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LEIBNIZ. LA RELIGION RÉVÉLÉE


ginables pour contribuer en quelque chose au bien public. » Fragment d’un dialogue, Baruzi, p. 378 sq. « La pierre de touche de l’amour de Dieu est celle que saint Jean nous a donnée. Et lorsque je vois qu’on a une véritable ardeur pour procurer le bien général, on n’est pas loin de l’atnour de Dieu. » Inédit, dans Baruzi, p. 340 sq. « Nous ne sommes pas nés pour nous-mêmes mais pour le bien de la société, comme les parties sont pour le tout, et nous ne nous devons considérer que comme des instruments de Dieu, mais des instruments vivants et libres, capables d’y concourir suivant notre choix. » Dans Gerhardt, t. vii, p. 104-108. Et pourtant, on ne peut aimer véritablement ni Dieu ni le prochain sans aussi s’aimer soi-même. Car aimer c’est « trouver son plaisir dans la félicité d’autrui. » Lettre à Burnet, De l’amour de Dieu (1697), dans Dutens, 1. 1, p. 29. Les quiétistes ont tort en admettant que l’amour de Dieu n’existe que dans un état de détachement absolu. Nous n’aimerions pas Dieu si nous ne nous aimions pas nous-mêmes. Et par ailleurs : « plus nous mettons de zèle et de sincérité à chercher le bien commun » ou, « ce qui revient au même », à procurer la gloire de Dieu, « mieux nous travaillons à l’œuvre de notre propre bonheur ». Lettre à Burnet (1699), dans Gerhardt, Philos. Schriften, t. iii, p. 261 ; Lettre au même, ibid., p. 302 ; Lettre, à Joh. Bern. (1695), dans Gerhardt, Math. Schriften, t. iii, p. 165.

Notre félicité est donc inséparable de l’amour de Dieu. Cependant elle ne consistera jamais — pas même dans la vision béatifique — et ne doit point consister « dans une pleine jouissance où il n’y aurait plus rien à désirer et qui rendrait notre esprit stupide, mais dans un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections. » Principes de la nature et de la grâce, § 18 ; Nouveaux Essais, t. II, c. xxi, § 36 ; voir aussi Correspondance avec Arnauld (1690), dans P. Janet, p. 690.

On peut dire que la morale tout entière repose sur la notion de l’amour. « La place d’autrui », nous fait remarquer Leibniz, la préoccupation de ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fissent, tel est « le vrai point de perspective… en morale. » Inédits, dans Baruzi, p. 363 ; Nouveaux essais, t. I, c. ii, § 8.

L’amour est aussi l’essentiel de toute piété, de toute religion, ou plutôt, la religion ne se distingue pas de la morale, ou tout au plus par le culte que nous rendons à Dieu, en tant que nous mettons l’entendement et la volonté au service de la « gloire de Dieu ». Cela peut se faire de trois manières surtout, de même que nous pouvons « de trois manières aller au-devant d’un homme : avec des paroles bonnes, des pensées bonnes et des œuvres bonnes. » « A l’égard de Dieu ces choses se nomment d’abord louanges et sacrifices, puis espérance unie à la foi, et enfin bonnes œuvres ou obéissance ou charité efficace. » « D’où il suit que nous rendons culte à Dieu tantôt comme orateurs et prêtres, tantôt comme philosophes naturels, tantôt comme moralistes ou politiques. » Nous contribuons à la gloire de Dieu comme orateurs et prêtres, quand nous enflammons de l’amour divin les âmes par la parole et les cérémonies. « C’est une grande et sublime œuvre que d’étendre la gloire de Dieu et d’allumer en quelque sorte en chaque homme l’amour de ce Dieu. » Mais on peut aussi adorer Dieu en philosophe et étendre sa gloire. C’est le cas pour « ceux qui découvrent une nouvelle harmonie dans la nature et l’art, et qui font éprouver de façon sensible sa toute-puissance et sa sagesse. »

Et enfin nous adorons Dieu comme moralistes et politiques en tant que nous l’imitons, que nous modifions à sa suite et continuons son œuvre, que nous nous offrons comme instruments du bien universel. ExtraL

d’un Plan de création d’une Société des Arts et des Sciences en Allemagne, dans Foucher de Careil, t. vii, p. 37 sq. ; reproduit en partie, en une nouvelle traduction, dans Baruzi, p. 369 sq.

