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JEREMIE. LES DOCTRINES RELIGIEUSES


religion apparaissait avant tout comme une fonction sociale, que les responsabilités individuelles étaient absorbées dans celles qui pesaient sur l’ensemble. Il y a une part de vérité dans cette assertion ; c’est en tant qu’elle concerne la masse, toujours prédisposée à se laisser eut rainer dans les mouvements généraux et à en suivre les vicissitudes. Mais sous sa forme universelle, la proposition est erronée. Il y eut alors des âmes vigoureuses dont la vie religieuse fut aussi personnelle qu’à toute autre époque ; les noms d’Élie, d’Elisée, d’Isaïe, beaucoup d’autres encore suffisent à le prouver. Une chose est vraie néanmoins. En un temps où l’état du peuple ne semblait pas tout à fait désespéré, où les arrêts divins même les plus austères paraissaient susceptibles de délais indéfinis, les réformateurs cherchaient à ramener dans la bonne voie la nation tout entière ; tel fut par exemple l’objectif d’Isaïe et d’Ézéchias. Mais, dans lés jours de Jérémie, toutes les illusions étaient tombées ; les règnes de Manassé et de Joakim avaient révélé l’irrémédiable perversité, l’irréductible obstination d’Israël. Avec la nation actuelle il n’y avait plus rien à faire ; on ne pouvait compter, Jérémie se plaît à le répéter, sur un retour sincère et définitif Dès lors les âmes religieuses n’ont qu’à se replier sur elles-mêmes, qu’à se suffire à elles-mêmes. Résignées, se sentant en pleine antithèse avec leurs contemporains, elles accepteront leur isolement, elles voudront en profiter pour rendre plus intense leur vie intérieure et leur attachement à celui qui s’est fait leur appui. » Touzard, L’âme juive… dans Revue biblique, 1917, p. 456-457.

Par sa parole et par son exemple Jérémie va se trouver le guide de ces âmes que les conditions de vie religieuse imposées par la captivité, vont orienter vers des préoccupations d’une vie plus intérieure. Le prophète, en effet, n’avait pas seulement la conviction d’un impossible retour à Dieu du peuple dans son ensemble, mais il était encore obligé par l’hostilité de ses compatriotes, des prêtres plus particulièrement, à se tenir à l’écart de toute religion officielle, si bien que la nécessité d’une union personnelle et intime avec Dieu s’imposait à lui chaque jour davantage. lahvé devient ainsi pour lui l’ami, le confident, « il le sent vivre non seulement dans les profondeurs terrifiantes du sanctuaire ou sur la plate-forme du char symbolique ; il le sent vivre à ses côtés, au dedans de son âme. Il pourrait presque dire avec saint Paul : « En lui nous vivons, nous nous mouvons, en lui nous « sommes ! » Touzard, toc. cit., p. 458. De ce sentiment à la fois vif et profond de la présence de Dieu, de cette confiance et de cet abandon en sa miséricorde, le livre de Jérémie offre, à d’innombrables reprises, l’expression aussi variée que saisissante. Les déportés de Juda n’auront qu’à la reprendre à leur compte pour trouver, dans leur isolement, loin de tout ce qui dans le temple et ses cérémonies leur rappelait la splendeur de lahvé, le réconfort moral et spirituel qui les gardera du découragement. Des souffrances analogues évoqueront le souvenir de celui qui, pour n’en être pas terrassé, exalta sa foi et sa confiance au Dieu d’Israël et de Juda.

La personne et l’œuvre de Jérémie poursuivront longtemps encore leur action bienfaisante sur les âmes pour les maintenir ou les ramener dans la fidélité.

Ces remarques sur la nature des rapports du prophète avec [ahvé nous aideront à mieux comprendre son enseignement sur le culte et Le péché.

Le culte.

