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LAVEMENT DES PIEDS. FAITS LITURGIQUES

Le lavement des pieds, acte rituel. — Le lavement des pieds n’est pas seulement dans la Bible une mesure de propreté. C’était aussi un rite de purification prescrit aux prêtres par la Loi avant d’approcher du tabernacle ou de l’autel. Ex., xxx, 18-21 ; xl, 30-32. La « mer d’airain » était destinée à cet usage. Ex., ibid., III Reg., vii, 23-26 ; II Paral., iv, 6. Cf. Schürer, Geschichte des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, t. ii, p. 278 ; Jewish Encyclopœdia, t. v, col. 357.

On a relevé dans l’antiquité chrétienne quelques traces d’imitation de ces usages rituels. Cf. Tertullien, De Orat., xiii, P. L., t. i, col. 1167.

Ainsi d’après Eusèbe, Hist. eccl., X, iv, P. G., t. xx, col. 864, 865, cf. éd. Grapin, t. iii, p. 108, n. 40, le panégyriste de l’évêque de Tyr le loue de ce qu’il n’a pas permis qu’on entrât dans le sanctuaire « avec des pieds souillés et non lavés, » et a placé à cet effet des fontaines à l’entrée. Paulin de Nole, Epist., xxxii, ad Severum, 15, P. L., t. lxi, col. 337, parle d’un cantharus ou bassin placé à l’entrée d’une basilique. Il est vrai que ce bassin ne paraît destiné qu’à l’ablution des mains. Mais ailleurs les ablutions ont dû être plus abondantes, chaque pays gardant en cela ses usages. Socrate, H. E., II, xxxviii fin, P. G., t. lxvii, col. 332, parle d’un puits placé dans la cour d’une église. Ces usages se sont conservés avec une fidélité particulière dans l’islamisme, dont l’art religieux est issu de Byzance.

II. Faits liturgiques. — Nous les rangerons sous deux chefs : 1° Le lavement des pieds comme rite post-baptismal dans la liturgie du samedi saint. 2° Le lavement des pieds comme cérémonie spéciale du jeudi saint. Le premier de ces faits appartient à l’histoire des liturgies latines avant Charlemagne ; le second, sauf en Espagne et peut-être en Gaule, n’est attesté qu’après cette époque.

Le lavement des pieds dans le rituel du baptême solennel du samedi saint. — Mgr Duchesne, dans son ouvrage classique sur les Origines du culte chrétien, c. ix, § 2, fin, 2e édit, 1898, p. 314 ; 5e édit., 1920, p. 315, résume ainsi l’état des faits pour la période antérieure à Charlemagne : « Le rite du lavement des pieds s’observait en Gaule et à Milan, mais non en Espagne, où il avait été formellement proscrit par le concile d’Elvire (can. 48). On n’en trouve pas trace en Orient et il est très sûr qu’on ne l’admettait pas à Rome. C’est une particularité locale, introduite d’abord dans les Églises du midi de la Gaule ou de Haute-Italie. » Il nous faut indiquer ici les principaux textes sur lesquels s’appuient ces constatations sommaires dont une étude assez longue nous a démontré l’exactitude, sans nous étonner d’ailleurs, vu le nom dont elles étaient signées. Nous parcourrons les diverses contrées de l’Occident et nous finirons par Rome.

1. Afrique. — Saint Augustin, dans sa lettre lv ad Januarium, c. xviii. n. 33, P. L., t. xxxiii, col. 216, énumère divers usages liturgiques à propos desquels on a relevé des divergences notables entre les usages des différents pays. Arrivé au lavement des pieds, il s’exprime ainsi : « Quant au lavement des pieds, le Seigneur l’avant recommandé comme un modèle de l’humilité qu’il était venu enseigner, ainsi qu’il l’a déclaré tout au long, on a demandé à quel moment de préférence il convenait d’ajouter sur un point de cette importance l’exemple au précepte, quonam tempore potissimum res tanta etiam facto doceretur. La réponse obvie, c’est de le faire au moment où la recommandation s’impose davantage au respect, quo ipsa commendatio religiosius inhæreret. Mais, de pour que cet usage parût appartenir au rite même du baptême, ad ipsum sacramentum baptismi, beaucoup n’ont pas voulu l’accepter. Quelques-uns même n’ont pas craint de l’abolir. D’autres, voulant à la fois et recommander cette pratique par la sainteté du temps, ut hoc et sacratiore tempore commendarent, et la distinguer du rite même du baptême, ont choisi pour cet effet soit le troisième jour de l’octave, parce que le nombre trois se fait particulièrement remarquer par sa place en beaucoup de rites symboliques, quia et ternarius numerus in multis sacramentis maxime excellit, soit le jour même de l’octave. »

