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LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRANCE

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de se passer à Louvain en 1653 et 1654 où des coups extrêmement violents avaient été portés à la morale relâchée. Voir plus loin.

1. Les Provinciales.

Nous n’entreprendrons ici ni d’analyser, ni de critiquer les Provinciales. Pour nous en tenir à celles qui se rapportent à la querelle du laxisme (ive à xvr), il suffira de faire remarquer qu’elles ont délibérément accentué la confusion qui depuis 1643 pesait sur tout le débat. Alors crue la question janséniste commence à prendre son caractère aigu, qu’elle tend à se circonscrire autour d’un point de doctrine capital pour le christianisme, Pascal tente une diversion, qui réussira pendant quelque temps à désorienter les débats. La question se posait de la volonté salvifique universelle, de la valeur de la rédemption, de la sauvegarde du libre arbitre, et Pascal répond : morale relâchée. Voilà le vice capital <les Provinciales. Mais, cette remarque faite, et elle est essentielle, il faut se mettre tout aussitôt en garde contre la tentation de révoquer en doute les abus des casuistes dénoncés par le terrible polémiste. Qu’il existât au milieu du xviie siècle une « question de la morale relâchée », tout ce que nous avons déjà vu nous le montre. Que le danger ait été aussi grand que Pascal, pour les besoins de la cause, veut nous le faire croire, c’est une autre affaire ; et pourtant l’on trouvera plus loin des lettres épiscopales qui témoignent des alarmes très réelles de certains prélats ; et dont la véhémence fait songer à telle page des Provinciales.

L’essentiel ici est de signaler les diverses solutions relâchées critiquées par Pascal : il ne sera pas difficile de voir qu’on les retrouve soit dans les actes ecclésiastiques dont nous avons déjà parlé, soit dans les censures officielles de l’Église que nous aurons ultérieurement à examiner. La ive Provinciale examine sous toutes ses faces ce principe qu’ « une action ne peut être imputée à péché si Dieu ne nous donne avant que de la commettre la connaissance du mal qui y est et une inspiration qui nous incite à l’éviter. » La ve, après avoir sommairement critiqué les solutions qui adoucissent la loi du jeûne, s’en prend à l’un des principes de la probabilité : « Quand un pénitent suit une opinion probable, le confesseur le doit absoudre, quoique son opinion soit contraire à celle du pénitent. » De même cette autre maxime des casuistes est combattue dans la vie à savoir : « qu’une opinion étant avancéepar quelque casuiste et l’Église ne s’y étant pas opposée, c’est un témoignage qu’elle l’approuve ; » en même temps Pascal s’attaque à diverses solutions relatives à la simonie, aux honoraires de messe, à la compensation occulte, à l’assistance fournie par leurs serviteurs aux jeunes débauchés. La viie a pour point de départ les enseignements reprochés au P. Airault au sujet du duel et de l’homicide ; la viii c s’en prend aux théories avancées par le P. Bauny pour disculper, jusqu’à un certain point, l’usure et une de ses variétés, le contrat Mohatra, pour dispenser, en certains cas, de la restitution. Les ixe et xe, qui ont pour source presque exclusive la Théologie morale, attaquent les facilités que certains casuistes ont prétendu introduire soit dans l’observance des préceptes ecclésiastiques, soit dans la pratique de la confession. Cette fois Pascal a terminé le tour à peu près complet des opinions antérieurement inventoriées ; il lui faut exploiter une autre veine. Ses adversaires l’ont accusé d’avoir falsifié les textes ; il veut prouver, sans toujours y réussir parfaitement, que le sens des solutions qu’il attaque est bien, dans les grandes lignes, celui que proposaient les auteurs visés par lui. Les doctrines relatives à l’homicide et à la calomnie sont ainsi soumises à un nouvel examen. Peu d’idées nouvelles, en d’autres termes dans les Provinciales xii à xvi, où d’ailleurs le ton persifleur et badin du début fait place à la véhémence la plus passionnée.

