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raies sur l’orientation de l’enseignement, sans entrer

dans le détail des opinions. Pæhtler, Ratio studiorum.

Lntre ces deux attitudes extrêmes, chacune eu sa façon, il y en avait une autre, moyenne et modérée. On la trouve soutenue dans trois écrits provenant de personnages de grande autorité, Salmeron, Bellarmin, et Maldouat. Consulté par Aquaviva, Alphonse Salmeron, l’un des dix premiers compagnons de saint Ignace, exposa son avis dans une lettre datée du 1 er septembre 1583. Epistolæ P. Salmeronis, t. ii, p. 709, dans Monuinenta hislorica S. J. L’uniformité absolue dans l’enseignement théologique et philosophique lui paraît un idéal séduisant, mais que l’expérience démontre irréalisable ici-bas. Il y aurait, pour la Compagnie de Jésus, des inconvénients à s’attacher si étroitement à un seul auteur, qu’elle ne jurât plus que par lui. Saint Thomas est incontestablement le maître parmi ceux qui ont le mieux traité les matières théologiques ; en se pénétrant bien de sa doctrine on ne peut manquer de devenir un théologien solide et vraiment catholique. Il n’en est pas moins vrai qu’on rencontre chez lui des assertions qui ne sont pas communément admises par les autres et qui ne conviennent pas à notre époque ; il ne serait donc pas à propos d’obliger les nôtres à les soutenir toutes, d’autant plus que les dominicains eux-mêmes ne s’y sont pas astreints. Fn parlant ainsi Salmeron pouvait avoir en vue les maîtres de Salamanque comme François de Victoria. Melchior Cano et Dominique de Soto qui, dans leur enseignement et dans leurs écrits, suivaient saint Thomas d’une façon plus large que ne le firent plus tard VolinætBanez. Voir F. Ehrle, Die pâpstliche Encyklika vom 4. Augusl 1879 dans Stimmen aus Maria-Laach, 1880 t. xviii. p. 392, note 1, 355 sq. ; L. Mahieu François Suarez. Paris. 1921, p. 32-35. Deux écueils sont à éviter : d’un côté, admettre les plus faibles arguments d’un auteur, par égard pour les solides raisons qu’il a pu donner ailleurs ; de l’autre, rejeter les bonnes preuves, parce que l’auteur en aura donné de faibles L’obligation d’avoir la Somme théologique pour texte de notre enseignement n’entraîne pas celle de suivre sa doctrine en tout, pas plus qu’en philosophie l’obligation d’expliquer le texte d’Aristote n’entraîne celle de le suivre en tout. Visons d’abord à une doctrine solide, inébranlable, d’où qu’elle vienne. Qu’on veille à ce qu’aucun esprit trop libre ou friand de nouveautés ne se mette à créer des doctrines nouvelles, c’est-à-dire se rattachant par quelque point à celles des hérétiques ou contredisant les premiers principes communément reçus dans les écoles en philosophie et en théologie. Il ne semble pas à propos de dresser un catalogue de propositions prohibées : « on l’a déjà fait, et l’on s’en est mal trouvé. » Du moins, si l’on se décide pour un catalogue de ce genre, qu’il renferme un très petit nombre de propositions, « pour qu’on ne puisse pas dire que nous voulons resserrer l’esprit humain dans des limites trop étroites, et condamner par anticipation des pensées ou des propositions que l’Église n’a point proscrites. » Contentons-nous de rester dans les bornes tracées par les saintes Écritures et les délinitions de l’Église, des pontifes ou des conciles.

