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JÉSUITES. LA DOCTRINE DE LA GRACE


tions d’importance majeure ou d’importance secondaire, le Père général prétendait-il méconnaître la valeur de cette distinction, se montrer plus exigeant qu’on ne l’avait été ? Quelques-uns l’ont soupçonné, voirR.de Scorrailles, François Suarez, t. i, p. 237. Mais le seul fait de ne pas établir une distinction revient-il nécessairement à la nier, quand les fondements s’en trouvent dans d’autres documents de valeur reconnue ? En tout cas, quand la pensée de saint Thomas reste douteuse, on est libre de suivre l’opinion qu’on jugera plus probable et non opposée à l’ensemble de la doctrine du grand maître. Aquaviva faisait observer à ce propos qu’il ne sullil pas de recueillir de-ci de-là deux ou trois textes, et d’en déduire par voie de conséquence ou d’inconvénient ou par force, ce qu’on pense soi-même, comme si l’on pouvait croire qu’une opinion est vraiment de saint Thomas parce qu’il l’insinue d’une façon quelconque en parlant d’autre chose ; mais il faut voir ce qu’il affirme quand il traite la question ex professo, et examiner soigneusement si l’assertion est en accord ou en désaccord avec l’ensemble de sa doctrine. Aquaviva niait encore qu’on eût le droit d’embrasser une opinion parce qu’on la trouvait dans des livres parus avec l’approbation requise : « Si quelque opinion imprimée a passé jusqu’ici pour probable et qu’elle se trouve soutenue par des gens doctes, on peut bien dire que cette opinion n’est ni erronée, ni nouvelle, ni téméraire ; mais si elle est contraire à saint Thomas, les nôtres n’ont pas le droit de l’adopter. » Il reprochait du reste aux réviseurs, d’avoir été trop faciles dans leurs jugements. Enfin, il faisait siennes plusieurs des mesures d’ordre disciplinaire ou administratif qui avaient été suggérées dans l’enquête commune : faire lire au début de l’année scolaire la lettre De soliditate alque unijormitate doclrinæ, surveiller avec soin l’enseignement des professeurs et tenir compte, en les nommant, de leur attachement à saint Thomas.

Toutes ces prescriptions édictées, Aquaviva concluait qu’il n’y avait pas lieu de dresser un catalogue de propositions jugées probables ou non probables, permises ou prohibées, puisque l’obligation stricte de suivre saint Thomas constituerait désormais pour la doctrine un principe suffisant de solidité et d’uniformité. Il fit toutefois une exception relativement à un problème qui avait été depuis plusieurs années l’objet d’une vive discussion dans la Compagnie. La controverse se rattachait à deux points qui avaient été critiqués dans le De concordia de Molina. D’abord la définition que ce théologien avait donnée de la grâce efficace : Illa dicitur gratin effleax, cui Iwmo consentit. On avait attaqué cette définition comme inadéquate, n’envisageant la grâce efficace que dans son terme, in actu secundo, tandis qu’il fallait l’envisager aussi dans son principe, in actu primo, antérieurement au libre consentement de la volonté, car sous ce rapport, elle rentre comme moyen d’exécution, dans l’ordre de providence spéciale qu’entraîne la prédestination des élus, i.’autre point concernait la manière dont Molina comprenait et expliquait ta prédestination elle-même, en rejetant l’existence en Dieu d’une

volonté antécédente absolue, en vertu de laquelle il aurait décrété la gloire pour un certain nombre d’hommes indépendamment de la prévision des mérites lutins. A cette occasion, les adversaires avaient rappelé la 16’proposition contenue dans l’ordonnance, de saint François de Borgia : Preedestinationis non ilutiir causa ex parte noslra. Voir l.e l tachelet. Auctarium Bellarminianum, p. 100 ; Bellarmin avant son cardinalat, p. 2’.', s, 311.

