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LÉVITIQUE (LIVRE DU). ORIGINE DU LIVRE


Telle est la conclusion des critiques modernes sur l’origine du Lévitique, conclusion qui, avec quelques modifications et précisions, n’est autre que celle de l’hypothèse wellhausienne et qui, dans ses grandes lignes, est à peu près unanimement acceptée en dehors du catholicisme. Ceux-là mêmes qui maintiennent l’antériorité du Code Sacerdotal sur le Deutéromone, le plaçant par conséquent avant 620, reconnaissent que la grande loi sur le culte ne s’est réellement imposée avec autorité à toute la communauté juive qu’à partir de l’époque d’Esdras (Baudissin), ou encore qu’une première rédaction du Code Sacerdotal antérieure à l’exil a été suivie d’une deuxième durant la période exilique ou même postexilique, Killel, Geschichte des Volkes Israël, Gotha, 1912, t. i, p. 332.

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer et de discuter les arguments sur lesquels prétendent s’appuyer de telles conclusions ; retenons seulement qu’un de ces principaux arguments est tiré de la législation même du Lévitique (en partie également de celle de l’Exode et des Nombres) ; celle-ci, en effet, comparée aux prescriptions des autres codes du Pentateuque, Deutéronome et Code de l’Alliance, Ex., xx-xxin, apparaît comme le dernier terme d’une lente évolution législative, dont l’histoire permet de fixer approximativement l’époque, en constatant que ses différentes ordonnances n’étaient ni observées ni connues jusqu’aux temps qui suivirent l’exil de Babylone ; que l’on envisage tour à tour les principales institutions du Lévitique, sanctuaire, sacerdoce, sacrifice, fêtes, c’est toujours cette même conclusion qui s’impose. Nous verrons plus loin, au sujet de l’origine de quelques-unes de ces institutions, ce qu’il y a de fondé dans cette conclusion.

Le Lévitique d’après la critique catholique.


A ces conclusions de la critique indépendante les catholiques, appuyés sur la tradition juive et chrétienne, opposent l’affirmation de l’origine mosaïque du Lévitique. Mais cette affirmation, on le conçoit aisément, peut recevoir et, en fait, reçoit des acceptions assez différentes ; nombreuses et variées sont les interprétations de la thèse de l’authenticité mosaïque du Lévitique. Il n’est pas sans intérêt de les connaître pour se rendre compte de la manière dont la tradition, à ce sujet, a été entendue.

Il n’y aurait d’après certains défenseurs de la thèse traditionnelle que des détails, interpolations ou modifications, provenant surtout de la négligence des copistes, qui ne sauraient prétendre à l’authenticité ; ainsi, pour ne parler que des modernes : Paulin Martin dans son ouvrage demeuré polycopié, Introduction à la critique de l’Ancien Testament ; De l’origine du Pentateuque ; Leçons professées à l’École supérieure de théologie de Paris, 1886-1887, 1887-1888, 1888-1889, 3 vol. in-4° ; Vigouroux dans son Manuel Biblique, t. i, 1e édit. de 1879 et dans Les Livres saints et la critique nationaliste, Paris, surtout au t. iii, 1e édit., commencée en 1884 ; Cornely dans YIntroductio specialis in hisloricos V. T. libros, t. n a de YHistorica et critica introductio in U. T. libros sacros, Paris, 1887 ; Méchineau, dans un article des Études, t. lxxvii, 1898, p. 289-311, La thèse de l’origine mosaïque du Pentateuque, sa place dans l’apologétique, son degré de certitude.

Mais, avant même les travaux de la critique moderne, les grands interprètes du xviie siècle, ne se croyaient pas tenus à tant de rigueur dans l’interprétation de la thèse de l’authenticité. « Au gré de Cornélius a Lapide, Moïse tenait une sorte de journal, que Josué ou un autre écrivain aurait mis en ordre, en y mêlant des idées de son cru. Pereira veut que le Pentateuque ait été rédigé longtemps après Moïse, par

un compilateur qui n’aurait pas craint d’y ajouter des mots et des phrases destinés à éclairer et à lier le texte. Bonfrère, à propos de certains détails qui semblent trahir une main plus récente, ne fait pas difficulté d’accorder que ces phrases sont des gloses ajoutées après coup au texte primitif. » Prat, dans les Études, t. lxxvii, 1898, p. 50. De même, quelques savants catholiques de nos jours, prenant en considération certains arguments de la critique indépendante, reconnaissaient qu’une loi de date relativement récente pouvait néanmoins être dite mosaïque, soit parce que l’un ou l’autre de ses éléments remontait en fait à Moïse, soit parce qu’elle n’était que l’application à des circonstances nouvelles de principes jadis énoncés par le grand législateur des Hébreux. « Nous aurons à prouver, dit le P. Lagrange, dans un mémoire lu au Congrès international des catholiques à Fribourg en 1897, qu’il y a une législation mosaïque et que les lois du Code Sacerdotal en sont une conclusion normale, mais du moins nous pourrons considérer ces lois comme postérieures à Moïse, non seulement dans leur rédaction, mais encore dans leur thème spécial. » Revue biblique, 1898, p. 21. Cf. von Hûgel, La méthode historique en son application à l’étude des documents de V Hexaleuque, Paris, 1897, mémoire lu au même congrès. Une loi, fait remarquer dans le même sens le P. Prat, peut recevoir sous forme d’interprétation autorisée, des compléments ou des modifications ; ainsi, pour la loi de Moïse, telle consultation prophétique ou sacerdotale aura pu se glisser dans la lettre du code primitif, non seulement par de courtes gloses, mais encore par un commentaire authentique, fixant le sens et les limites d’une loi obscure ou trop concise. « La liste, par exemple, des animaux impurs et des diverses sortes de contact, capables de produire une souillure légale, peut avoir été complétée et mise au courant, selon les principes posés par Moïse, d’accord avec le progrès des sciences zoologiques et les leçons de l’expérience journalière. » Prat, La Loi de Moïse, ses progrès, dans les Études, t. lxxvii, 1898, p. 48. « Le Pentateuque, note de son côté le P. Durand, contient nombre de documents vraiment rédigés par Moïse, et il est en son entier l’expression autorisée de sa Loi. » L’état présent des études bibliques en France, dans les Études, t. xc, 1902, p. 352.

Dans un décret du 27 juin 1906, sur l’origine du Pentateuque, la Commission biblique a donné, au sujet des modifications qu’a pu subir la loi de Moïse au cours des siècles, la réponse suivante : < L’authenticité et l’intégrité du Pentateuque étant sauvegardées quant à la substance, peut-on admettre que dans un si long cours des siècles quelques modifications s’y soient produites, comme par exemple des additions faites après la mort de Moïse, mais par un auteur inspiré, ou des gloses et des explications insérées dans le texte ; certains mots et des formes de discours traduits d’un style vieilli en un style plus moderne ; enfin des leçons fautives, dues à la maladresse des copistes, qu’il soit permis de rechercher et de fixer d’après les règles de la critique ? Rép. : oui, sauf le jugement de l’Église. » Traduction de E. Mangenot, L’authenticité mosaïque du Pentateuque, Paris, 1907, p. 7.

Comparant le résultat de ses travaux antérieurs à ces récentes décisions de la Commission biblique sur l’origine du Pentateuque, le P. Brucker admet que les trois ou quatre écrits rédigés sous la direction de Moïse et correspondant aux quatre documents des critiques, ont pu exister longtemps séparément, et que rien n’empêche de retarder le moment de leur fusion complète et définitive jusqu’à l’exil de Babylone ou jusqu’à l’époque d’Esdras. S’il en est ainsi.