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LÉON XIII. SON ACTION POLITIQUE


souhaitaient un rapprochement entre le Vatican et le Quirinal. Les livres du P. Curci, qui plaidaient avec une certaine véhémence en faveur d’une politique de compromis, furent frappés de condamnation ; l’existence du journal l’Aurora, qui ressemblait un.peu au lancement d’un ballon d’essai, fut éphémère.

La pensée définitive de Léon XIII au sujet du pouvoir temporel trouva son expression la plus complète dans la lettre publique qu’il adressa, le 16 juin 1887, au cardinal Rampolla, son nouveau secrétaire d’État, pour définir les grandes lignes de sa politique. « Il faut qu’il soit évident pour tous, y disait-il, que la liberté du Pape n’est pas entravée. » Ce mot résumait sa constante sollicitude : il ne voulait pas seulement que le Pape fût libre, mais qu’aux yeux de tout l’univers il apparût libre. « Ni électeurs ni élus ! » Telle était la consigne par laquelle Léon XIII défendait aux catholiques d’Italie de prendre part aux élections politiques, consigne qu’observaient avec quelque docilité les catholiques du nord de l’Italie et ceux des anciens États romains, mais à laquelle se dérobaient, dans le midi de l’Italie, un très grand nombre d’électeurs. Dans les régions où cette discipline s’observa, les catholiques qui se tinrent à l’écart du terrain politique se tournèrent avec d’autant plus de zèle vers les œuvres sociales et se préparèrent ainsi, par l’activité déployée dans l’Œuvre des congrès, à devenir des chefs de l’opinion publique, le jour où la papauté déclarerait que l’heure aurait enfin sonné, pour eux, de s’orienter vers l’arène parlementaire. Sous la direction de Léon XIII, le comte Medolago Albani et le professeur Giuseppe Toniolo présidèrent à cette tâche préparatoire de l’éducation civique et sociale des catholiques, qui devait, dans la pensée du pape, devancer, avec une sage lenteur, leur éventuelle entrée dans la vie publique.

2. Les difficultés de Léon XIII avec les souverainetés laïques. — Il y a comme deux étapes dans l’histoire de la diplomatie pontificale sous Léon XIII. Dans la première étape, il vise à rentrer ou à se maintenir en bons rapports avec les diverses puissances, quelque hostiles à l’Église, parfois, que soient les courants dont s’inspirent leurs décisions. Puis, dans une seconde étape, profitant de la cordialité même de ses rapports avec elles, il cherche et réussit à jouer un rôle dans les questions internationales, rôle conforme à l’office de pacificateur, de médiateur, qui est tout naturellement celui du pontife romain.

Au cours de la première étape, il était inévitable que parfois s’accusassent des divergences, ou même des débuts de conflit, entre les habitudes politiques des partis catholiques, dans les divers pays, et les nouvelles directions du Saint-Siège.

