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1343 JÉSUS-CHRIST ET LA THÉOLOGIE. PRÉDESTINATION 01 CHRIST 1344

[de Dieu ], qui lui est né de la race de David selon la chair, ajoute (texte de la Yulgate) : qui prædestinatus est Filins Dei m virtute, secundum spiritum sanctificationis, ex rcsurrectione morluorum Jesu Christi Domini nostri. L’exégèse latine, du moins chez un grand nombre de Pères, acceptant une interprétation de saint Augustin, entend littéralement prædeslinatus dans le sens d’une véritable prédéfinition, prédestination, faite par Dieu de toute éternité. On verra tout à l’heure quelle difficulté dogmatique est inhérente à cette Interprétation. Il est certain que prædeslinatus n’a pas ici ce sens. L’original grec porte simplement ôpiaOévTOç et non ^pooptaOé^Toç, qu’on lit cependant chez Épiphane, p. (, ’., t. xli, col. 969. Le sens de manifesté, déclaré, jugé tel, reconnu par tout le monde, adopté par saint Jean Chrysostome (cf. II Cor., iv, 1 ; vn, 9 ; Col., i, 15-19 ; Phil., ii, 9) et, à sa suite, par Théodoret et les interprètes grecs qui donnent pour équivalent Seix^svtoç, à7109av6Évxoç, xpiGévTOç, ÔU.0X0yv, 6évT0ç, cf. Cornely, Epist. ad Romanos, Paris, 1896, p. 38 sq., Toussaint, Épîtres de saint Paul, Paris, 1913, t. ii. p. 38, ne paraît pas répondre suffisamment au sens primitif ; qui. dans Rom., i, 4, rapproché de Act., x, 42 ; xvii, 31 ; cf. ii, 23 et Luc, xxii, 22, paraît être : « constitué ». Au jugement du dernier interprète, M. J. Lagrange, Épilre aux Romains, Paris, 1916, p. 6, le sens littéral de ce verset, d’ailleurs fort difficile, pourrait être restitué comme suit : « qui a été constitué Fils de Dieu exerçant sa puissance, en raison même de sa divinité, et cela à la suite de sa résurrection d’entre les morts. » En tout cela, rien qui se rapporte à la prédestination, telle que l’entendent les théologiens. Sur les différentes interprétations de ce texte, voir, après Saint Thomas, dans son commentaire et en dehors de Cornély et de l.agrangc, loc. cit., Beelen, Commentarius in epistolam S. Pauli ad Romanos, Louvain, 185 1, et Janssens, De Deo-Homine, t. i, p. 766-769.

Néanmoins l’exégèse latine, accordant à prædeslinatus le sens de prédestiné fournissait aux adoptianistes, un argument en faveur de leur erreur. Si Jésus, comme homme, est prédestiné à être le Fils de Dieu, il ne peut être, comme homme, qu’un fils adoptif. Aussi, prévenant cet abus du texte de saint Paul (encore que son sens littéral ne fournisse aucun fondement et aucun prétexte à l’erreur), les I’ères du XIe concile de Tolède (675) crurent devoir donner de Rom., i, 4, une interprétation dogmatique satisfaisante :

Ilabet igitur in se gemi luiin substantiam dlvinitatis

suse et humanitatis nostra-.

Hic tamen per 1 1 oc quod de

Deo t’atre sine initio prodlit,

natus tantum, nain neque

tactus, neque pwedestinatus

accipitur ; per hoc tamen

quod de Maria vtrgtne nul us

est, et natus et factus et

prsedestinatus esse creden dus est. Denzinger-Bann wart, n. 285.

(Jésus) possède donc en

lui la double substance de sa

divinité et de notre huma nité. Toutefois, en tant qu’il

procède du l’ère sans com mencement, il en est simple ment né, ne pouvant être dit

ni fait, ni prédestiné ; mais

en tant qu’il est né de la

viorne Mario, il faut croire

qu’il est non seulement né,

mais fait et prédestiné.

Par le lait de cetie définition, la question dogmatique et théologique de la prédestination du Christ était posée.