En 1610, Lessius publia en Belgique sous forme de dissertation apologétique, son petit traité De gratta effleact, avec un appendice De preedestina’tone et repro

balione angelorum et hominum. Il y soutenait la doctrine de Molina sur la prédestination, en se servant de la formule : post prævisa mérita, qui ne se trouve pas dans le De concordia. Sur le point de la grâce efficace, il s’en tenait à la notion donnée par Molina. Dans un opuscule inédit. De gralia congrua, il pose expressément cette question, entendue de la grâce efficace considérée in actu primo ou antérieurement au consentement donné : L’emporte-t-clle, absolument parlant, comme grâce et comme secours, sur la grâce suffisante ? Non, répond-il, n. 4. Dico ergo, in auxilio quod dicitur congruum seu efficax, non necessario requiritur aliquid prævium, nostrum præveniens consensum, quod non sit in auxilio non congruo scu inefficaci. Lessius fut attaqué, spécialement par Suarez et Bellarmin : ils jugèrent cette position contraire à celle de saint Augustin et de saint Thomas. Auctarium Bellarminianum, p. 27, 186 sq. Cette affaire ennuya beaucoup Aquaviva, et l’opposition venant de théologiens qui jouissaient d’un si grand renom de science théologique, et que, personnellement, il estimait singulièrement l’impressionna beaucoup. Dans l’enquête de 1613, on trouve (égarée, semble-t-il, parmi des documents provenant de l’assistance de Germanie), une pièce anonyme intitulée : Loca aliquot S. Thomæ, in quibus videtur inter eos qui salvantur et damnantur, consenliunt et resistunt vocationi, ponere aliquod discrimen antecedens usum liberi arbitrii C’est un recueil de nombreux passages tirés des diverses parties de la Somme théologique et d’autres écrits de saint Thomas. Cette pièce fait comprendre le sens d’une critique de Bellarmin, publiée dans Y Auctarium Bellarminianum. p. 187 ; Quod Lessius non agnoscat ullam discrelionem electorum a reprobis ante prævisa mérita, neque cum sancto Thoma, neque cum Vasque :.

Ces documents et d’autres, qui seront bientôt publiés, prouvent à l’évidence que dans la controverse dont nous parlons il ne s’agissait pas de la grâce efficace in actu primo, considérée dans son entité physique et matérielle, point sur lequel Molina, Suarez, Bellarmin et Lessius s’accordaient, voir Auctarium Bellarminianum, p. 21 sq., il s’agissait de la même grâce considérée dans ce qu’on peut appeler son entité morale, c’est-à-dire le rapport spécial qu’elle doit à la sagesse qui dirige et à la volonté qui tend au but, en tant que secours ordonné par Dieu à produire infailliblement le consentement de l’homme. Lessius ne rejetait pas absolument cette considérai ion. car il allirmait qu’en donnant la grâce Dieu a la connaissance certaine de l’effet futur et qu’il le veut ; mais il n’insistait pas sur cet aspect de la grâce et, incontestablement, il n’expliquait pas la chose comme Suarez et Bellarmin ; ceux-ci. en ellet, tenants de la prédestination à la gloire ante prævisa mérita, rattachaient à l’élection divine préalable le caractère de bienfait spécial qui convient à la grâce efficace in actu prima, ce que Lessius niait, conformément à son système de la prédestination à la gloire post prævisa merila.

Aquaviva jugea qu’il fallait maintenir et nettement affirmer que la grâce efficace considérée même antérieurement au consentement de la volonté, in actu primo, remporte moralement et relativement sur la grâce purement suffisante. Il adjoignit donc à sa lettre du 1 1 décembre 1613 le décrel suivant :

Statuimus et mandamus

ut in tradenda divinn gra ttée effleacitate theologi socleiat is eatn oplnlonem sequan tur, Blve m lectlontbus sive

in publicia disputationlbus,

quæ a plerlsque societatls

Bcrlptorlbus tradltur atque

in controversla de auxilis

û Nous statuons ci ordon nons qu’en traitant de l’efll cacité de la grâce, les nôtres

suivent, soil dans les livres,

soit dans les cours et le

disputes publiques, l’opinion

que la plupart des auteurs

de la Compagnie ont ensei gnée, celle qui dans les cou-