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JEROME (SAINT). L’INSPIRATION SCRIPTURAIRE


du Dieu inspirateur, et cette intluence se fait sentir ( à l’intelligence, en l’éclairant, à la volonté, pour la mouvoir et la diriger. Quelle est la nature intime de cette influence ? La réponse de Jérôme à cette question sera nécessairement, comme toute explication d’un fait surnaturel, de teneur plutôt négative ou exclusive que positive. Nous avons déjà vu comment il repousse la théorie montaniste, qui réduirait l’écrivain sacré au rôle d’automate inconscient ; nous l’avons entendu affirmer avec énergie que le prophète, c’est-à-dire le sujet inspiré, garde la maîtrise de son esprit. L’opinion contraire se heurte aux déclarations les plus nettes de l’Écriture. Xe lisons-nous pas.Prov., xvi, 23 : Sapiens intelligit quie proferl de ore suo et in labiis suis portabit scientiam ?

1. Influence sur l’intelligence.

Ce n’est pas sans raison que les prophètes sont souvent appelés des voyants. Dieu, en effet, les éclaire en les favorisant d’une vision. Cette vision, essentiellement acte de l’esprit, non des organes corporels, peut être plus ou moins parfaite, ainsi que le montre la comparaison entre les prophètes de l’Ancien Testament et ceux du Nouveau ; elle peut se produire progressivement dans le même sujet et relativement au même objet, comme dans la scène longuement racontée Dan., viii, mais quelque parfaite et développée qu’elle soit, elle sera toujours incomplète, fragmentaire par rapport à la science de Dieu, laquelle seule est vision intégrale et se communique à chacun suivant la mesure déterminée dans les impénétrables conseils de la Providence. In Mien., ii, Il sq., t. xxv, col. 1176 ; In Dan., vm, 15 sq. et xii, 8 sq., t. xxv, col. 537, 538.

On comprend, d’après cela, que la vision inspirée implique, de la part de Dieu, une manifestation de vérité, un enseignement, en d’autres termes, une révélation. Voilà pourquoi, quand l’apôtre commande, c’est le Saint-Esprit qui commande : In apostolo Spirilus Sanctus preecipiens audiatur. Epist-, cxxiii, t. xxji, col. 1049. Saint Paul, lors même qu’ilne donne qu’un conseil, 1 Cor., vii, 40, le rattache à l’autorité divine, lui assigne une origine divine : Puto. autem, quod et ego spiritum Dei habeam. D’où il suit que, s’il dit ailleurs, Gal., v, 2 : « Ecce, ego Paulus, dico vobis, ceci doit s’entendre « non de paroles qui seraient de Paul seul, mais de paroles émanant tout d’abord de Dieu : non quasi Pauli tantum verba accipienda, sed Domini. » In Gal., v, 2, t. xxvi, 394. Il y a révélation non seulement quand il s’agit d’événements futurs humainement inconnaissables, mais aussi pour des choses d’ailleurs connues de l’hagiographe. Ceci est même un postulat de l’attribution à l’Écriture de sens profonds et mystiques. « Parce que la Loi est spirituelle, elle ne saurait être comprise sans une révélation : Lex enim spiritualis est, et revelatione opus est ul intelligatur, ac revelala jacie Dei gloriam contemplemur. » Epist., mi. t. xxii, col. 543. Cf. Schade, op. cit., p. 27.

Mais comment s’opère cette révélation ? Comment est-elle présentée à l’hagiographe ? Les modes de communication et d’adaptation sont divers ; Dieu ne la réalise pas partout uniformément. Mais si elle est parfois accompagnée d’apparitions extérieures, s’il peut se faire qu’elle soit introduite et aidée par des images ou tableaux qui frappent les sens, elle reste toujours essentiellement intérieure. C’est dans ce sens que Dieu ne s’adresse pas aux oreilles de l’hagiographe, mais à son coeur : Vides quoniam Deus non in auribus, sed in corde loquitur. Tract, de ps. LXXXIV. Anecd. Mareds., t. iii, part. 3, p. 43. Jérôme insiste beaucoup sur cette intériorité, il y revient fréquemment et il l’appuie de nombreuses citations scripturaires, par exemple, Zach, i, 9 : Et angélus qui loquebatur in me, et Ps., lxxxiv, ’.) : Audiam, quid loquatur