2° fin quel sens Jésus-Christ peut-il être dit : prédeslitli ? Les théologiens du moyen âge et des xvr cl xvii’siècles s’étendent longuement sur cet le question. On trouvera dans Suarez, In l II"" p. Sum.S. Thomee, disp. l., d’abondantes références et de trop copieux développements. Voir également De Lugo, De nuis ici in incarnationis, disp. XXXII ; Salmanticenses, op. cit., disp. XXXIV, el généralement les commentateurs de saint Thomas, in ///"". q. xxiv. En réalité

la question est assez simple, et les théologiens contemporains l’exposent d’ordinaire avec une grande brièveté. Reprenant la distinction proposée par le concile de Tolède, ils affirment que la prédestination à être Fils de Dieu concerne la personne du Verbe incarné, considéré dans sa nature humaine. Sans doute, c’est la personne même du Fils de Dieu, mais lorsque nous parlons de prédestination divine relativement a cette personne, nous n’envisageons cette personne que comme le sujet « vague et indéterminé de la nature humaine qui subsiste en elle, faisant pour ainsi dire abstraction de sa personnalité divine. Cf. Suarez, disp. L, sect. ii, n. 11. Voici comment s’exprime, à ce sujet, le cardinal Billot : i Il faut remarquer que ce prédicat « prédestiné » n’est pas imposé au sujet en raison d’une perfection qui existe dans le sujet lui-même, mais en raison de l’acte qui est dans l’intelligence de celui qui prédestine. La prédestination, en effet, n’existe que dans le prédestinant, non dans le prédestiné. Voir I q. xxiii, a. 2. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle convienne au sujet considéré dans toute la détermination qu’il possède actuellement dans la réalité des choses ; il suffit qu’elle lui convienne sous un certain aspect que peut envisager en lui notre intelligence. Or, notre esprit peut tout d’abord eu considérant la personne du Christ comme homme, l’envisager d’une façon « vague », comme le sujet de l’humanité qui appartient au Christ, sujet qui, dans l’ordre naturel, abstraction faite (par pure hypothèse) de l’incarnation, aurait dû être un sujet créé et purement humain. Et parce que, par une grâce toul a fait singulière, Dieu a décrété que ce sujet ne serait autre que la personne même de son Fils, à laquelle l’humanité serait unie selon la subsistence, il n’est pas inconvenant d’affirmer que ce sujet de l’humanité, c’est-à-dire le Christ en tant qu’homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu. » De Ycrbo incarnato, 1912, p. 355.

Ne pourrait-on pas exprimer la même vérité sous une autre forme, en disant que le Christ -Jésus, prédestiné à être le Fils de Dieu, est ici considéré comme l’œuvre même de l’incarnation, laquelle voulue de Dieu de toute éternité, a été réalisée dans le temps ? Celte formule, que nous empruntons au P. Ch. Pesch, De Verbo incarnato, n. 180, a le grand mérite de poser le piincipe d’où dérivent les solutions à toutes les questions scolastiques agitées par les théologiens relativement à la prédestination du Christ quant à la giâce et quant à la gloire. Cf. Suarez, loc. cil., sect. m. Le sujet de la prédestination est sans doute le Christ en tant qu’homme, mais le Christ-homme est ce sujet précisément parce que le terme de la prédestination est l’union hypostatique, et, en suite de l’union hypostatique, toutes les grâces, tous les dons, toutes lis œuvres surnaturelles qui en dépendent. C’est dans ce sens qu’on doit dire que l’incarnation elle-même a été prédestinée ; prédestinée, la nature humaine à son union avec le Verbe : cf. Suarez, loc. cil., sect. i ; prédestiné, le Chiisl à son rôle de Rédempteur, « le chef de L’Église ; à sa gloire dans le ciel. Cf. Franzelin, De Verbo incarnato. th. xxxviii, schol, 3.

3° La prédestination du Chris/ es/ la cause et le modèle de noire prédestination, non pas dans l’acte divin, par lequel le Christ a été prédestiné, mais en raison de l’intention par laquelle celle prédestination a été voulue par Dieu. Dieu a prédestiné, en effet, le Christ à être Fils de Dieu afin que, nous conformant à l’image du Christ dans notre vie surnaturelle, nous parvenions par ses mérites a la vie bienheureuse. C’est en ce sens que les théologiens affirment que la prédestination du Christ est la cause et le modèle de notre propre pré destination. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol.. IIP, q. xi. a., ’i et I et les commentateurs. Voir PRÉDESTINATION.