a) Allemagne. — Ce que voulait le Centre, en Allemagne, c’était l’abolition pure et simple des fameuses lois de mai. Mais on sentait Léon XIII tout prêt à chercher et à envisager avec Bismarck les compromis ou les atténuations d’où pourrait résulter provisoirement une application tolérante, plus aisément acceptable pour l’Église, de certains articles des lois de mai. Ce fut pour Léon XIII une première victoire, au lendemain de la démission du ministre Falk, que la déclaration faite par son successeur Puttkamer invitant la police, en cas d’infractions commises contre les lois de mai par les prêtres catholiques, à informer simplement le président de la province au lieu de les déférer aux parquets (20 janvier 1880). Le 24 février suivant, Léon XIII écrivait à l’archevêque Melchers, de Cologne, que, pour hâter l’accord, il était disposé à souffrir que les noms des curés inamovibles fussent communiqués au gouvernement par les évêques avant l’instruction canonique. Le projet de loi que déposait Bismarck le 20 mai 1880 accordait au gou vernement un pouvoir discrétionnaire dans l’application des lois de mai : à la dictature draconienne de ces lois devait se substituer, désormais, la dictature capricieuse de l’administration. Ni la papauté ni le parti du Centre ne pouvaient considérer le règne de l’arbitraire comme un progrès vers la paix. Mais des progrès notables s’accomplirent lorsque le chancelier annonça que les administrateurs ecclésiastiques ou vicaires capitulaires préposés aux diocèses dont les évêques étaient déposés ou décédés seraient dispensés de tout serment de docilité aux lois de mai, et lorsque, dans l’été de 1881, le baron de Schloezer fut accrédité comme ministre de Prusse auprès de Léon XIII. La nomination de Mgr Korum à l’évêché de Trêves fut un pas décisif : pour la première fois depuis les lois de mai, Rome et Berlin s’entendaient pour faire un évêque. En vertu de la loi prussienne du 31 mai 1882, l’État pouvait, s’il le voulait, rappeler les évêques déposés ; il ne pouvait plus, à lui seul, installer des curés ; et la nécessité pour les clercs de subir un examen d’État était supprimée. La loi prussienne du Il juillet 1883 permettait au gouvernement de tolérer que, dans certains districts, les cures fussent, provisoirement et à titre précaire, confiées à des prêtres auxiliaires, sans que leur nomination fût soumise à une notification préalable. Ce fut seulement trois ans plus tard que Bismarck consentit à envisager une revision formelle des lois de mai : elle fut réalisée par la loi du 21 mai 1886 et par la loi du 29 avril 1887. Léon XIII, entre le vote de ces deux lois, fit une concession au sujet de la présentation des noms des curés désignés pour les cures vacantes ; il tenta d’obtenir que le Centre se montrât favorable au projet de septennat militaire que Bismarck voulait faire voter par le Reichstag : enfin, tandis que le Centre trouvait.que le second projet de loi laissait encore une trop grande marge à l’arbitraire gouvernemental, Léon XIII insista pour que le Centre le votât, et c’est à quoi consentit "Windthorst, pourvu que son parti ne prît aucune part à la discussion même de la loi. Quelle que fût, à certaines minutes, la tension des rapports entre le pape et le Centre, on peut dire que Bismarck, qui tantôt cherchait à rétablir la paix religieuse à l’écart de Rome par une collaboration avec le Centre, et qui tantôt cherchait à la rétablir à l’écart du Centre par une collaboration avec Rome, fut déçu dans ses calculs, et que, du Culturkampf, ainsi pacifié, ni la papauté ni le parti du Centre ne sortirent vaincus.

b) France. — Tandis qu’en Allemagne la paix religieuse s’était lentement rétablie, on constatait au contraire qu’en France elle était de plus en plus compromise par les votes parlementaires et les mesures administratives. Léon XIII, en 1880, essaya d’épargner à l’ensemble des congrégations les mesures d’expulsion qui avaient frappé les jésuites, en invitant les supérieurs de ces congrégations à signer une déclaration attestant qu’elles n’étaient pas hostiles aux institutions établies ; des indiscrétions prématurées firent malheureusement obstacle à l’efficacité politique de cet acte. L’expulsion des congrégations et les autres dangers dont était menacé le catholicisme français, loi scolaire, loi du divorce, service militaire des clercs provoquèrent plusieurs protestations successives de Léon XIII, d’abord dans une lettre publique au cardinal Guibert (22 octobre 1880), puis dans une lettre à Jules Grévy (mars 1883) qui ne fut publiée qu’en 1894 par Mgr de T’Serclæs. enfin dans l’encyclique Nobilissima Gallorum gens, de 1884. Ce fut une bonne fortune pour la papauté, en ces années 1879-1882. où l’extrême gauche aurait souhaité une séparation immédiate entre l’Église et l’État, d’être représentée à Paris par le diplomate accompli qu’était Mgr Czacki. Lorsqu’en septembre 1879 Léon XIII avait nommé