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1331 JÉSUS-CHRIST ET LA THÉOLOGIE. SUJÉTION DU CHRIST 1332

lesse et de la douleur sensibles avec la joie béatifique, il suflit que chacune des puissances de l’âme soit laissée à son exercice normal. Ce n’est pas, en effet du côté de l’objet que la vision intuitive exclurait les mouvements inférieurs, car les objets sont différents : l’objet de la joie béatifique est le bien divin possédé par l’âme : l’objet de la passion sensible, tristesse ou douleur, est un dommage que l’on redoute pour soi ou pour autrui. Ce n’est pas non plus du côté du mouvement que s’exclui aient la joie de la vision divine et la passion de la tristesse ou de la douleur sensibles. La vision intuitive exclut tout mouvement organique et laisse donc, à l’égard d’un objet sensible, la possibilité, dans une faculté sensible, d’un mouvement organique qu’aucun mouvement contraire du même genre ne vient contredire. Enfin, ce n’est pas l’influence naturelle de l’opération d’une puissance sur une autre qui pourrait empêcher ici cette coexistence. Dans la vie présente, par exemple, nous ne pouvons exercer notre intelligence qu’en exerçant notre imagination, car physiquement l’idée est solidaire de l’image et réciproquement. Mais en celui qui, comme le Christ, serait à la fois « voyageur » et « cornpréhenseur », les conditions deviendraient toutes différentes et échapperaient aux lois psychologiques connues de nous. La vision intuitive est totalement transcendante par rapport à nos facultés sensibles ; avec ces dernières elle n’a aucun point de contact possible. Et donc, ici encore, l’influence de la vision intuitive sur l’exercice d’une faculté sensible doit être conçue à la façon dont se produit l’influence de la gloire de l’âme sur le corps ; cette influence se produit parce que moralement exigée par l’état des élus. Mais, en Jésus-Christ, parce que les conditions psychologiques sont différentes, cette influence ne doit pas « connaturellement » se produire. Dans l’âme du Christ, " Dieu permet aux puissances inférieures leur exercice normal à l’égard de leur objet propre, et ainsi le Christ était à la fois ravi du ravissement des bienheureux dans la partie supérieure de son âme et livré aux mouvements de crainte et de douleur dans ses facultés inférieures. — b) Ce n’est pas tout. Ce n’est pas encore assez, pour expliquer l’Evangile, de montrer qu’il n’y a pas contradiction à admettre, dans l’âme de Jésus, la joie et la vision intuitive dans l’intelligence, les passions de douleur et de crainte dans les facultés sensibles ; il faut encore admettre que cette douleur, cette crainte, ce sentiment d’abandon, cet ennui, cette tristesse ont pu avoir et ont eu en fait une répercussion dans l’intelligence même et dans la volonté de Jésus. Voir prop. 13 condamnée par Innocent XII, Denzinger Bannwart, n. 1339. Son intelligence n’a-t-elle pas compris toute l’amertume du calice qu’il fallait boire ? Et sa volonté ne répugnait-elle pas tout d’abord à consommer le sacrifice ? Ici encore, il n’est pas contradictoire d’affirmer que, dans la partie supérieure de l’âme, du Sauveur, joie et tristesse, ravissement et crainte, vision béat iflante et sentiment de l’abandon de Dieu ont pu simultanément coexister. Sans doute, la vision intuitive n’a pu, même en taisant connaître au Christ les maux qu’il devait endurer, être pour lui un principe de crainte et de douleur ; car cet te science

de vision ne fait pas connaître les maux en cm mêmes, mais en tant qu’ils sont contenus dans les raisons éternelles de la divine sagesse, et c’est parce qu’ils les connaissent sous « et angle que les élus ne ressentiront aucun chagrin, aucune peine des maux de ceux

qui leur sont chers. Voir Intuitive (1 ision), roi. 2392.

