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LÉON XIII AVANT SON PONTIFICAT


au pontife romain. La bienveillante amitié du cardinal Sala, qui avait jadis aidé le cardinal Caprara dans les négociations du Concordat avec Bonaparte, dirigea de bonne heure.loachim Pecci vers des postes de prélature ; dès 1837, Grégoire XVI le nommait prélat domestique, référendaire du tribunal de la Signature, portent de la congrégation du Buongoverno ; et dans la seconde quinzaine de décembre de cette même année, Joachim Pecci devenait coup sur coup sousdiacre, diacre et prêtre.

Trois grands ordres religieux s’étaient rencontrés à l’origine de son éducation intellectuelle et morale. Les traditions de sa famille étaient de nature à lui inspirer une grande ferveur pour l’ordre franciscain : on y parlait volontiers de l’instante neuvaine à saint Louis de Toulouse à la suite de laquelle Charles et Anne-Marie Pecci avaient obtenu un fils, le propre père de Léon XIII. Les jésuites avaient fait de lui un humaniste, qui dès sa prime jeunesse se complaisait au jeu des vers latins et qui, toute sa vie, avec amour, cultivera cette discipline. Et, sur les bancs du Collège romain, Léon XIII s’était orienté, par un attrait décisif, vers celui qu’il appelait l’archimandrite des théologiens, vers saint Thomas, gloire de l’école théologique dominicaine.

Il fut, de 1838 à 1841, délégat à Bénévent. Contrebandiers et bandits inquiétaient cette lointaine dépendance de l’État pontifical, enclavée dans le royaume de Naples ; le carbonarisme y paraissait exercer quelque influence occulte ; et les hobereaux de la province, s’abandonnant volontiers à des actes de demibrigandages, essayaient d’intimider, en le menaçant de se plaindre au Vatican, le jeune délégat. Léon XIII fit savoir à l’un d’entre eux que sur le chemin du Vatican il rencontrerait la prison du château Saint-Ange. Une petite armée, organisée par ses soins, traqua les malfaiteurs.

Et la récompense de ces succès fut sa nomination, en 1841, à la délégation de Pérouse, où il fit acte d’initiative sociale par la création d’une caisse d’épargne. A titre de haut fonctionnaire temporel de l’État pontifical, c’est-à-dire d’un État menacé par l’émeute et protégé par l’Autriche, Joachim Pecci, à cette époque de sa vie, nous apparaît animé d’un état d’esprit plutôt légitimiste — de ce même état d’esprit qui, dix ans plus tôt, l’avait amené à applaudir l’intervention autrichienne dans les Romagnes et à demander en ses prières la victoire des prétendants Carlos et Miguel, en Espagne et en Portugal. Mais sa nomination à la nonciature de Bruxelles, en janvier 1843, allait le mettre en présence d’autres horizons politiques. « C’est mon fils de prédilection », disait de Joachim Pecci le cardinal Lambruschini, secrétaire d’État de Grégoire XVI ; et le cardinal, dans ses instructions au nouveau nonce, lui recommandait, comme un « strict devoir », de protéger la « liberté » dont jouissait en Belgique « la religion catholique et l’exercice de l’autorité épiscopale », et de « ne pas se montrer animé d’un zèle indiscret et beaucoup moins encore d’un esprit quelconque de parti. » Un souverain protestant et d’ailleurs animé de dispositions bienveillantes pour la foi catholique ; un peuple dont il célébrait, en ses lettres, la bonté et la solide religion ; des Chambres où le sentiment catholique était encore prépondérant, mais où le parti catholique, si nombreux qu’il fût, était mal organisé ; un ministère « unioniste », le ministère Nothomb, ministère qui comprenait à la fois des libéraux et des catholiques, et qui, fortement attaqué par les éléments anticatholiques du parti libéral, effrayait les catholiques par le dépôt d’un projet de loi confiant au gouvernement central la nomination de tous les membres des

