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LEON VI LE SAGE. SA POLITIQUE ECCLÉSIASTIQUE


canons, et, dans une lettre arrogante, faire la leçon à l’Église romaine en l’adjurant de condamner les quatrièmes noces. Comment le prélat courtisan se changea-t-il tout à coup en canoniste rigoriste ? La Vie d’Euthyme nous livre le secret de la métamorphose. » M. Jugie, op. cit., p. 470.

3. Troubles ecclésiastiques à Constantinople.

Chose remarquable, qui prouve l’impartialité de ce biographe, l’écrivain de la Vita Euthymii ajoute cette réflexion : « Et il en serait ainsi advenu, si un mauvais démon n’avait enflammé et exaspéré la situation ecclésiastique au point que le récit va montrer. » Ibid., 24. Et l’auteur nous raconte alors ceci. Nicolas apprit, par une indiscrétion, que Léon n’oubliait pas le passé et qu’il se proposait de lui enlever son siège pour crime de lèse-majesté dès que serait réglée l’affaire du mariage, xii, 1-5. De bonnes nouvelles en effet arrivaient d’Occident : le pape ne condamnait point les quatrièmes noces, et des légats de Serge III allaient se mettre en route, porteurs de la dispense. « Ceci provoqua un brusque changement dans l’attitude du patriarche. Sûr de l’approbation de l’Église universelle, Léon n’avait plus aucune raison de compter avec le chef de l’Église byzantine… Nicolas comprit qu’il n’avait plus qu’une ressource, se jeter à fond dans l’opposition. Il savait l’hostilité ancienne que le clergé d’Orient nourrissait contre Rome, il se croyait sûr d’être suivi, s’il se posait en défenseur de l’indépendance byzantine en face de l’intervention pontificale. S’il réussissait, grâce à cette tactique, à mettre en échec le pape et l’empereur, quel triomphe pour ses ambitions ! S’il succombait dans la lutte, du moins la chute serait belle, et l’auréole du martyre entourerait le champion inflexible des canons ecclésiastiques transgressés. Nicolas, qui d’ailleurs était fort réellement blessé dans son orgueil de voir Rome se mêler des affaires de son patriarcat, reprit donc l’attitude la plus intransigeante et la plus hautaine. » Diehl, op. cit., p. 203-204, utilisant surtout le travail de C. de Boor qui a finement démêlé, Vita Euthymii, p. 191 sq., les motifs qui firent varier Nicolas le Mystique dans cette affaire de la tétragamie.

Fort désormais de l’assurance des décisions romaines, le basileus se présenta à Sainte-Sophie, le 25 décembre 906, accompagné du sénat et de la cour, pensant que le prélat ne lui refuserait pas l’accès plusieurs fois offert les mois précédents. Mais Nicolas lui interdit l’entrée du sanctuaire, lui laissant seulement espérer — sans doute par manière de parler — son consentement pour la prochaine fête de l’Epiphanie. Vita Euthymii, xii, 6-10. Léon, dont la décision était prise, jugea inopportun d’insister, et le biographe d’Euthyme nous décrit avec onction son attitude humiliée de pénitent dans le métatorion attenant à la grande église. Le 6 janvier 907, l’empereur se présenta de nouveau. « Sans l’unanimité des métropolites, lui déclara le patriarche, et notamment sans le consentement du « protothrone », Aréthas (de Césarée), je suis dans l’impossibilité de vous admettre ; si vous prétendez entrer de votre propre gré, c’est aussitôt moi et les miens qui sortirons. » Cette fois, l’indignation du basilieus était à son comble. « A ce qu’il semble, seigneur patriarche, vous vous moquez de ma royauté pour parler et agir de la sorte ! Est-ce dans l’attente de voir le rebelle Doukas revenir de Syrie et en comptant sur lui, que vous nous méprisez ainsi ? » Nicolas, atterré par cette apostrophe inattendue, demeurait immobile au seuil de la porte royale, n’osant ni avancer ni reculer. L’empereur, au contraire, gardait tout son sang-froid. Une fois de plus, il accepta de prendre l’attitude de pénitent au métatorion, « accomplissant royalement un geste royal », pour employer les termes de la Vita Euthymii. Et comme les gens de son cortège

