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49 JEAN DAMASCÈNE (SAINT). INFLUENCE SUR LA THÉOL. OCCIDENTALE 750

avec le dogme du Filioque.CS. Hugo Læmmer, Scriptorum Gracie orthodoxe bibliolheca selecla, Fribourg, L864, t. i. Nicephori Blemmidæ oratio ad Jacobum Bulgarie episcopum, 6, p. 116-117. A l’époque du concile de Florence, Bessarion reprit la même thèse, et ferma la bouche aux théologiens grecs, qui objectaient toujours aux catholiques, le fameux passage : « Nous ne disons pas que le Saint-Esprit estèy. toù ïtoû.i De processione Spiritus sancti, P. G., t. clxi, col. 396.

Il ne faut pourtant rien exagérer. Ce serait une complète illusion de se figurer que le Damascène joua à Byzance le rôle qu’ont tenu en Occident Pierre Lombard et saint Thomas d’Aquin. Il n’a pas eu de disciples et de commentateurs comme en ont eu ces maîtres. Son Exposé de la Foi orthodoxe et quelques autres de ses écrits ont été cités par les théologiens byzan ins comme étaient cités les ouvrages des autres Pères. On ne lui a pas fait lapart plus belle. Sa synthèse théologique n’a pas été le point de départ d’une scolastique vigoureuse développant la pensée du maître et la prenant pour guide. Elle est restée une borne patristique, que Photius n’a dépassée sur un point que pour se fourvoyer. Il serait inexact de dire que la Foi orthodoxe a été le manuel de théologie où les clercs byzantins apprenaient la doctrine ; car il n’y avait point de séminaires à Byzance ; et s’il y a eu quelques écoles de haut enseignement, dans lesquelles la théologie était enseignée conjointement avec d’autres sciences sous le nom vague de philosophie, on n’a pas démontré que l’ouvrage de Jean ait été le manuel de choix. Quand les Grecs et les Russes dissidents ont eu*ties écoles théologiques pour le commun des clercs — et cela ne remonte pas au delà du xviie siècle — ce n’est pas la Foi orthodoxe qui a servi de manuel de théologie, mais de maigres résumés de scolastique occidentale s’inspirant surtout de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, et souvent écrits en latin. Jusque vers le milieu du xvin'e siècle, les théologiens de la Russie méridionale se servirent de manuels latins ad mentent sancti Thomee, sauf pour les questions controversées entre les deux Eglises. A partir du milieu du xviiie siècle, saint Thomas fut supplanté par Théophane Prokopovitch, qui servit aux Russes de la scolastique protestante, et compta beaucoup plus de vrais disciples que n’en a jamais eus saint Jean Damascène. De nos jours encore, les manuels de théologie des Russes et des Grecs tiennent beaucoup plus de la théologie catholique et de la théologie protestante, mêlées à doses variables suivant les auteurs, que de l’enseignement de celui qu’on a bien improprement appelé le saint Thomas des Grecs.

C’est sans doute dans la période ancienne beaucoup plus que dans la période moderne, que notre docteur a exercé une véritable influence chez les peuples slaves, qui, durant tout le moyen âge, furent beaucoup moins cultivés que les Grecs, et n’eurent point à leur disposition toutes les richesses possédées par ceux-ci. Sur la fin du ixe siècle, ou au début du Xe, Jean, exarque de Bulgarie, traduisit en paléoslave V Exposé de la foi orthodoxe, en y faisant quelques suppressions, en y ajoutant plusieurs passages des anciens Pères De Bulgarie, cette traduction passa de bonne heure chez les Busses. Le plus ancien ins. qui nous en soit parvenu se trouve a la bibliothèque synodale de .Moscou, et remonte au moins au xir siècle. Au XVIe siècle, le prince Kurbsky donna du même ouvrage une version en lanque paléo-russe. Au siècle suivant, Épiphanc Slavinetsky († 1675), fit paraître une nouvelle traduction slave, qu’il inséra dans une collection d’ouvrages patristiques publiée à Moscou en 1665. Le métropolite de Moscou, Ambroise, crut devoir, au

xviir siècle, refaire le même travail, qui eut deux éditions. Au xix'e siècle, il a paru deux traductions du De fuie orthodoxa, en langue russe, la première par les soins de l’Académie ecclésiastique de Moscou, en 1844 ; la seconde due à Alexandre Bronzov, professeur à l’Académie ecclésiastique de Pétrograd, qui a accompagné son édition de savantes notes et commentaires. Pétrograd, 1894.

