Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/583

Cette page n’a pas encore été corrigée
1147
1
JÉSUS-CHRIST. L’HUMANITÉ 1)1" SAUVEUR
1 18

cependant, il faut avouer que toutes ces raisons humaines ne suffisent pas à expliquer le développement intellectuel et moral de Jésus. Elles n’en révèlent qu’un aspeet. celui par lequel le développement se trouve en relation avec Ks événements extérieurs dans lesquels évolue l’existence humaine de Jésus : i Un résultat beaucoup plus grand, écrit encore fort à propos M. Fillion, op. cit., p. 367-368, fut produit, dès sa première jeunesse, par ses réflexions personnelles sur ce qu’il voyait et entendait, spécialement sur son rôle de.Messie et sur ses relations avec Dieu. En vérité, c’est avant tout dans cette direction, du côté de la personnalité de Jésus, que nous devons chercher la raison la plus efficace et la cause essentielle de son développement. Le reste ne pouvait être qu’accessoire et superficiel. Rendons cette justice à la plupart des néo-critiques : ils admettent eux-mêmes qu’il en fut ainsi, et ils le disent parfois en termes excellents : Nous venons, écrivait Auguste Sabatier, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, t. viii, p. 366-367, de marquer toutes les influences au milieu desquelles grandit Jésus….Mais il serait bien vain de vouloir expliquer sa personnalité comme le produit naturel de leur action combinée. Cette explication mécanique ou physiologique ne suffit jamais à expliquer un grand génie… Il reste, dans cette grande individualité, à côté des actions extérieures qui l’ont formée au dehors, une force intime, un nescio quid divinum qui vient du dedans et qui échappe à toute appréciation. Or, cet élément primitif, spontané et divin, a fait l’originalité de Jésus… De quel élément veut-on parler ici ? « La marque distinctive de Jésus est d’avoir apporté dans le monde et conservé jusqu’à la fin une conscience pleine de Dieu et qui ne s’en est jamais sentie séparée. S’il trouvait Dieu si sûrement dans l’Ancien Testament ; s’il le voyait si clairement dans la nature ; c’est qu’il l’avait en lui-même et qu’il vivait intimement avec lui dans un perpétuel entretien. » Il y a, dans ces lignes, quelques idées très justes, et il nous plait de constater que nos adversaires les plus éminents reconnaissent que c’est dans la nature exceptionnelle et unique de Notre-Seigneur qu’on doit chercher le vrai principe de sa croissance. Voir aussi Stapfer, Jésus-Christ avant son ministère, Paris, 1896, p. 186-187 ; Th. Keim, Geschichte Jesu, 1. 1, p. 150. Mais que l’aveu est incomplet, imparfait ! C’est qu’on ne consent à voir en Jésus-Christ que de l’humain, du relatif par conséquent, tandis qu’il possédait de l’absolu, du divin. In divinité même. »

En effet, les relations étroites que Jésus avait avec Dieu n’étaient pas seulement celles que la prière et la méditation établissent entre le Seigneur et ses amis lidèles, — et que « lire de la ferveur, de l’extase des

oraisons du Verbe incarné, des lumières que son esprit’I sou âme y puisaient incessament ! mais celles d’une identité de nature, d’une génération et d’une

filiation* strictement divines. N’allons doue pas chercher sur la terre, dans les hommes ou dans les choses, dans la nature ou dans l’histoire, la raison dernière du développement, de la formation du Christ Jésus. Cherchons-la dans son origine céleste. N’a-t-il pas dit un jour, Joa., vii, 16, que son enseignement était celui du Père qui l’avait envoyé, et n’est-ce pas dans le sens

le plus littéral qu’il (’tait le Fils de ce grand Dieu ? Son éducateur véritable, c’est donc le Dieu vivant ; c’est par conséquent lui-même. Le milieu c’est-à-dire le pays, la famille, l’école, la synagogue, les

i, de l’expérience et des choses, la lecture de la

Bible a certainement contribué quelque peu à

l’éducation morale du Sauveur ; mais son instruction principale, c’est le Verbe. Et nous en arrivons ainsi h la formule théologique que nous trouverons chez les Pères ci les grands docteurs de l’Église et que Mgr Le

