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LÉON VI LE SAGE. SON ŒUVRE JURIDIQUE


sang des animaux en aliments et le commerce de tels aliments (nov. lviii) : le vendeur et l’acheteur de tels aliments « sont soumis à la confiscation de leurs biens, fouettés rigoureusement, honteusement rasés et exilés à perpétuité ; les éparques de la ville sont, pour défaut de surveillance, frappés d’une amende de dix livres d’or. »

La novelle lxxiii défend aux clercs et aux laïques d’habiter avec des femmes dans les cœnacula des églises. Les novelles lxxiv et cix interdisent de bénir les fiancés avant qu’ils aient l'âge du mariage ; et la novelle lxxxix ordonne, sous peine de nullité, que les mariages soient bénis. Nous ne mentionnons ici le mariage que pour les rapports avec la loi ecclésiastique formulés par Léon : on rappellera ci-dessous les grandes lignes de sa législation matrimoniale en tant que telle. Notons encore ici que c’est pour faire prévaloir les canons ecclésiastiques que Léon (nov. xc) ordonne l’application des peines canoniques aux troisièmes noces ; il avoue même ne pas comprendre pourquoi la loi civile ne s’accorde pas sur ce point avec la loi religieuse et laisse impunis ceux qui ne se contentent pas des secondes noces. On sait que de tout cela bientôt Léon ne devait guère se souvenir. La novelle xci supprime le concubinat « pour éviter une offense à la foi comme à la nature. »

Malgré ce fréquent appel aux canons, qui fut toujours de mode à Byzance, Léon n’abdique pas, pour autant, la conception — bien byzantine aussi — de l’excellence de la loi impériale et, dans le début de la novelle vii, il déclare sans ambages qu’il donne la préférence à la loi civile sur la loi ecclésiastique, quand celle-là lui paraît plus utile que celle-ci au bien public. Il faut reconnaître, du reste, que des considérations d’un véritable esprit chrétien animent souvent les formules du code. La novelle xvii fournit un exemple caractéristique de la manière dont Léon VI raisonne en matière religieuse. Il s’agit des accouchées et des nouveau-nés. Hors du danger de mort, ni le baptême ni la participation aux saints mystères ne leur sont permis. L’accouchée devra attendre quarante jours ses relevailles ou son baptême si elle n’a pas encore été baptisée. Le même délai est imposé pour le baptême du nouveau-né. Toutefois, si l’on veut donner le baptême à partir du huitième jour, Léon ne s’y oppose pas, « car Notre-Seigneur, circoncis le huitième jour, a mis fin à la circoncision et l’a remplacée par l’initiation au baptême qui donne la vie. » Mais s’il y a danger de mort, il faut mettre tout empressement à administrer le sacrement régénérateur, même avant l’expiration du délai indiqué. Et le législateur insiste en des termes exprimant une mentalité chrétienne fort louable. « … Comme le Seigneur notre Sauveur s’est fait homme semblable à nous, participant de notre chair et de notre sang, pour que soient illuminés par la splendeur de sa gloire ceux qui marchent dans les ténèbres, ceux-là, autant qu’ils sont, vont, à mon estime, à l’opposé de sa providence salutaire, qui pensent que la récente accouchée est indigne du baptême, même si la mort est là, ' prête à saisir la femme, sans attendre le délai de quarante jours qu’ils réclament. De la sorte, ils font que l’accouchée, à cause de son impureté corporelle, sort maintenant de ce monde sans être purifiée, n’ayant pas été initiée et n’ayant pas participé au bain sacré de la régénération. Et ils n’ont pas devant les yeux la grandeur du dommage et du péril que crée l’impiété de leur piété. Une telle absurdité se démontre par son excès même et sans qu’il soit besoin de paroles. Ce Dieu, qui donne le salut par la foi et la régénération dans l’eau et l’esprit, pourra-t-il trouver juste et non affligeant qu’une telle femme s’en aille sans foi et sans régénération et qu’au lieu de trouver place

parmi les sauvés, elle soit pour une telle cause rejetée parmi les damnés ? » (D’après la traduction de H. Monnier, op. cit., p. 192).