/II. la religion révélée. — l « La révélation. « La raison est de sa nature une lumière suffisante » pour nous éclairer sur tout ce qui concerne nos rapports avec Dieu. Elle est à vrai dire « le principe d’une religion universelle et parfaite. » « Quand il n’y aurait ni révélation publique, ni Écriture, les hommes, suivant les lumières internes naturelles… ne laisseraient pas de parvenir à la vraie béatitude. » Inédit, daté du 29 sept. 1698, dans Baruzi, p. 347 sq.

Une révélation est-elle donc inutile ? Ce n’est pas l’avis de Leibniz. Pratiquement, les hommes usent mal de leur raison, et c’est pourquoi la révélation du Messie leur a été donnée. Il n’y a en cela rien de contraire à la raison. Tout au plus pourrait-on se demander si une pareille révélation a été nécessaire. Mais ce n’est pas à nous d’en juger. « Nous n’entendons pas toute la conduite de l’univers, Dieu peut avoir des raisons à nous inconnues et je ne vois rien qui l’empêche à faire naître dans le monde une espèce de république dont il soit le chef, pourvue de certains commandements ou lois positives outre celles de la charité que la raison naturelle nous dicte. » Lettre écrite en 1677 et reproduite par Baruzi, p. 169 sq.

Du reste, il n’y a dans les révélations aucun article fondamental autre que celui de l’amour de Dieu ou de l’obéissance filiale, qui appartient à la religion naturelle. Ce qui n’empêche que c’est un devoir pour tous ceux qui en ont le loisir de s’informer de la valeur des religions révélées.

La plus parfaite de toutes est sans contredit la religion chrétienne. Elle est l’expression la plus complète des vérités fondamentales de la « Cité de Dieu ». Jésus-Christ a « divinement bien » exprimé ces importantes vérités et « d’une manière si claire et si familière que les esprits les plus grossiers les ont conçues ; aussi son Évangile a changé entièrement la face des choses humaines ; il nous a donné à connaître le royaume des cieux ou cette parfaite république des esprits qui mérite le titre de Cité de Dieu, dont il nous a découvert les admirables lois, lui seul a fait voir combien Dieu nous aime et avec quelle exactitude il a pourvu à tout ce qui nous touche… que Dieu a plus d’égard à la moindre des âmes intelligentes qu’à toute la machine du monde…, etc. » Discours de métaphysique, § xxxvii ; voir aussi Extrait du Journal anglais de William Penn, Inédits, Théologie, dans Baruzi, p. 332. Mais, afin de donner à la religion chrétienne toute la précision nécessaire, il faudrait lui appliquer l’art critique, ressuscité par la Providence et cultivé, d’après Leibniz, particulièrement en vue d’éclairer la religion chrétienne. Lettres à Huet (1679), dans Gerhardt, t. iii, p. 15. Il convient, selon lui, de distinguer deux espèces de vérités théologiques : « les unes sont d’une certitude métaphysique et les autres d’une certitude morale. Les premières supposent des définitions, des axiomes et des théorèmes, pris de la véritable philosophie et de la théologie naturelle. Les secondes supposent en partie l’histoire et les faits et en partie l’interprétation des textes. Mais pour se bien servir de cette histoire et de ces textes et pour établir la vérité et l’antiquité des faits, la génuinité et la divinité de nos livres sacrés et même l’antiquité ecclésiastique et enfin d’établir le sens des textes, il faut encore avoir recours à la véritable philosophie et en partie à la jurisprudence naturelle. De sorte qu’il semble qu’un tel ouvrage demande non seulement l’histoire et la théologie ordinaire, mais encore la philosophie, la mathématique et la jurisprudence. Lettre à Burnet, Gerhardt, t. iii, p. 193.