Remarquons que dans ce texte il n’est nullement question du lavement des pieds du jeudi saint, mais de celui du samedi, pratiqué en certaines Églises, aboli en d’autres, et renvoyé dans quelques-unes au troisième ou au dernier jour de l’octave de Pâques. Ce n’est que par suite d’une confusion grossière que beaucoup d’auteurs (la plupart de ceux qui nous ont précédés ont cru pouvoir citer saint Augustin comme un témoin du lavement, des pieds liturgique du jeudi saint. Ils renvoient à ce propos à un autre texte qu’il suffit de relire pour s’apercevoir qu’il y est question, non de lavement des pieds, mais de bain complet, non d’un usage liturgique, mais d’une simple pratique de propreté, elle aussi d’ailleurs ordonnée en vue du baptême. Ce texte se trouve à la fin de la première lettre ad Januarium ou plutôt de la première partie de la lettre que nous venons de citer. Epist., liv, n. 9-10, P. L., t. xxxiii, col. 204. Saint Augustin, après avoir longuement examiné la question de savoir s’il faut ou non jeûner le jeudi saint, donne la raison pour laquelle d’après lui il est d’usage en certaines Églises de rompre le jeûne ce jour-là et même de n’offrir le sacrifice qu’après le repas. Hoc tamen non arbitror institutum nisi quia plures et prope omnes in plerisque locis eo die lavare consueverunt. Et quia nonnulli etiam jejunium custodiunt, mane offertur propter prandentes, quia jejunia simul et lavacra tolerare non possunt, ad vesperam vero propter jejunantes. Le paragraphe suivant donne la raison de cet usage universel du bain du jeudi saint. C’est uniquement une raison de propreté, qui s’est étendue d’ailleurs des catéchumènes aux fidèles. Cf. H. Leclercq, article Bains dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie.

Quant au témoignage de saint Augustin, il est d’autant plus précieux qu’il vaut, non seulement pour l’Afrique, mais indirectement pour Milan, où Augustin avait lui même reçu le baptême des mains de saint Ambroise.

2. Haute-Italie. — Nous avons de saint Ambroise, sous le titre De mysteriis liber unus, une exposition des rites du baptême qui nous permet de nous rendre compte de l’usage milanais du ive siècle.

Aussitôt les catéchumènes sortis des fonts et munis de l’onction du chrême, on leur rappelle la scène évangélique du lavement des pieds : Ascendisti de fonte, memento evangelicæ lectionis. De myst., c. vi, n. 31, P. L., t. xvi, col. 398. Le dialogue entre Jésus et Pierre est rapporté tout au long et on en donne un commentaire sur lequel nous aurons à revenir en étudiant le sens et la portée du rite que nous ne songeons actuellement qu’à décrire. Pierre, nous dit-on, était pur de péchés actuels, mais il lui restait à effacer la souillure originelle. Ideo planta eius abluitur, ut hæreditaria peccata tollantur : nostra enim propria per baptismum relaxantur. Ibid., n. 32. Suit une recommandation morale sur l’imitation de l’exemple d’humilité donné par le Sauveur, l’ois on passe au rite suivant en ces termes : Accepisti post hæc vestimenta candida

De cette description de saint Ambroise, on doit rapprocher le passage parallèle du De sacramentis, ouvrage que l’on a aujourd’hui à revendiquer pour le grand évêque de Milan, mais qui reflète certainement les usages de la Haute-Italie et d’une époque à peine postérieure Cf. O. Bardenhewer, Geschichte der altkirchlichen Literatur, 1912, t. iii, p 536.