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    1. LAXISME##


LAXISME. LA QUERELLE DU LAXISME EN FRANCE

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Le reproche le plus mérité que l’on puisse faire à la théologie de cette époque, est autre. La casuistique ne cherche pas du tout à « mettre des coussins sous les bras des pécheurs » ; il y a même dans Escobar et les autres que cite Pascal des décisions sévères, et la morale, s’en trouverait très bien, dit saint Alphonse de Liguori, si les chrétiens pratiquaient tous les devoirs que les casuistes leur imposent. Mais ils ont le tort de se représenter la théologie morale comme un code auquel on est tenu de se soumettre extérieurement et presque par force, ils ont l’air de regarder la loi comme une ennemie, comme une gêneuse au moins, contre laquelle on se défend, de fournir des expédients pour y aider : « La Providence a voulu dans son infinie bonté, dit Escobar dans le Préambule de sa grande Théologie morale, 7 vol. in-fol., Lyon, 1652-1663, qu’il y eût plusieurs moyens de se tirer d’affaire en morale et que les voies de la vertu fussent larges. » Ils ont oublié quelquefois que la véritable morale chrétienne conforme à l’esprit de son divin fondateur ne s’accommode pas d’une étiquette, d’un prix fixe attaché pour ainsi dire aux diverses actions, ils n’ont étudié dans leur théologie que le moyen d’éviter le péché qu’ils jugent après coup, quand il est commis, au lieu d’enseigner la voie à suivre pour devenir meilleurs. Le jeûne et les autres prescriptions ne sont pas seulement l’application de textes de lois, ils sont des conseils d’ascétisme, leur accomplissement est un acte d’amour.

— Ces considérations théoriques seront éclairées par l’histoire plus détaillée de la querelle du laxisme.

A. Molien.

IL Histoire de la querelle du laxisme. — Quoi qu’il en soit des circonstances qui ont amené le développement inouï de la casuistique et de quelques-unes de ses déviations, il faut dire que des protestations véhémentes re tardèrent pas à se produire. Nous n’avons pas à juger ici les raisons de derrière la tête qui poussèrent certains corps organisés, ou divers particuliers, à dénoncer à l’indignation publique la « morale relâchée ». Il suffira d’exposer simplement la suite des faits. On verra comment le mouvement de protestation partit surtout de deux centres, Louvain et Paris, et comment l’agitation créée en ces deux milieux finit par émouvoir la cour romaine, qui, à plusieurs reprises, intervint dans le débat par quelques décisions très précises devant lesquelles tout le monde aurait dû s’incliner. Il convient d’ailleurs de remarquer dès le début que, pour avoir été fort malencontreusement liée à l’affaire du jansénisme, la querelle du laxisme, si on veut la juger avec l’impartialité nécessaire, doit en être soigneusement distinguée. Bien que les adversaires de la morale relâchée se soient recru les souvent parmi les jansénistes francs ou larvés, il serait injuste d’identifier a priori les protagonistes de la morale sévère avec les défenseurs de i’Augusttnus. A appliquer cette classification sommaire, on en arriverait à faire passer pour jansénistes non seulement Bossuet, mais les papes Alexandre VII et Innocent XI. Nous nous efforcerons d’exposer ici la querelle du laxisme sans trop empiéter sur l’histoire du jansénisme.

Plus délicate encore est la dissociation de cette querelle du laxisme et de celle du probabilisme, laquelle sera étudiée en son temps. En droit, faut-il le dire, le probabilisme n’aboutit pas forcément au relâchement de la morale. La doctrine de la probabilité, si elle favorise en certains cas la liberté de l’individu, doit, quand elle est sagement comprise, dresser des barri ires très solides devanl son Indépendance. Il est Incontestable néanmoins que [a doctrine de la probabilité, telle qu’elle l’ébauche > Ifl fin du xvie siècle, n’a pas laissé de favoriser le développement des solutions les plus hasardées de la casuistique. Les décisions les plus sca breuses, dont nous aurons à signaler la réprobation par l’Église, ont été dictées à des hommes, d’ailleurs prudents et d’une haute moralité, par une confiance trop grande dans la doctrine de la probabilité extrinsèque. On comprend que les adversaires de la « morale relâchée » aient fait retomber sur la théorie même du probabilisme la responsabilité de ces déviations. On comprend qu’ils aient englobé dans la même sentence et les solutions des casuistes et la doctrine de la probabilité. Nous verrons Bossuet et l’Assemblée du clergé de France de 1700 signaler le lien qui les unit. Rome pourtant n’a jamais voulu s’engager à fond dans cette voie. Si Innocent XI a posé les principes qui doivent déterminer l’usage des opinions probables, il s’est bien gardé de condamner la théorie du probabilisme et Alexandre VIII a finalement censuré le principe même du tutiorisme. Au cours de cet exposé historique, nous signalerons les attaques portées par les adversaires du laxisme contre la doctrine de la probabilité, mais nous faisons remarquer, une fois pour toutes, que ces accusations ne sauraient énerver ce qu’il y a de solide dans les fondements du probabilisme.

Une dernière remarque préliminaire s’impose. Il s’est trouvé que les attaques contre la morale relâchée ont tourné très vite en des attaques passionnées contre la morale enseignée par la Compagnie de Jésus, en telle sorte qu’on a, trop facilement, identifié laxisme et morale des jésuites. Il n’y a aucun intérêt à perpétuer cette confusion. Les causes qui ont amené le développement de la casuistique, avec ses avantages et ses inconvénients dans la Compagnie de Jésus, l’ont favorisé de la même manière dans les autres familles religieuses et chez les théologiens séculiers. Quand les plus hautes autorités ecclésiastiques, Sorbonne, Assemblée du clergé de France, Faculté de Louvain, Saint-Office, se sont prononcées sur certaines décisions de la casuistique relâchée, elles n’ont pas cru devoir faire porter à tout un institut une réprobation qui, en stricte justice, devait se partager entre les représentants, plus ou moins autorisés, de divers ordres religieux.

Ces remarques faites, nous allons suivre en France, en Belgique et à Rome les condamnations qui furent portées contre certaines maximes réputées dangereuses.

I. en France.

C’est en France que l’attaque contre le laxisme fut d’abord menée le plus vivement. On peut grouper les faits sou i les rubriques suivantes : Les premières escarmouches, 1640-1643 ; les Provinciales, et la littérature polémique qu’elles font écloie (1657 et années suivantes) ; l’affaire d’Amada-us Guimenius (1665) ; l’attaque générale menée par l’Assemblée du clergé de 1700.

1° Les premières escarmouches (1640-1643). — Pour apprécier le caractère exact de ces attaques, il n’est pas inutile de faire remarquer quelques dates. L’Alignatinus a paru en 1639, mais il ne commence à se répandre en France qu’en 1641 ; il serait donc vain de présenter la campagne qui se déclenche en 1640 contre la morale relâchée comme une manœuvre janséniste Elle se rattache beaucoup plutôt à la lutte, de l’Université de Paris contre les jésuites.

1. L’affaire Baunu.

On peut dire d’ailleurs que [a première attaque contre le laxisme était partie de Rome, où, le 26 septembre 1640, avait été mise à l’Index la Somme des péchés du P, Hauny, dont l< s nombreuses éditions s’étaient multipliées depuis 1630. Cf. t. ir, col. 480. Mais l’on sait que les traditions galll canes de l’époque regardaient comme non avenues les décisions des congrégations romaines ; et il n’était pis rare (Bossuet le fera remarquer plus tard) de voir les religieux les plus dévoués au Saint-Siège rveiper de cette jurisprudence gallicane pour ait inuei