Camus a condensée très exactement en ces paroles : « L’homme ne se séparait pas de Dieu au fond de cette personnalité divine. Il ouvrait progressivement, et selon les occasions diverses, l’œil de son âme à la lumière du Verbe qu’il portait essentiellement présente en lui. Il y lisait l’œuvre à accomplir ou la parole à prononcer. Ainsi, à la science naturelle et humaine, S’ajoutait la science divine, à laquelle il avait recours dans les proportions requises par les événements, et d’après les lois prudentes que la Providence traçait elle-même. Or, ces événements étaient toujours conformes aux phases régulières de la vie humaine ; voilà pourquoi l’évangélisle observe que l’enfant croissait en sagesse devant Dieu et devant les hommes, c’est-à-dire cpie, tout en ayant la science infinie de Dieu à son service, l’homme en Jésus-Christ ne s’en servait que proportionnellement à ses besoins, selon les lois du développement de sa nature humaine et de sa mission divine. » La vie de N.-S. Jésus-Christ, Paris, 1883, t. i, ]>. 215.


II. L’IIUMAXITÉ DU SAUVEUR JÉSUS. — Il faut

maintenant reconstituer, d’après les données de l’Évangile et dans la mesure du possible, la physionomie et les caractères de cette humanité qui. depuis l’instant de la conception virginale, appartient au Verbe incarné et s’est développée en lui selon les lois de la croissance normale, habitu inventus ut homo. Toutefois, avant d’aborder cet aspect nouveau de notre élude, il convient d’éliminer une expression peu acceptable et que néanmoins on est souvent tenté d’accepter. On parle parfois de la i personnalité humaine de Jésus » : le sens que recouvre cette expression est, chez les catholiques, très certainement orthodoxe. On veut signifier la physionomie, la nature humaine du Christ. Théologiquement, puisqu’il n’y a, en Jésus-Christ, qu’une seule personne, la personne même du Verbe, voir Hypostatique (Union), t. vii, col. 438, il ne peut y avoir, en Jésus-Christ, qu’une seule personnalité, et ce serait par un abus manifeste de langage quon parlerait de sa personnalité divine et de sa personnalité humaine. Éliminons donc à tout jamais de notre langage théologique une expression dangereuse et impropre, et ne discourons que de l’humanité du Sauveur Jésus, humanité complète, faite de corps et d’âme comme la nôtre, avec toutes les propriétés de l’âme et du corps. Rappelons toutefois que notre étude, présentement, se borne à rechercher dans l’Évangile, la physionomie de cette hum i.iité et laisse délibérément de côté les précisions comme les erreurs qui s’ajoutèrent ou s’opposèrent, au cours des controverses théologiques des âges postérieurs, à la révélation évangélique.

1° L’humanité complète et parfaite du Sauveur Jésus.

— 1. Après ce que nous avons déjà recueilli dans les synoptiques louchant la conception, la naissance, la croissance phj Sique, intellectuelle et morale du Christ, il est impossible de douter de la réalité de Jésus comme homme. Avec saint Luc, nous avons suivi les transformations de Celui qui, d’abord embryon dans le sein de sa mère, est devenu petit enfant, puis enfant, avant de parvenir a l’âgé de la maturité, iii, ’22 : àvTjp. L’humanité complète et parfaite du Sauveur est si manifeste dans tous les faits dont la trame de son existence est formée que les synoptiques ne songent pas a en proposer la vérité d’une manière particulière. Cette vérité éclate manifestement en ce que le Christ est né, a grandi, a vécu comme un homme au milieu des autres hommes, mangeant, buvant, donnant, conversant avec eux. a souffert et dans son âme et

dans son corps les tourments de sa passion douloureuse, est mort très réellement cl. dans sa résurrection, a 1res réellement réuni son âme à son corps, donnant, de la vérité de cette humanité reconstituée,