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ÊROME (SAINT). L’INSPIRATION SCRIPTURAIRE]


intelligence mort elle saisir, est condensé dans ce volume. »

2 Inspiration verbale. — Ce que nous avons dit jusqu’ici doit s’entendre de l’origine divine du fond ou des pensées. Les arguments apportés n’ont de valeur évidente que dans ces limites. Quant à la question de l’inspiration verbale, Jérôme, non plus qu’aucun des anciens Pères, ne l’a posée nulle part en termes exprès. Il semble néanmoins incontestable qu’il ne concevait point l’inspiration comme verbale au sens strict, c’est-à-dire comme une révélation ou dictée de chacun des mots, de chacune des expressions. Ceci résulte surtout de la distinction, partout affirmée, d’un double élément dans l’Écriture : d’une part, le sens, les choses exprimées ; d’autre part, les mots, véhicule et vêtement des idées, verba, serjno, littera, si/llabie. Le second élément est de beaucoup le moins important, et c’est le premier que l’on doit avant tout considérer et étudier : L’Évangile réside non dans des mots, mais dans leur signification : Nec pulemus in verbis Scriplurarum esse Evangelium, sed in sensu. In Gai, i, 11, t. xxvi, col. 322. Aussi bien les Septante ont fait leur version sans s’inquiéter de l’ordre des mots dans le texte original ; les apôtres citent l’Ancien Testament d’après le sens et de mémoire, en se permettant des omissions et des intercalations, pourvu que la pensée essentielle n’en soit point altérée ; notre divin Sauveur a usé de la même liberté, parce qu’ « il n’y a pas lieu de se préoccuper des syllabes et des minuties de l’expression, dès qu’on rend fidèlement la vérité des pensées. » In Malach., iii, 1, t. xxv, col. 1564.

Toutes ces remarques sont longuement développées dans la lettre à Pammachius déjà mentionnée, et elles y servent de base aux règles prônées pour la traduction d’un livre quelconque, soit inspiré, soit profane. Epist., lvh, t. xxii, col. 572. « Depuis mon adolescence, dit Jérôme, j’ai toujours traduit non les mots, mais les idées. Une traduction d’une langue dans une autre, si elle est rigoureusement verbale, ad verbum expressa, obscurcit le sens ; ainsi des herbages luxuriants étouflent les semailles. Laissons les autres s’acharner après les lettres et les syllabes et attachons-nous aux pensées. » Et l’auteur ajoute ici une série d’exemples confirmatifs, empruntés partie à la version des Septante, partie à nos Évangiles canoniques. Telle cette parole de Notre-Seigneur, qu’un même évangéliste, saint Marc, dans une même phrase, v, 41, reproduit sous deux formes sensiblement différentes : Talitha cumi, quod inlerpretatur : puella, iibi dico, surge. Telle la prophétie relative au champ du potier, citée par Matth., xxvii, 9, mais bien autrement libellée dans l’ancienne Itala et les Septante, et tout autrement encore dans l’hébreu. Telle aussi la prophétie de Zacharie, xii, 10 : Videbunt in quem compunxerunt, rapportée diversement par les Septante et par Joa., xix, 37. Telle encore cette autre prophétie de Zacharie, xiii, 7 : Percutiam paslorem, et dispergentur ores, qui, sous cette forme, celle de Matth., xxvi, 31, s’écarte à la fois et du texte original et de la traduction grecque. J’omets plusieurs cas analogues. Mais on remarquera la conclusion tirée à propos de Matth., xxvii, 9 : « Qu’on traite donc l’apôtre de faussaire, puisqu’il n’est d’accord ni avec l’hébreu, ni avec les Septante, et puisque, ce qui est plus grave, changeant les noms propres, il a écrit Jérémie au lieu de Zacharie. A Dieu ne plaise cependant que nous disions cela d’un fidèle disciple du Christ, qui s’est mis en peine, non de rechercher les syllabes et les mots, mais d’enregistrer les pensées et les doctrines : cui lUrse fuit non verba et syllabas aucupari, sed sententias dogmatum ponere. »