Mais, nuire la science de vision, le Christ possédait la science infuse et la science acquise : et, par Cette double

(ii née. il connaissait les maux de toute sorte, d’abord en eux mêmes, puis en tant </ii’ils pouvaient l’atteindre personnellement. Il connaissait ainsi tes souffrances de

la passion qui devaient être son mal personnel ; il connaissait ainsi tous les péchés des hommes, qui l’écrasaient de leur poids, parce qu’il s’en était volontairement chargé et qu’il s’était substitué, victime volontaire, aux pécheurs. Et la volonté du Christ, sa volonté humaine, ne pouvait naturellement qu’éprouver de la répulsion pour ces maux qui l’accablaient : de là, la tristesse, la douleur morale, le sentiment de l’abandon. La vision intuitive ne pouvait exclure ces sentiments ni être exclus par eux. L’objet formel de la vision intuitive et de la science expérimentale ou infuse est bien différent, donc on objet n’excluait pas l’autre. L’intensité de la vision intuitive est d’ordre purement spirituel et son intensité laisse intacte la puissance spirituelle d’opération dans un ordre inférieur. Enfin les conditions psychologiques du Christ « voyageur » et « compréhenseur » excluaient la répercussion, connaturelle à l’état de terme, de la vision intuitive sur l’exercice naturel des facultés de l’âme. Cf. S. Thomas, 111’. q. xv, q. xlvi. a. 7. Cî.InlV Sent., t. III, dist. XV, q. ii, a. 3 ; Salmanticenses, disp. XXV, dub. viii, et les commentateurs. Parmi les auteuis récents, voir Stentrup, th. lxv : Franzelin, th. xvii, sch. 2 ; Billot, th. xxui-xxiv ; Pesch, n. 257-261. Sur la solution proposée par Melchior Cano et quelques autres théologiens, d’une suspension des effets de la vision intuitive, voir col. 1299. Sur la solution singulière de De Lugo, disp. XXII, sect. ii, n. 26 sq., imaginant que la tri tesse, dans l’âme du Christ, a pu coexister avec la joie béatifique en raison d’une priorité de nature, voir Stentrup, loc. cit.


II. Conclusions théologiques concernant les RELATIONS DU CHRIST ET DU PÈRE.

NOUS n’avons

pas à revenir ici sur la filiation divine et unique du Christ par rapport au Père ; il est le Fils de Dieu, voir ce mot, t. v, col. 2388 sq., et il en est le Fils naturel qui, à aucun titre ne peut être dit fils adoptif de Dieu, voir Adoptianisme, t. i, col. 408-413, et Hypostatique (Union), t. vu. col. 461-168 : 511-512. Quatre points subsidiaires doivent être élucidés ici ; ils sont relatiꝟ. 1° à la sujétion du Christ comme homme au Père ; 2° à la prière que le Christ devait adresser au Père comme homme ; 3° au sacerdoce du Christ et 4° à sa prédestination.

I. SUJÉTION ai : père. — Les droits comme les devoirs sont attribués à la personne en raison de la nature. Là où, comme dans la Trinité, trois personnes ne possèdent qu’une seule nature, il n’existe qu’un droit. Mais dans le Christ, où la nature divine et la nature humaine existent dans l’unité de la personne du Fils de Dieu, des droits comme des devoirs peuvent cl re at tribués au Christ en raison de sa induré humaine. Comme la nature humaine a le devoir en tant que créature de Dieu, de lui être soumise et de lui rendre les hommages divins, la question théologique se pose de la sujétion du Christ selon /" nature humaine, à Dieu le père. s. Thomas. Sum. Iheol. III* q. xx, a. l. Il faut écarter immédiatement deux sens hérétiques de la formule : < Le Christ est soumis au l’ère » ; le sens arien i le Christ comme ïils est soumis au Père », et le sens nestnrien ou tout au moins adopl ianisle : < le Chris ! comme personne humaine, ou comme suppôt humain, est soumis au l’ère. Pour éviter toute équivoque il faut, toul en parlan I de la sujétion du Christ, ajouter le correctif : selon la nature humaine.

En ce sens la doctrine catholique de la sujétion du Christ n’esi que l’écho des prophéties messianiques relatives au » Serviteur de Jabvé ». Voir col. 1121. Cl. Is.. xi. ii, 1 : xi.ix, 5 ; Zach., m. S. Voir le sens adop-I ianisle de. l’expression « serviteur », condamné par Adrien I". Dcnzinger-Bannwart. il. 310. C’est aussi la doctrine expresse de saint Paul dans l’épître aux