jurys d’examen, dont jusque-là les deux tiers étaient nommés par les Chambres : tel fut le spectacle qu’offrait à Mgr Pecci la Belgique religieuse et politique. Contrairement aux suggestions de son prédécesseur Mgr Fornari, devenu nonce à Paris, et qui se montrait favorable au projet Nothomb, et contrairement à l’exemple que lui donnaient les ministres de Prusse, de France et d’Autriche, qui travaillaient activement pour ce projet, Mgr Pecci, d’accord avec les évêques et le parti catholique, s’y montra hostile : il agit auprès de Léopold I er pour obtenir le retrait du projet auquel fut substituée une combinaison plus favorable aux intérêts catholiques. Mgr Pecci fut également d’accord avec le roi, en même temps qu’avec les évêques, pour faire prévaloir une interprétation nettement catholique de la loi scolaire de 1842, à [’encontre de l’esprit de neutralité que voulait introduire Nothomb dans l’application de cette loi.

L’influence qu’avaient prise à Louvain le traditionalisme et l’ontologisme commençait de préoccuper l’autorité romaine ; Mgr Fornari, prédécesseur de Mgr Pecci, avait, dès 1842, envoyé à Rome les œuvres d’Ubaghs et de Tits, pour les faire examiner par les congrégations compétentes ; Mgr Pecci saisit de la question les évêques belges ; un seul, l’évêque Delebecque, de Gand, en avait aperçu la gravité. Ce péril doctrinal avait amené les jésuites à fonder un cours de philosophie au Collège de la Paix à Namur ; des protestations s’élevèrent de la part de l’Université de Louvain et de la majorité des évêques. Mgr Pecci agit en pacificateur en faisant décider que le cours de Namur aurait le caractère d’un cours préparatoire aux études universitaires, et que le Collège de la Paix ne posséderait pas une faculté complète.

Mgr Pecci, sans redouter des conflits de compétence avec les évêques, souhaita et obtint du Saint-Siège les pouvoirs nécessaires pour la réforme des ordres religieux, et il y procéda lui-même, activement, par la visite de plusieurs abbayes. Non moins soucieux des développements du ministère paroissial, il obtint, durant sa nonciature, la création d’environ soixante nouvelles succursales. Il contribua en 1844, par son intervention à la réunion annuelle des évêques belges, à faire créer à Rome le collège ecclésiastique belge, et il sut les convaincre, à rencontre de leur projet primitif, que ce collège devait être soustrait à leur direction et être confié par le Saint-Siège à un protecteur choisi parmi les cardinaux résidant à Rome. « Je supplie votre Sainteté, écrivait Léopold I er à Grégoire XVI, de demander à l’archevêque Pecci un compte exact des impressions qu’il emporte sur les affaires de l’Église en Belgique. Il juge toutes ces choses très sainement. » Ce témoignage d’un souverain protestant sur l’activité diplomatique de Mgr Pecci attestait la souplesse d’intuition avec laquelle, dans cet État belge issu de la Révolution de 1830. l’ancien fonctionnaire de l’État pontifical avait su s’adapter aux mœurs politiques d’un régime parlementaire, et garder la confiance de l’État sans rien abdiquer, nous l’avons vii, des intérêts de l’Église.

2° L’épiscopat à Pérouse ; le conclave. — Dans le consistoire du 19 janvier 1846, Grégoire XVI préconisait Mgr Pecci évêque de Pérouse, dont naguère il avait été délégat. Il allait occuper ce siège épiscopal trente-deux ans durant. Les premières années de son épiscopat furent très agitées : c’était l’époque où Pie IX, après avoir été salué par l’opinion publique italienne comme un libérateur, avait le double chagrin de voir l’émeute se dresser contre lui et l’Autriche intervenir, en dictatoriale protectrice, sur certains points de ses États, parmi lesquels était Pérouse. Mgr Pecci, qui peu de mois auparavant, avait accueilli dans son évêché l’abbé Gioberti, partagea tour à tour