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LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRAM I


les effets de condamnations portées contre eux à Rome. Il n’y a donc rien d’extraordinaire dans le fait que les ouvrages du P. Bauny furent déférés à la Faculté de théologie de Paris, le 5 novembre 1640. Il s’agissait de la Somme des péchés, déjà nommée, de la Pratique des bénéfices, enfin d’un écrit latin, De sacramends ac personis sacris, qui d’ailleurs allait être mis à l’Index par Rome, le 17 décembre de cette même année 1640. L’examen des livres dénoncés dura longtemps ; dans l’intervalle le P. Bauny fut interrogé par l’un des délégués de la Sorbonne sur les principaux articles contenus dans son livre. « Il avoua ingénument qu’il n’écrirait pas maintenant ce qu’il avait avancé sur la matière de l’usure ; que pour les autres articles il s’en tenait à ce qu’il avait écrit, étant fondé en raison. » Le 1 er juillet 1641, la Faculté entendit lecture des propositions extraites de la Somme des péchés, avec les notes et censures appliquées par les commissaires délégués à l’examen. Les passages visés par les examinateurs se rapportent : à la haine du prochain, au pardon des injures, à certaines fautes contre la chasteté (distinction entre le stupre et la fornication), à la restitution, à la réparation des dommages causés par l’intermédiaire d’un tiers, à l’usure, aux diverses sortes d’excommunication, à l’absolution des cas réservés. Sur tous ces points les censeurs opposaient aux conclusions, trop lâches à leur gré, du casuiste les enseignements rigides de la sainte Écriture et des Pères. L’énumération que nous venons de faire n’est pas sans importance ; tous les points signalés ici seront repris par Pascal dans les Provinciales.

Mais, durant l’examen des ouvrages du P. Bauny, des interventions puissantes s’étaient exercées en haut lieu. Le chancelier de France, au nom de Richelieu, avait donné ordre à la Faculté d’ajourner sine die la publication de la censure. Une requête fut adressée au cardinal par la Faculté. On y représentait la nécessité de sévir contre les méchants livres, et spécialement contre celui du P. Bauny « dont les erreurs et les maximes corrompues, avec les falsifications qu’il fait des auteurs qu’il cite, » seraient fidèlement rapportées. Malgré cette démarche, le tout-puissant ministre ne laissa pas publier la censure, et en 1643, l’auteur de la Théologie morale des jésuites (voir col. 46) osera soutenir que la Faculté avait approuvé le livre du P. Bauny. Dans sa séance du 1 er avril 1644, le syndic de la Faculté s’éleva vivement contre cette assertion et rappela que la Compagnie « aurait fait publier cette censure si elle n’eût reçu commandement de Mgr le chancelier d’en différer la publication jusqu’au retour du cardinal de Richelieu. » Texte latin dans Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum, Paris, 1736, t. m a, p. 28-35 ; texte français dans Censures de la doctrine et de la morale des jésuites faites par la Faculté de théologie de Paris, Paris, 1762, p. 224-245.

L’Assemblée du clergé de France, réunie à Nantes en 1641, avait pris soin de marquer, elle aussi, sa réprobation contre les livres incriminés. Dans sa séance du 12 avril, lecture faite du décret de YIndice qui condamnait trois livres du P. Bauny, elle déclarait que les dits livres étaient sujets à censure, « qu’ils portaient les âmes au libertinage, à la corruption des bonnes mœurs, violaient l’équité naturelle et le droit des gens, excusaient les blasphèmes, usures, simonies et plusieurs autres péchés des plus énormes comme légers et jetaient des semences de division entre les prélats de l’Église, desquels ils tâchent d’anéantir toute l’autorité et les magistrats desquels il emploie toutes les entreprises de juridiction comme lois du royaume. » L’Assemblée décidait donc que l’on adresserait une lettre au pape pour le remercier de la censure des livres du P. Bauny et le supplier de condamner aussi ceux du P. Cellot (De hierarchia et

