus grande en renvoyant Libère dans sa ville épiscopale qu’en l’en expulsant. Et l’on comprend encore comment au c. 2 du même ouvrage, ibid., col. 578. Hilaire ne cite parmi les victimes de la fureur impériale que Paulin de Trêves, Eusèbe de Verceil, Lucifer de Cagliari et Denys de Milan, ce qui serait d’une souveraine injustice à l’égard de Libère, si ce dernier avait persévéré jusqu’au bout dans sa courageuse attitude du début et si c’était en tout bien, tout honneur qu’il était rentré à Rome.

Saint Hilaire est ainsi, à sa manière, un témoin à charge contre Libère : et que faudrait-il dire si on lui rapportait d’une manière certaine les textes narratifs des fragments historiques qui circulent sous son nom’.' Or, nous le dirons plus loin. col. 646. cette attribution doit être considérée comme de la plus haute vraisemblance. Il reste donc que le témoignage de l’évêque de