Influence sur les autres Orientaux.

Les écrits de

saint Jean Damascène n’ont pas seulement été connus du monde gréco-slave. De bonne heure, et peut-être de son vivant, la plupart d’entre eux, sinon tous, furent traduits en arabe, et c’est dans cette langue seulement que quelques-uns d’entre eux paraissent s’être conservés. Le savant Théodore Abou-Kurra († 820), qui a écrit à la fois en grec et en arabe, est fier de se proclamer le disciple du Damascène, et a prolongé son influence dans le monde syrien. Il ne semble pas, du reste, qu’il ait pu le connaître autrement que par ses ouvrages.

Les littératures arménienne et géorgienne ont été également enrichies par des traductions d’ouvrages de notre docteur, mais il est bien dillicile de préciser le degré d’influence que ces traductions ont exercé sur la culture théologique d’Églises encore si mal connues. Cf. A. Baumstark, Die christlichen Literaturen des Orients, Leipzig, 1911, t. ii, p. 79 et 104.

Influence sur la théologie occidentale.

L’influence

de siint Jean Damascène sur la théologie occidentale a été tardive. Ce n’est qu’en 1150 que le Pisan Burgondio à la demande du pape Eugène III, donna de l’Exposé de la foi orthodoxe, et peut-être aussi de la Dialectique et du Livre des hérésies, une première et mauvaise traduction latine, qui n’a jamais eu les honneurs de l’imprimerie. Elle parut juste à temps pour être connue de Pierre Lombard, avant la publication des Livres des Sentences, dont le plan, dans les grandes lignes, rappelle la division de la Foi orthodoxe. Saint Thomas d’Aquin et les autres scol astiques, jusqu’au xvie siècle, n’en eurent pas d’autre entre les mains. Quant aux autres écrits du saint docteur, ce n’est qu’à partir du xvie siècle qu’on commença à les publier et à les répandre, et il fallut attendre le début du xviiie siècle pour en avoir une édition à peu près complète.

Quelle a été, au juste, la part d’influence exercée par la Foi orthodoxe sur les théologiens scolastiques, et en particulier sur la synthèse thomiste ? La question, à notre connaissance, n’a pas encore été approfondie, et mériterait de l’être. Nul doute que cette influence n’ait été réelle, mais on a l’impression qu’elle ne fut jamais bien profonde. Le Damascène, du reste, ne fut pas toujours compris, par exemple, sur la procession du Saint-Esprit. Cf. saint Thomas. Summa theol. I », q. xxxv), art. 2 ad 3<™>. Dans l’article Prédestination du Dictionnaire Apologétique de la Foi catholique, t. iv, col. 227, le P. A. d’Alès fait remarquer que saint Thomas, dans sa doctrine sur la prédestination, combine la conception augustinienne avec la pensée damascénienne. La distinction entre les deux volontés de Dieu, antécédente et conséquente, si clairement énoncée dans la Foi orthodoxe, est courante chez les grands scolastiques. et a passé dans nos manuels de théologie. Inutile de faire remarquer, après ce que nous avons dit plus haut, que saint Jean Damascène est un partisan résolu de la prédestination et de la réprobation post præuisa mérita, et que sur la question des rapports entre la grâce H du libre arbitre, il favorise ouvertement ce dernier. Si sa doctrine avait été plus étudiée et mieux connue au moyen âge, nul

doute que cette doctrine n’eut exerce uni’influence

salutaire contre les excès du prédestinatianisme Somme toute l’influence du Damascène tanl sur