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1387 JÉSUS-CHRIST ET LA CRITIQUE. LA CONSCIENCE MESSIANIQUE 1383

parut Jésus, les piophéties de l’Ancien Testament l’avait très nettement déterminé. Les critiques rationalistes et lihéiaux ne peuvent donc éviter le problème de la messianité de Jésus. Si Jésus s’est donné pour le Messie, l’envoyé de Dieu promis et annoncé, d’où lui vient la conviction, la conscience de sa messianité? Et puisqu’on repousse d priori le caractère iéel de cette messianité surnaturelle, le problème devient au plus haut point déconcertant pour la critique incroyante.

La thèse catholique.

, 1 est nécessaire, afin de poser un terme, certain de comparaison, de la rappeler en quelques mots, en la déduisant des vérités rappelées au cours de cet article. L’union bypostatique réclame, sinon comme absolument indispensable, du moins comme moralement nécessaire, en l’humanité du Christ la connaissance parfaite de son rapport avec Dieu — conscience filiale — et, de sa mission vis-à-vis des hommes — conscience messianique. — Aussi faut-il admettre que dès le début de son existence, Jésus a perçu nettement, en son âme humaine, et son union substantielle avec la divinité, et sa destinée de Messie et de rédempteur des hommes. Si donc, il y a eu progrès dans la conscience filiale et dans la conscience messianique de Jésus, ce ne peut être que du côté expérimental et inférieur de la connaissance. L’existence en Jésus d’une science proprement humaine et acquise, subordonnée à la science bienheureuse et infuse, mais gardant son exercice naturel, permet de supposer que, à mesure qu’il a grandi en âge, que ses organes se sont développés, que ses réflexions sont devenues plus profondes et plus étendues, voir col. 1144 sq., Jésus a pris une conscience humaine plus parfaite, plus complète, de l’union transcendante qu’il avait avec Dieu et de la mission unique qu’il devait remplir près des hommes. C’est dans ce sens seulement que peutêtre on pourrait dire que des événements comme le baptême, la tentation au désert, la persécution des pharisiens, ont influé sur la conscience du Sauveur relativement à sa mission messianique, ses souffrances futures, et la nature même de sa mission rédemptrice. Peut-être, dis-je, car il n’apparaît point, dans les textes sacrés, que ces événements avaient eu, en réalité, une influence quelconque sur la conscience filiale et messianique de Jésus. Le baptême, par exemple, nous est apparu dans les textes sacrés comme la consécration officielle de la mission messianique de Jésus, voir col. 1183, mais rien de plus. Au contraire « l’existence, en l’humanité sainte de Jésus, d’une conscience supérieure très parfaite, indépendante de ses connaissances acquises, est incontestable au point de vue de la critique évangélique, comme au point de vue de la théologie. C’est un fait que L'Évangile le montre longtemps à l’avance, et sans qu’on puisse attiibuer à cette connaissance une origine humaine, conscient de l'époque précise et des circonstances exactes de sa mise à mort, voir col. 1203. C’est encore un fait que, dès le début de son ministère, le Christ se présente avec pleine conscience de sa dignité messianique et du caractère spirituel de sa mission. Enfin, le Sauveur nous apparaît suniaturellement éclairé, dès l'âge de douze ans, sur sa filiation et sa vocation divines ; voir col. 1182. N’est-on pas dès lors logiquement amené à donner créance à l’auteur de l'Ëpitre aux Hébreux, lorsqu’il nous représente le Christ, dès son entrée en ce inonde, solfiant corps et âme à son Père (Ileb., x, 5-9), pour remplacer les hosties anciennes et racheter les hommes ? i M. I.epin. Jésus. Messie et Fils de Dieu, p. 121 122.

Ajoutons que la révélation progressive que l’on constate dans l'Évangile, relativement à la messianité elle même de Jésus, soir col. 1186 sq., n’est pas un indice d’un progrès intérieur # dans la conscience

que Jésus avait de cette messianité. Le progrès extérieur s’explique, nous l’avons constaté, par de tout autres raisons.

Les hypothèses rationalistes.