Pour servir le Dieu juste et bon,

vivant et personnel, que nous fait connaître le livre de Jérémie il faut lui rendre mi culte avanl tout intérieur ; droiture de cœur, respecl et observation de la loi morale, tels sont les premiers devoirs du

fidèle de lahvé. « Écoutez la parole de lahvé, vous tous, hommes de Juda, qui entrez par ces portes pour adorer lahvé. Ainsi parle lahvé des armées : Réformez vos voies et vos œuvres et je vous ferai habiter dans ce lieu, vii, 2-3. » « Pratiquez le droit et la justice, xxii, 3. Celui qui sonde les reins et les cœurs veut le don de soi par la confiance : « Béni soit l’homme qui se confie en lahvé, et dont lahvé est la confiance, xvii, 7. » Par ses paroles non moins que par son attitude, inspirée par une foi profonde et un abandon complet à la miséricorde divine, Jérémie prêche la nécessité d’un culte vraiment intérieur.

Est-ce à dire qu’il ignore les pratiques d’un culte extérieur, ou même qu’il les condamne, ainsi que le prétendent bon nombre d’exégètes, d’accord en cela, semble-t-il, avec les passages où le prophète manifeste fort peu d’estime pour les sacrifices et en blâme l’usage : « Vos holocaustes ne me plaisent point, vos sacrifices ne me sont pas agréables, vi, 20. » « N’intercède pas en faveur de ce peuple, dit Jahvé à Jérémie, quand ils jeûneront je n’écouterai pas leurs supplications, quand ils m’offriront des holocaustes et des offrandes je ne les agréerai pas, xiv, 11-12. » Mais c’est surtout vii, 21-23 qui établirait la condamnation des sacrifices par le prophète, et même son ignorance des prescriptions rituelles, données aux Hébreux, lors de leur sortie de la terre d’Egypte : « Ainsi parle lahvé des armées, Dieu d’Israël : Multipliez holocaustes et sacrifices et mangez-en la chair ! Car je n’ai rien dit. rien prescrit a vos pères, au jour où je les fis sortir de la terre d’Egypte, sur les holocaustes et les sacrifices. Mais voici ce que je leur ai prescrit, je leur ai dit : Écoutez ma voix, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple, et vous marcherez dans toutes les voies que je vous prescrirai pour votre bien. » N’est-ce pas faire de la seule obéissance à lahvé la base de l’alliance et la condition du salut, à l’excluison de toute offrance de sacrifice ? N’est-ce pas d’ailleurs répéter les enseignements des deux grands prophètes du viii c siècle qui exprimèrent la même réprobation et opposèrent eux aussi la pratique du droit et de la justice à la célébration des fêtes et des sacrifices ? Amos, v, 21-24 ; Isaïe, i, 11-17.

Condamnation du culte extérieur et origine récente des prescriptions rituelles du Pentateuque, telle serait donc la double conclusion qui se dégagerait des différents textes cités de Jérémie. S’impose-t-elle’? Nullement. Au sujet de la première de ces conclusions qu’il suffise de remarquer que, s’il est question sans doute de l’inutilité du rite extérieur, il s’agit uniquement de celui dont l’accomplissement n’est pas accompagné des dispositions intérieures qui lui donnent sa véritable signification ; sans elles, en effet, il devient une vaine cérémonie, expression mensongère de sentiments inexistants et comme telle, odieuse à lahvé. Le prophète lui-même, d’ailleurs, nous Indique suffisamment dans quel sens il convient de l’entendre, lorsqu’il fait aux sacrifices leur place dans le culte des temps messianiques, xvii, 26 ; xxxi. Il : xxxiii, 17-21, et lorsqu’il insiste sur l’importance du sabbat, xvii, 19-27. Quant à la seconde des conclusions que l’on prétend tirer du texte de

Jérémie, relativement aux prescriptions mosaïques sur les holocaustes et les sacrifices, il faudrait, pour l’admet Lie. affirmer, au préalable, que le prophète du vii c siècle a ignoré ou contredit la législation du code de l’Alliance et plus spécialement les prescriptions de l’Exode, xxii, 29-30 ; xxra, 18-19. De plus le contexte et les passades analogues laissent entendre que l’expression : i je n’ai rien prescrit » n’est pas à prendre a la lettre et en toute rigueur ; > ce n’esLpas une négation absolue, niais relative, qui laisse de CÔté un objet secondaire, pour mettre en relief le