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LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRANCE


fesseur dans les déductions de la raison raisonnante en ce qui concerne ces délicates matières. Il n’est pas douteux par exemple que le P. Airault ait enseigné (ou du moins que ses élèves aient compris) « qu’il est permis à un homme d’honneur de tuer celui qui lui veut donner un coup de bâton ou un soufflet, pour lui faire un affront considérable, s’il ne peut l’éviter autrement. C’est le sentiment de Lopez, Gomez, Clarus et d’autres, parce que cet affront est censé lui causer un plus grand tort que la perte d’une grosse somme d’argent, donc que si vous pouvez tuer l’agresseur, pour éviter la perte de votre bien, vous pouvez tuer cet homme pour ne pas recevoir cette infamie. » Le P. Airault disait encore (ou ses élèves lui faisaient dire) : « Si vous tâchez de ruiner ma réputation par des calomnies devant un prince, un juge, ou devant d’autres personnes d’honneur, et que je ne puisse l’éviter autrement qu’en vous tuant en cachette, le puis-je faire ? — Oui, selon Bannez, q. lxiv, a. 7, dub. iv, et même encore que le crime que vous publiez soit véritable, si toutefois il est secret, en sorte que vous ne puissiez le découvrir selon les voies de la justice. Voici la raison qu’il en apporte : Si vous me voulez ravir l’honneur en me donnant un soumet ou un coup de bâton, je puis l’empêcher par la force des armes ; donc la même défense est permise, quand vous voulez me faire la même injure avec la langue, ne pouvant l’éviter autrement qu’en vous tuant… Il faudrait pourtant avertir le calomniateur, afin de l’engager à cesser ses calomnies, et s’il ne le voulait pas, il ne serait pas à propos de le tuer publiquement, à cause du scandale, mais en secret. » Et encore à propos de l’avortement : « Si une femme peut se procurer un avortement ? — Je réponds : 1. que si le fruit n’est pas animé, et qu’il y ait du danger qu’elle ne meure elle-même, elle le peut soit directement, soit indirectement… 2. Si le fruit est déjà animé et qu’elle doive mourir avec l’enfant, elle peut, avant que d’accoucher, prendre des remèdes qui nuisent indirectement à l’enfant, et qui la guérissent directement. 3. Si une honnête fille avait été corrompue malgré elle par un jeune homme adultère, avant que le fruit soit animé, elle pourrait s’en délivrer, suivant le sentiment de plusieurs ; de peur de perdre son honneur, qui lui est beaucoup plu 8 précieux que la vie même. » Les solutions relatives au duel s’efforçaient également de pallier la gravité de cet acte et d’énerver les censures ecclésiastiques qui le visent. L’auteur ajoutait cependant : « Je croirais néanmoins qu’en France, après les édits des rois contre le duel, il se trouverait à grande peine une si pressante nécessité pour qu’il parût être permis ; c’est pourquoi il faut en détourner principalement à cause du scandale. » Mais il proposait d’ailleurs, à la suite de Lessius, d’Menriqucz, Le Millard, un certain nombre d’échappatoires qui permettent d’accepter le duel, tout en évitant d’en prononcer le nom, par exemple : « Si vous m’attaquez, vous trouverez un homme plein de cœur et de courage. — J’irai demain par tel chemin, je ne le quittenii pas a muse de vous. » Voir Censures… de Paris, p. 298, 302, 305.

Une enquête très serrée fut menée sur ces enseignements par Louis de Saint -Amour, pour lors recteur de l’Université. Finalement l’on présenta requîtes au Parlement de Paris (décembre 1043, janvier et mars 1644) « par lesquelles l’Université demandait qu’il fût fait défense au P. Airault, et à tout autre jésuite, d’enseigner la théologie au Collège de Clermont . » Mais la reine-régente ne voulut pas que le Parlement de Paris fût saisi de cette affaire. On se contenta de mander pour comparaître au Conseil le provincial et les trois supérieurs des maisons de jésuites de Paris, et, après une sévère réprimande, un arrêt du Conseil d’État leur enjoignit « d’être plus cir conspects à empêcher que pareilles propositions fussent enseignées > et ordonna « que le P. Airault demeurerait en arrêt en la maison du Collège de Clermont, jusqu’à ce qu’autrement par Sa Majesté en ait été ordonné. » 3 mai 1644. Voir Censures…, p. 316-318.