Même expression du sens chrétien dans la condamnation de la magie et de l’incantation, péchés mignons de la société byzantine, cf. Pargoire, L'Éi/lise byzantine de 527 à 847, p. 320-321, et dont il semble bien que Léon VI lui-même n’ait pas été entièrement exempt. Sa législation, du moins, est formelle ; « elle est même, visiblement, chargée de sanctions trop rigoureuses. L’incantatio, ixyyxisloL, yo'/jTela, est punie comme l’apostasie, et cela quel que soit le but poursuivi dans l’opération magique. Il n’y a plus à chercher si on y a recours pour obtenir une guérison ou sauver une récolte. Léon rejette la distinction faite jadis entre le bon et le mauvais usage de l’incantatio. En soi, la magie est un mal. Se donner aux incantations, c’est se livrer aux démons sinistres ; même le bien apparent recherché est un mal réel pour l'âme. » Nov. lxv. Monnier, op. cit., p. 54 et 200. On a écrit, peut-être non sans une pointe d’exagération : « Si Léon VI vivait aujourd’hui il prendrait rang dans l’armée du christianisme social. » Monnier, op. cit., p. 59. Du moins peut-on trouver chez lui les principes essentiels d’une économie politique imprégnée de christianisme. « En effet, comme les économistes de cette école : 1. il est chrétien convaincu, il croit à des lois naturelles établies par la Providence pour gouverner les sociétés. Livre du préfet, préface. Tout irait bien, nous dit-il, si l’amour du lucre (nov. lviii), la perversité des hommes (nov. xxin et lxxxjii), la bassesse des âmes (nov. li) ne venaient pas déranger la belle ordonnance divine, en troubler les effets ; 2. il admet l’intervention de l'État dans la réglementation du travail ; 3. il a le souci de la tradition et le culte du passé (nov. xxiv). » Ibid., avec développements auxquels nous renvoyons.

Sociologue chrétien : ce serait beaucoup dire ; mais il faut reconnaître que Léon VI aime à se donner des airs de moraliste. Voici, par exemple, comment il expose la nécessité des sanctions sévères : « Certes, si les hommes voulaient cheminer le droit sentier de l'équité, rien ne serait plus heureux et plus salutaire pour eux. Il ne serait pas nécessaire que le législateur montrât la sévérité des lois… Mais la plupart des hommes ne veulent pas entrer dans la voie commode de l'équité, et l'écartent comme laborieuse, âpre et ruineuse Les hommes s'éloignent des chemins de l'équité pour se porter avidement sur la voie jonchée d'épines denses de l’iniquité. Voyageurs téméraires, ils sont précipités dans les abîmes de la perdition. » Nov. lxi, cf. aussi nov li.

L’histoire de sa vie et de son règne a montré que le moraliste fut lui-même, en maintes occasions, du nombre des voyageurs téméraires. A ce titre, il y a intérêt spécial à donner une brève analyse de sa législation matrimoniale.

b) La législationdu mariage. — Avec l'Église. le législateur des Novelles est hostile à toute autre union que le mariage légitime. En dehors du mariage, toutes les relations sexuelles sont répréhensibles (nov. lxxxix), d’où suppression du demi-mariage qu’on appelait le concubinat. Léon enferme les célibataires dans le dilemme suivant : « Ou le désir de la vie matrimoniale vous point, et alors mariez-vous, ou le mariage vous effraie, et alors ne vous mariez pas. Mais si vous restez célibataires, gardez sérieusement le célibat. » (Nov. lxxxix). La novelle xci est encore plus explicite : « Nous ne permettrons pas que la faute du législateur déshonore notre république, … insulte à la nature et à la religion… » Et Léon ajoute cette constatation naïve, qui, sous sa plume, ne laisse pas d’avoir une saveur assez piquante :.< Ce n’est pourtant pas bien