2. L’aclion des curés de Paris.

Le succès des Provinciales fut plus considérable encore que ne le disent les manuels d’histoire de la littérature. Non seulement les Petites lettres jetèrent dans le grand public un débat sur les questions morales qui jusque-là s’était déroulé au sein des corporations ecclésiastiques, mais elles forcèrent les gens d’Église eux-mêmes à regarder de plus près les théologiens moralistes que la verve de Pascal signalait à l’attention de tous. C’est surtout le clergé paroissial qui découvrit, à cette lecture, le danger, vrai ou fictif, dont étaient menacées les bonnes mœurs. De tout temps le clergé séculier s’est tenu plus ou moins en défiance des ordres religieux ; jamais plus qu’en ce milieu du xviie siècle il ne fut excité contre les empiétements, réels ou prétendus, des réguliers de toute robe sur sa juridiction. On comprend sans peine que les curés de Paris et de plusieurs grandes villes aient fait bloc, pour combattre une influence, qu’ils estimaient dommageable tant à leur ministère qu’aux intérêts sacrés dont ils avaient la charge. Les révélations faites par les Provinciales leur procuraient contre les réguliers en général, contre les jésuites en particulier une arme qu’ils jugèrent excellente ; ils n’hésitèrent pas à s’en servir. Défendre leurs droits, et défendre en même temps la morale chrétienne c’était, plus qu’il n’en fallait pour les décider à marcher.

La IVe Provinciale qui transportait le débat entre Port-Royal et ses adversaires sur le terrain de la théologie morale, est du 25 février 1656. Le 12 mai les curés de Paris, qui tenaient régulièrement une assemblée tous les mois, s’inquiétaient de la question soulevée par Louis de Montalte, et leur syndic, Rousse, curé de Saint-Roch, proposait à la compagnie de demander « ou la condamnation des lettres au provincial si elles étaient calomnieuses, ou la condamnation desmaximes des casuistes si les lettres étaient véridiqueS. » Mais comme il n’y avait point en ce temps-là de vicaires généraux dans le diocèse (on était au plus fort des démêlés entre l’administration du cardinal de Retz et le gouvernement), le dessein des curés ne put avoir alors son effet, de sorte qu’ils furent par nécessité obligés de le différer. Voir septième factum des curés de Paris, ou Journal de tout ce qui s’est passé tant à Paris que dans les provinces sur le sujet de la morale, dans Œuvres de Pascal, édit. Garnier, Paris, 1886, t. ii, p. 410.

Presque au même moment, Du Four, abbé d’Aulney, curé de Saint-Maclou. à Rouen, dénonçait en plein synode diocésain les excès de la morale relâchée. Il s’ensuivit entre cet ecclésiastique et le P. Brisacier, S. J., une violente polémique, dans laquelle les curés du diocèse se crurent obligés de soutenir leur collègue, en adressant une requête à leur archevêque. Cette requête témoigne que les curés ont pris soin de se renseigner sur les citations jetées par les Provinciales dans le débat, et elle se termine par un mémoire rempli de propositions tirées d’Escobar, Bauny, Diana, etc. Par une ordonnance rendue le 28 août 1656, l’archevêque transmit la requête au promoteur de l’officialité pour donner à l’affaire la suite qui convenait. Pendant ce temps les curés de Rouen écrivaient aux curés de Paris, et leur demandaient de se joindre à eux pour dénoncer à l’Assemblée du clergé la morale relâchée. Les curés de Paris entrèrent aussitôt dans ces vues ; ils nommèrent une commission pour étudier dans les sources la morale des nouveaux casuistes. Le travail de cette commission parut en septembre sous le titre : Extrait de quelques-unes des plus dangereuses propositions de la morale des nouveaux casuistes. En même temps les curés essayaient de grouper avec eux le plus grand nombre de leurs confrères de province « afin qu’avec la permission de Nosseigneurs leurs prélats, ils s’unissent à eux et intervinssent dans la défense de cette cause. Sur quoi les curés de Paris reçurent en