in me Dominas. Le livre d’Amos, dit-il, contient des discours qui ont été vus par le prophète, et cette expression n’a de sens qu’à condition de la rapporter à la perception par les facultés internes, puisque aussi bien nous avons des organes corporels pour entendre les discours, mais non pas pour les voir. In Hab., n, 1, t. xxv, col. 1289 ; In Amos, i, 1, ibid., col. 991. Ainsi, les hagiographies sont vraiment ŒoStSaxToi, et l’action intime du Saint-Esprit en eux se traduit justement par l’un ou l’autre des verbes suggerere, insinuare, inspirare. Quidquid enim aliis exercitatio et quolidiana in Lege meditatio tribuere solel, illis Spiritus Sanctus suggerebat, et erant, juxta quod scriptum est, 6eoSîSaxTot ; — verba insinuai apostolis ; — doctrinam, quam Moyses non tam sua sponte quam Deo irascente (alias : jubente) primum, dehinc inspirante susceperat. Epist., i.ni, t. xxii, col. 543 ; In Eccles., i, 1 et xii, 11, t. xxui, col. 1013, 1113.

L’affirmation de l’action intime de Dieu dans l’hagiographe est si fréquente, si variée, si énergique, qu’on soupçonnerait Jérôme de pencher vers le montanisme, s’il ne s’en défendait ailleurs surabondamment. On devra lui tenir compte des déclarations reproduites plus haut, col. 930, pour interpréter équitablement des propositions comme celle-ci : Apostolum Spiritu Sanclo plénum repente in verba quæ in se Christus loquebatur erupisse, In Ephes., v, 14, t. xxvi, col. 529 ; et cette autre, mise dans la bouche du prophète Michée : Ulinam de meo sensu loquerer et Sanctum Spiritum non haberem. In Mich., n, 11, t. xxv, col. 1174. Même observation relativement à quantité de formules qui se représentent plus ou moins souvent, v. g. : Spiritu Dei loqui, prophelico Spiritu pronuntiare, prophetare Spiritu Sanclo, Dei Spiritum sequi. A vouloir trop insister sur ces expressions et d’autres semblables, on les séparerait, contre tout droit, de leur contexte soit immédiat soit éloigné, on les mettrait en contradiction avec la doctrine que l’auteur professe ailleurs, lorsqu’il traite la question directement et de propos délibéré.

Remarquons enfin que, d’après Jérôme, la lumière de l’inspiration n’est point permanente, elle ne peut pas être conçue sous forme de qualité inhérente au sujet, l’Esprit saint n’éclaire l’intelligence de l’hagiographe que dans les moments où celui-ci doit parler ou écrire en son nom. De là, dans Ezéchiel en particulier, cette formule fréquente d’introduction, pour annoncer le retour, la réapparition de l’influx inspirateur : El faclus est sermo Domini ad me dicens. In Ez., xxxv, 1, t. xxv, col. 333 ; Tract in Marc, i, 1-12, Anecd. Mareds., t. iii, part. 2, p. 327.

2. Influence sur la volonté.

Dieu, qui éclaire, dilate et fortifie l’intelligence de l’hagiographe, meut en même temps sa volonté ; il doit la mouvoir en vue de la dilïusion de la révélation. « L’esprit du Seigneur s’empare d’abord du prophète, puis il le pousse et l’oblige à prophétiser. » De fait, l’impulsion divine se traduit fréquemment par un ordre formel ; mais elle est aussi maintes fois implicitement contenue dans le caractère et le but de la révélation, et cette circonstance nous explique pourquoi Jérôme insiste moins sur l’action motrice de Dieu que sur son action illuminatrice.

Le plus souvent, la motion d’en haut tend d’abord à la prédication orale de la parole révélée. Zacharie se donne expressément comme envoyé par Dieu, pour parler en son nom. « Parlant par l’Esprit de Dieu et en vertu d’une mission divine, » Michée, pour cette raison, revendique la qualité de véritable prophète. Habacuc « a reçu l’inspiration prophétique, pour réprimander les transgresseursde la loi et enseigner la doctrine du Seigneur. » In Zach., vi, 8, In Mich. H, Il sq., In Hab., i, 12, P. L., t. xxv, col. 1444, 1174, 1283. Mais que la parole de Dieu soit consignée par