1. La messianité

simulée. — Cette solution est celle des critiques ultra-radicaux. Elle affecte deux formes, que nous avons déjà rencontrées dans l’exposé précédent des théories rationalistes concernant la personnalité divine de Jésus. — a) Les uns se contentent d' affirmer que Jésus n’a jamais cru qu’il était le Messie. La messianité de Jésus dérive de la croyance vraie ou simulée de ses disciples à la résurrection : ce sont en réalité les premiers chrétiens qui lui ont décerné le titre de Messie. Nous avons rencontré déjà cette thèse, qui est au fond de la distinction entre le Christ de la foi et le Jésus de l’histoire. On la trouve toutefois directement exposée par Colani, Jésus et les croyances messianiques de son temps, Strasbourg, 2e édit., 186 1 ; par M. Vernes, qui renchérit encore, en affirmant « qu’il n’est point sûr que Jésus ait cru à la venue d’un Messie personnel », Histoire des idées messianiques, depuis Alexandre le Grand jusqu'à l’empereur Hadrien, Paris, 1874, p. 174. C’est, plus récemment encore, la thèse défendue par Wellhausen, Einleitung in die drei erslen Evangelien, Berlin, 1905 ; J. Martineau. Seat of aulhorily in Religion, Londres, 1890 ; Volkmar, Jésus Nazarenus und die erste christliche Zeit, Zurich, 1882, p. 194 ; V. Wrede, Bas Mes&iasgeheimniss in den Evangelien, Gœttingue, 1901, p. 221, 222 ; 226-227 ; E. Havet, Le christianisme et ses origines, Paris, 1881, t. iv, p. 15-16, 75 ; R. Steck, dans les Protestantische Monatschriflen, 1903, p. 91 ; P. Wernle, Die Anjange unscrer Religion, 3e édit., p. 32, etc. — Cette thèse est tellement outrée, si visiblement fausse, que la plupart des théologiens libéraux l’ont îépudiée. On ne peut réussir à la démontrer « qu’en appliquant aux textes évangéliques une critique par trop subjective, o A. Sabatier, art. Jésus-Christ, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, t. vu. « Le baptême, l’histoire de la tentation, la confession de Pierre…, les prophéties relatives à la passion et à la résurrection, la demande des fils de Zébédée, l’entrée messianique (à Jérusalem), la parole des vignerons perfides, le procès devant le sanhédrin et devant Pilate, l'écriteau sur lequel était marqué le motif de la mort, tout cela, avec beaucoup d’autres détails encore, devrait être éliminé de la vie de Jésus, si l’on prétend qu’il n’avait pas la conscience d'être le Messie. » O. Holtzmann, Das Mcssiasbeivustein Jesu und seine neueste Bestreitung, Giessen, 1902, p. 11-12.

b) Les autres vont plus loin encore, et supposent que Jésus, sans se regarder comme le Christ, aurait cependant, sous la pression des circonstances, laissé faire ses adhérents qui croyaient voir en lui le Messie attendu. Il se serait accommode au rôle de Messie. Voir plus haut la théorie de Reiinarus, de Bahrdt, etc. Mais cette hypothèse se heurte au caractère noble et loyal du Sauveur, si opposé à tout ce qui peut paraître mensonge ou duplicité. Aussi celle hypothèse, fausse historiquement, louche, au point de vue moral, à l’absurde aillant qu’au sacrilège.

2. La messianité illusoire. - Jésus sans doute n'était pas plus Messie qu’il n'était Fils de Dieu ; mais il s’est fait, très sincèrement d’ailleurs, illusion à luimême. : sous la poussée d’une évolution lente et progressive qui s’est produite en ses pensées en raison du milieu où il vécut, des idées courantes à son époque, de son tempérament personnel, il a fini par acquérir la conviction qu’il était le Messie, Fils de Dieu. C’est l’hypothèse que Renan a mise en relief avec tout le talent littéraire qu’on lui sait, et avec l’apparence de critique dont il a su entourer sa Vie de Jésus. Le point de départ de loul le travail psychologique accompli