Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée
185
186
LEIBNIZ. LA RELIGION NATURELLE


sim habet non efjlcientem, sed deficientem ; donc Dieu ne l’a pas produit.

Le mal métaphysique est à la base de toutes les activités des créatures. Il explique pourquoi le concours de Dieu n’implique pas une imperfection de sa part. La perfection qui est dans l’action de la créature vient de Dieu, mais les limitations qui s’y trouvent sont une suite de la limitation originale et des limitations précédentes survenues dans la créature.

Pour ce qui concerne le mal physique et moral, la principale explication que Leibniz en donne consiste à dire qu’il n’est qu’en apparence, et cela en vertu du point de perspective où nous sommes placés et qui nous empêche de voir l’ensemble. Il déclare formellement qu’il nous est impossible de montrer en détail comment le mal est compatible avec le meilleur projet possible de l’univers. « Chaque fois que nous voyons dans les objets de l’univers quelque chose d’entier, nous sommes frappés de l’ordre qui y règne ; mais lorsqu’on n’envisage que des lambeaux, il n’est pas étonnant que l’ordre n’y paraisse plus. Le système de nos planètes compose un tel ouvrage, parfait lorsqu’on le prend à part ; chaque plante, chaque animal, chaque homme en fournit un, jusqu’à un certain point de perfection : on y reconnaît le merveilleux artifice de l’auteur ; mais le genre humain, en tant qu’il nous est connu, n’est qu’un fragment, qu’une petite portion de la cité de Dieu ou de la république des esprits. Elle a trop d’étendue pour nous, et nous en connaissons trop peu pour en pouvoir remarquer l’ordre merveilleux. > Théodicée, part. II, § 145.

On voit que c’est au fond la solution de saint Augustin, mais adaptée à la métaphysique leibnizienne, en particulier à la doctrine des monades qui expriment l’univers chacune à son point de vue, lequel donne toujours une perspective plus ou moins restreinte. Voir Inédit du 29 sept. 1698, dans Baruzi, p. 347.

Une autre explication du mal doit être cherchée dans la liberté humaine. Dieu, en donnant à l’homme l’intelligence, « le laisse faire en quelque sorte dans son petit département… Il n’y entre que d’une manière occulte, car il fournit être, force, vie, raison sans se faire voir. C’est là où le franc arbitre joue son jeu, et Dieu se joue pour ainsi dire de ces petits dieux… L’homme y fait merveille quelquefois… mais il fait aussi de grandes fautes. Dieu, par un art merveilleux, tourne tous les défauts de ces petits mondes au plus grand ornement de son grand monde. C’est comme dans ces inventions de perspective, où certains beaux dessins ne paraissent que confusion jusqu’à ce qu’on les rapporte à leur vrai point de nue, ou qu’on les regarde par le moyen d’un certain verre ou miroir. C’est en les plaçant et s’en servant comme il faut qu’on les fait devenir l’ornement d’un cabinet. Ainsi les difformités apparentes de nos petits mondes se réunissent en beautés dans le grand, et n’ont rien qui s’oppose à l’unité d’un principe universel infiniment parfait ; au contraire, elles augmentent l’admiration de sa sagesse qui fait servir le mal au plus grand bien, i Théodicée, part. II, § 147.

2° La - r/loirr > de Dieu ou la réflexion des perfections divines dans les âmes. - De la connaissance des perfections divines dans l’ordre du monde naît tout naturellement en nos âmes l’amour de Dieu. Si l’amour consiste à i trouver son plaisir dans la félicité d’an* trui », il suffit d’envisager les perfections divines pour aimer Dieu par-dessus toutes choses. Voir Théodicée, Préface. Car, « plus nous comprenons que c’est non seulement la puissance et la sagesse de l’Être suprême, mais aussi sa bonté qui agit, plus nous nous échauffons

de l’amour de Dieu, plus nous nous enflammons à

imiter quelque peu sa divine bonté et sa parfaite jus Causa bei. J 111.