témoins de cette nouvelle humiliation, excitaient le prince à passer outre et à franchir le seuil du sanctuaire, de la main il leur imposa silence, se contenta d’appeler un instant les métropolites pour s’entretenir avec eux ; puis, après le chant de l’Évangile, il rentra au palais. Vita Euthym., xii, 11-17. Le soir, il devait y avoir dîner officiel. Le patriarche déclina d’abord l’invitation, mais dut céder à la pression de l’empereur. Vers la fin du dîner, en présence des évêques et des dignitaires, Léon se mit à apostropher violemment le prélat. « Il lui rappela ses promesses, ses flatteries, ses complaisances passées, et nettement il le traita de menteur et de parjure. Vita Euthym., xii, 18-30. Puis, emmenant avec lui les métropolites dans les appartements privés, il leur rappela avec des larmes les malheurs de ses successifs mariages, et s’étant fait porter son fils, il le prit dans ses bras et il leur demanda à tous de le bénir et de prier pour lui. Ibid., 31-32. Cette scène attendrissante émut beaucoup d’évêques, qui ne suivaient que par crainte la politique intransigeante de Nicolas. » Diehl, op. cit., p. 205-206, résumant très exactement le relation fort circonstanciée de la Vita Euthymii.

Il fallait plus que jamais une solution au conflit. Les légats du pape étaient arrivés, porteurs de la dispense pontificale : « en Occident, où les quatrièmes Roces n’étaient point défendues, la demande impériale avait semblé toute naturelle. » Le patriarche refusa d’entrer en rapports publics avec eux, comptant sans doute exciter par là le mécontentement populaire contre ces étrangers « qui semblaient, disait-il, n’être venus de Rome, parmi nous que pour nous déclarer la guerre. » Epist., xxxii, P. G., t. cxi, col. 204 B. La lutte, Nicolas la menait de son côté, et la Vita Euthymii, xii, 33-36, nous raconte en quels termes, après la scène du dîner de l’Epiphanie, il demanda aux évêques de demeurer fidèles « jusqu’à la mort » à la résistance contre les volontés du basileus. La patience de celui-ci était à bout. Le 1 er février, en la fête de saint Tryphon, le patriarche fut invité comme d’habitude au palais avec les principaux évêques. Nicolas n’hésita pas à s’y rendre, dit la Vita Euthymii, xiii, 1, « ne soupçonnant rien et espérant plutôt une réconciliation. » Voici que, vers la fin du repas, l’empereur recommença son réquisitoire contre le prélat. Il lui rappela, à la face de tous, ses offres personnelles de le recevoir à l’église pour la fête de la Dédicace et pour celle de la Transfiguration ; puis les humiliations du 25 décembre et du 6 janvier. « C’est en vain, conclut-il. que vous hasardez des prétextes : me pensez-vous ignorant de votre fourberie ? Quel intrigant vous êtes, je le sais depuis le jour où j’étais votre condisciple. xiii, 7. A la question, finale de Léon : « Dites-moi donc comment il se fait que, m’ayant proposé auparavant l’entrée du sanctuaire, maintenant vous temporisiez et vous dérobiez ? » le patriarche répondit : « C’est pour me ranger à l’avis des évêques. » — « Fort bien, reprit l’empereur ; mais alors, quand vous veniez me dénoncer les dires de chacun de vos confrères, le faisiez-vous avec leur consentement ou de votre propre initiative ? Et lorsque vous tramiez des complots contre notre empire, excitant et encourageant l’apostat Doukas, sur l’appui de quels confrères fondiez-vous ce sacrilège ? » xiii, 9. Puis, devant le silence du prélat atterré, le basileus déclara aux gens de la cour qu’il s’en remettait de ses affaires au synode et aux envoyés des autres patriarcats, annonçant qu’il entendait être reçu le lendemain, fête de YHypapanté, à l’église des Blakhernes. Vita Euthymii. xiii, 10-14. Après quoi, on se saisit aussitôt du patriarche qui fut expédié sous bonne garde à son monastère asiatique de Galacrènes. xiii, 15. Le lendemain, après sa réception aux Blakhernes, l’empereur provoqua contre Nicolas une acca-