Assurément, l’accumulation de ces exemples de libre reproduction, ainsi que la très libre interprétation

qui en est donnée, nous est un indice certain du sentiment de Jérôme : on ne voit pas comment elle se concilierait avec la croyance à l’inspiration strictement verbale. Ce n’est pas du reste une fois et dans une seule lettre qu’il a défendu ses principes larges de traducteur et sa pratique conforme ; on retrouve ces deux choses souvent exposées ailleurs, avec application expresse à l’élaboration de notre Vulgate latine. Cf. notamment Epist., evi, 12, 17, 26, 54, 55, t. xxii, col. 842, 843, 846, 856, 85*1 ; Epist., cxxi, 2, ibid., col. 1010 sq. ; in Mich., v, 1, t. xxv, col. 1195. De là les critiques dirigées, contre la version d’Aquila, parce qu’elle est d’une littéralité excessive et parfois ridicule. Epist., Lvn, 11, t. xxii, col. 578. Enfin, si Jérôme avait considéré les mots de la Bible comme inspirés, concevrait-on qu’il aitdéclaré, Epist., xxii, t. xxii, col. 416, en avoir éprouvé, à de certains moments, un dégoût très prononcé : Si quando prophetas légère cœpisscm, sermo horrebat incultus ?

L’ensemble de ces considérations paraît décisif. Cependant on a voulu faire de Jérôme un partisan de l’inspiration verbale ; cf. Sanders, Études sur saint Jérôme, p. 127 sq. ; et nous ne nierons pas qu’il ne soit, jusqu’à un certain point, responsable de ce dissentiment. Tantôt, en effet, In Eph., iii, 5, t. xxvi, col. 418, dans la locution cohxredes et concorporales et comparlicipes, il n’ose pas supprimer « bien qu’elle alourdisse la phrase latine », la conjonction copulative et, « parce qu’elle se trouve dans le grec, et que tous les mots de l’Écriture, toutes les syllabes, tous les détails sont pleins de sens : singuli sermonrs, syllabæ, apices, puncta in divinis Scripturis plena sunt sensibus. » Tantôt, s’adressant à ses moines de Bethléem, il dit, Tract, de Ps. XC, Anecd. Mareds., t. iii, part. 2, p. 117, que « tous les mots de l’Écriture sont autant de mystères, qu’ils sont profondément mystérieux, ces termes qui paraissent si vulgaires aux mondains. » Tantôt, écrivant à Paulin, qu’il veut amener à étudier la Bible de préférence aux auteurs profanes, il fait l’éloge du Lévitique, en disant que « chaque sacrifice, voire presque chaque syllabe, et les ornements du grand-prêtre, et tout l’ordre des lévites y reflètent des mystères célestes ; » puis il ajoute que « V Apocalypse de Jean renferme autant de mystères que de mots et que sous chacun de ceux-ci se cachent des significations multiples : lot habet sacramenta quoi verba, in verbis singulis multiplices latent intelligenliæ. o Epist., un, t. xxii, col. 545 et 548.

Ces passages et quelques autres semblables ont pu donner le change sur la véritable pensée de leur auteur, du moins sur sa pensée personnelle et définitive. Mais il serait déraisonnable d’attribuer à des expressions détachées et occasionnelles, dont l’une ou l’autre traduit peut-être une simple impression de jeunesse, plutôt acceptée que raisonnée, une valeur absolue, une portée en contradiction ouverte avec des exposés théoriques et réfléchis, et aussi avec la pratique constante du même écrivain. Or, s’il est un endroit où la question est traitée ex professo et longuement motivée, c’est bien la lettre Lvn, à Pammachius, dont nous avons vu le sens clair et catégorique. En outre, la première des citations qui semblent faire difficulté ci-dessus remonte à l’année 386 ou 387, c’est-à-dire à une époque où Jérôme suivait encore de confiance en bien des points Origène, qui fut, on le sait, favorable à l’inspiration verbale ; cf. Zôllig, Die Inspiralionslehre des Origenes, p. 76- ^2 : et il n’est ni étonnant ni douteux qu’il ait puis, à cette source plus d’une opinion hâtive et provisoire, que ses études personnelles et surtout le maniement des textes devaient un jour corriger. D’autre part, une légère exagération dans une exhortation à des moines et dans les deux extraits de la lettre à Paulin