Mais l’amour de Dieu n’est au fond rien autre chose que l’amour du bien public et de l’harmonie universelle. Si l’harmonie dans le monde est le « rayon direct » par où Dieu nous fait connaître ses perfections, l’amour qui en naît dansles âmes est le « rayon réfléchii par où la créature réagit. C’est dans cette réaction que consiste ce que Leibniz appelle la « gloire de Dieu ». « Entre l’harmonie universelle et la gloire de Dieu il y a la même différence qu’entre corps et ombre, personne et image, radio directo et reflexo, en tant que ce que celle-là est dans la réalité, celle-ci l’est dans l’âme de ceux qui le connaissent. » Foucher de Careil, t. vii, p. 34.

Amour de Dieu, amour de l’harmonie universelle, gloire de Dieu sont donc pour Leibniz des notions identiques.

L’amour est dès lors proportionné à la lumière que nous avons reçue de Dieu et à la perfection de l’esprit. Et « les lumières nécessaires ne manqueront jamais à un esprit » qui cherche sa satisfaction dans le bien général, « Dieu ne refusant jamais sa grâce à ceux qui la cherchent de bon cœur. » Mémoire pour les personnes éclairées, dans Foucher de Careil, Lettres et opuscules inédits de Leibniz, p. 278.

Cependant il dépend aussi de nos efforts personnels. Car « il est à nous de fortifier de jour en jour, ces grandes idées par les nouvelles lumières naturelles que Dieu nous a données exprès pour cela », lumières qui résultent des découvertes merveilleuses qu’on a faites dans la nature et qui nous en montrent de plus en plus la beauté… « Nous sommes des ingrats si nous ne profitons pas de ses bienfaits. » « Il est vrai que la religion et la piété ne dépendent point des sciences profondes, parce qu’elles doivent être à la portée des plus simples. Mais ceux à qui Dieu a donné le temps et les moyens de le mieux connaître et par conséquent de l’aimer d’un amour plus éclairé, ne doivent point en négliger les occasions, ni par conséquent l’étude de la nature. » « L’amour est fondé sur la connaissance de la beauté de l’objet aimé. Plus on connaît la nature et les vérités solides des sciences réelles qui sont autant de rayons de la perfection divine, plus on est capable d’aimer Dieu véritablement. » Extrait du Journal anglais de William Penn, Inédits, Théologie, v, 3, dans Baruzi, p. 332 sq. Le véritable amour de Dieu doit être un amour éclairé* dont l’ardeur soit accompagnée de lumière. » Théodicée, Préface.

L’étude de la nature n’est cependant qu’une condition de l’amour ; celui-ci consiste en ce que nous tâchons à nous conformer à l’ordre universel et à contribuer à sa réalisation par notre propre activité autant qu’il dépend de nous. On n’a pas oublié que l’âme humaine, dont part ce « rayon réfléchi » n’est pas seulement, comme toute monade, essentiellement active, mais douée de cette liberté qui la rend maîtresse de ses actes. Faite à l’image de Dieu, elle aussi trouve sa félicité suprême dans son activité.

Dès lors l’amour de Dieu consiste en ce que « chacun, selon la capacité de son entendement, saisisse et en retour réfléchisse sur d’autres la beauté de Dieu et l’universelle harmonie et ainsi promeuve et augmente, proportionnellement 6 son pouvoir, le rayonnement de cette beauté et de cette harmonie sur les hommes et les autres créatures. Extrait d’un l’Uni de création d’une Société îles Arts ri des Sciences, en Allemagne, publié par Loucher de Careil. t. vii, traduit à nouveau par Baruzi, p..’ION si]., voir aussi Lettre à Ijurnrt (1705), dans Dutens. t. i. p. 270 ; Théodicée, Préface. « Comme aimer Dieu et aimer le bien public revient au même, l’amour suprême que nous portons.i Dieu doit se manifester dans la charité que nous avoni pour le prochain, et nous devons faiir tous 1rs elTorts ima