hierarchis, voir t. ii, col. 2089). « Et pour ce que ces nouveautés et particulièrement celles des cas de conscience, se divulguant en langue vulgaire, sont lues de toutes sortes de personnes et font commettre beaucoup plus de péchés qu’elles n’en corrigent, Sa Sainteté sera suppliée d’interposer son autorité à ce que personne n’écrive des cas de conscience en langue vulgaire. Et afin que, parmi tant de diverses opinions, qu’un chacun à l’envi tâche de publier et introduire en cette matière, les fidèles sachent quelles sont les vraies pour les suivre, messeigneurs les commissaires sont aussi priés d’écrire une lettre à la Faculté de théologie de Paris, de la part de l’Assemblée pour l’inviter à faire concerter les conclusions certaines de la théologie morale (suit la désignation des docteurs à ce proposés), afin que les résolutions qui seront par eux formées soient après recueillies en un corps de théologie morale et publiées en latin par quelqu’un d’entre eux avec l’approbation des prélats… Elle a aussi ordonné de dresser une lettre circulaire, contenant la présente résolution pour être envoyée à tous les prélats avec les extraits faits par la Sorbonne des endroits les plus pernicieux desdits livres et la censure de la congrégation de YIndice, laquelle sera réimprimée à cette fin ; et le tout étant dressé, sera présenté à Mgr le cardinal-duc, à ce qu’il lui plaise donner son approbation et protection. » Le texte dans Recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du clergé de France, édit. de 1771, 1. 1, col. 635-637.

2. L’affaire Cellot.

Le lhre du P. Cellot, déjà mentionné, s’il est étranger, dans son ensemble, à la présente querelle, n’avait pas laissé d’y fournir quelque aliment. Parmi les propositions extraites par la Sorbonne et censurées au mois de juin 1641, on relève celle-ci : Prop. Il : La doctrine des mœurs réglée sur les nouveaux casuistes : « De tous les auteurs qui ont récemment écrit, Valère Regnauld (c’est le Réginaldus souvent cité), qui a traité cette matière pendant plus de vingt ans, se glorifie de suivre plus souvent le sentiment des autres que sa propre opinion et surtout le sentiment des plus nouveaux, parce qu’en matière de foi, il faut prendre les réponses des anciens sur les difficultés qu’on forme, mais, pour la doctrine des mœurs, il faut s’en tenir aux nouveaux écrivains, qui se sont appliqués à connaître et la nature de notre siècle et ses différentes affections. » Duplessis d’A., ibid., p. 45 ; Censures, p. 262. On voit que dès ce moment la Sorbonne s’attaquait à l’un des aphorismes de la moderne casuistique : la préférence donnée, systématiquement, aux solutions modernes, contrairement au principe qui veut que l’on cherche dans l’antique morale les règles qui doivent encore diriger les chrétiens de nos jours.

3. L’affaire Airault.

L’année suivante, ou peut-être la même année, la Faculté de Paris, qui, surveillait de près l’enseignement du Collège de Clermont, eut vent qu’un des professeurs de cette maison le P. Airault (le nom est écrit Hayreau ou Héreau par le P. Sommervogel, Bibliothèque, t. iv, col. 178), avait dicté à ses élèves un certain nombre de thèses qu’elle jugea dangereuses ; il s’agissait de résolutions de cas relatifs à l’homicide, au tyrannicide, au duel. Le maître incriminé aurait avancé « qu’il est permis de tuer celui qui a une autorité légitime de régner lorsqu’il en abuse à la ruine du peuple ; qu’on peut tuer ceux qui veulent médire de nous ou nous ôter l’honneur ; d’accepter les duels, de procurer des avortements ; qu’il appartient à ceux qui ont le soin du bien public de déposer les princes souverains. » Libellées avec cette concision, les solutions ci-dessus ne représentent que très imparfaitement la doctrine du P. Airault ; pourtant l’examen des cahiers rédigés sous sa dictée ne laisse pas de témoigner de la gTande confiance du pro-