Vers la même époque, Aquaviva fit examiner par Bellarmin l’écrit, cité plus haut, où l’on proposait d’imposer aux professeurs de la Compagnie l’obligation de suivre saint Thomas en tout, à l’exception du seul point de la conception de Marie. L’illustre controversiste répondit qu’à sonavis.il fallait imposer saint Thomas à tous comme l’auteur commun, tanquam communis auctor, mais sans ajouter l’obligation de suivre ses idées en tout. La mesure serait, en elle même, moins bonne : car, malgré la supériorité ou l’excellence relative de saint Thomas, on ne peut pas nier qu’en certains points, si peu nombreux soient-ils, d’autres n’aient mieux traité les questions. « Si donc il est licite de prendre dans chaque auteur ce qu’ily a de mieux, pourquoi nous priverions-nous de cet avantage ? » Considération plus valable encore, quand le sentiment contraire à celui de saint Thomas est en même temps plus sûr et plus avantageux pour la foi chrétienne ; ce qui paraît être le cas en plusieurs problèmes. Moins bonne en elle-même, la mesure proposéeserait, en pratique, d’exécution difficile et peut-être impossible. Car elle se heurterait à la manière de voir et d’agir de la plupart des maîtres de la Compagnie. Pourrait-on, sans porter atteinte à leur dignité, les forcer brusquement à enseigner, sur un certain nombre de points, le contraire de ce qu’ils ont enseigné jusqu’ici ? Par ailleurs, la mesure ne paraît pas nécessaire. On met en avant la sûreté de la doctrine et l’union des esprits, si vivement recommandées par saint Ignace. La sûreté de la doctrine peut s’obtenir autrement ; il suffit que, d’un côté, on soit tenu de suivre saint Thomas ordinairement et que, de l’autre, on dresse deux catalogues contenant les opinions du saint docteur dont nous nous écartons, puis celles qui semblent plus probables ou du moins aussi probables que les siennes, et qui seraient déclarées libres. Quant à l’unité des esprits, il faut assurément y tendre de toutes nos forces, mais sans prétendre aller au delà de ce qui est possible icibas, à savoir de s’entendre sur les points où le désaccord entraînerait danger d’erreur pernicieuse. Aussi bien la recommandation de notre bienheureux père Ignace est-elle formulée d’une façon non pas absolue, mais relative, quoad ejus fieri poterit. Bref, « qu’on reçoive saint Thomas comme notre auteur habituel et commun, tanquam ordinarius et communis auctor, mais en exceptant un certain nombre d’opinions. »

Cette manière de voir fut également celle des autres processeurs du colFge romain, consultés par Aquaviva en 1582. Voir X. M. Le Bachelet Bellarmin avant son cardinalat, Paris 1911, p. 500.

Maldonat émit le même sentiment dans l’écrit De ratione theologise et sacrée Scripturse docendee, écrit dont la date n’est pas donnée, mais qu’il semble avoir composé en 1591, comme membre de la commission instituée dans la IVe Congrégation générale. D’après lui, saint Thomas est l’auteur qu’il faut tout d’abord enseigner dans nos chaires : nos Constitutions l’exigent, il l’emporte sur tous les autres théologiens ; sa doctrine a reçu plus que toute autre l’approbation de l’Église. Mais l’obligation ne doit pas être imposée d’une façon si étroite qu’on ne puisse s’écarter de lui en quelques points, nonnullis in rébus. D’ailleurs, les maîtres doivent avoir soin d’affectionner leurs élèves au saint docteur, dont ils expliqueront le texte. Monumenla peedagogica, p. 864, 866.

Aquaviva goûta l’avis exprimé dans ces pièces, comme on le voit par la réponse qu’il fit à Salmeron, le 29 septembre 1582 : « J’ai lu avec plaisir le jugement de votre Révérence relatif aux opinions et à la doctrine des nôtres, jugement conforme à ce que je pensais moi-même. » EpistolæSalmeronis, Monum.liist., t_.ii, p. 716. Le général s’inspira en effet de ces sentiments dans la lettre adressée aux provinciaux en septembre de la même année ; parmi les six règles qu’il y formula pour diriger provisoirement les professeurs dans le choix des opinions, la première était ainsi conçue : « sans juger qu’on doive interdire aux noires, dans renseignement de la théologie les opinions des autres auteurs quand elles sont plus probables et plus communément reçues que celles de saint Thomas, l’autorité de ce maître, la sûreté de sa doctrine, l’approbation plus générale dont elle jouit et les recommanda-