4. « La théologie morale des jésuites. » — C’est au moment même où la Sorbonne s’occupait du P. Airault que paraissait à Paris un pamphlet anonyme intitulé : Théologie morale des jésuites, extraite fidèlement de leurs livres. Quoi qu’il en soit de l’auteur, (on a avancé le nom de Hallier, voir ici t. vi, col. 2038, et celui d’Arnauld, parmi les œuvres duquel l’ouvrage a été réimprimé, Œuvres, édit. de 1779, t. xxix, p. 7494), son dessein apparaissait dès la première ligne.

  • Il n’y a presque plus rien, écrivait-il, que les jésuites

ne permettent aux chrétiens, ’en réduisant toutes choses en probabilités, et enseignant qu’on peut quitter la plus probable opinion, que l’on croit vraie, pour suivre la moins probable, et soutenant ensuite qu’une opinion est probable aussitôt que deux docteurs l’enseignent, voire même un seul. » Et tout aussitôt il mettait le doigt sur cette même idée que la Sorbonne avait réprouvée dans la xie proposition du P. Cellot. « Nous devons, disent les casuistes, apprendre la règle de notre foi des anciens Pères, mais pour celle des mœurs, il la faut tirer des docteurs nouveaux. » Loc. cit., p. 74. Suivait une série de propositions aussi sèches que possible et présentées avec les références aux auteurs qui les avaient enseignées ; elles sont groupées sous les titres suivants : 1. contre la morale chrétienne en général ; 2. contre les commandements de Dieu, et premièrement contre les deux commandements généraux de l’amour de Dieu et du prochain ; 3. contre le décalogue ; 4. doctrine touchant le sacrement du baptême, de la confirmation, de l’eucharistie, de la pénitence, de l’ordre, de l’extrême-onction, du mariage ; 5. contre l’Église et la hiérarchie. — Les citations se rapportent particulièrement à Bauny, mais aussi à Sanchez, Cellot, Valentia, Antoine Sirmond, Garasse, Vasquez, Laymann, Mendosa, Sa, et même, à plusieurs reprises, à Suarez et Lessius. Après cet inventaire, que la haine a rendu très complet, il restera bien peu de choses à glaner dans les moralistes antérieurs à 1643. Mais la sérénité est ce qui manque le plus à cette attaque passionnée. Visiblement le débat se détourne de la manière où il avait été primitivement engagé. Il y avait encore quelque tenue dans les Véritez académiques que venait, au même temps, défaire paraître Godefroy Hermant. Voir t. vi, col. 2263. La Théologie morale est déjà l’œuvre d’un sectaire. Déféré par les jésuites au Parlement de Bordeaux, le livre y fut condamné le 2 septembre 1614, « parce que rempli de calomnies, de mensonges et d’injures. » Duplessis d’A., t. m b, p. 248. Nous sommes arrivés d’ailleurs au moment où commence la polémique janséniste. L’archevêque de Paris, François de Gondy, vient de promulguer, le Il décembre 1643, la bulle In eminenti de Clément VIII rendue contre VAugustinus deux ans auparavant. C’est à l’apparition de la Théologie morale qu’il faut faire remonter l’identiflcatlon simpliste qui va peser désormais sur toute la controverse, et qui assimile jésuites et défenseurs de la morale relâchée, jansénistes et partisans de la morale sévère. Rien ne sera plus funeste au sort d’une discussion où il aurait été. semhle-t-il, si facile de s’entendre.

2° Les l’unviKCIALRS et la littérature polémique qu’elles suscitent. — On voit, d’après tout ce qui précède, que la campagne entreprise par Pascal du 25 février 1656 (apparition de la / Ve Provinciale) au 24 mars 1657 (XVIII* Provint.), n’avait pas le mérite de l’originalité. Pour la situer exactement, il convient encore de ne pas perdre de vue ce qui venait