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JEAN CHRYSOSTOME (SAJNT), VIE

L’évêque d’Alexandrie envoya d’abord à Constantinople saint Épiphane de Salamine. Celui-ci avait quatre-vingt-dix ans ; mais il était toujours prêt à la défense de l’orthodoxie. On lui représenta que Jean, en donnant asile aux moines de Nitrie, avait manifesté quelque attachement à l’origénisme. Il eut la faiblesse de le croire. À Constantinople, saint Épiphane, après avoir refusé l’hospitalité de l’archevêque, se mit en devoir de recueillir des signatures contre Origène. Il alla même jusqu’à annoncer une grande réunion à la basilique des Apôtres : il devait y fulminer contre Origène, contre, les moines de Nitrie, et contre Jean lui-même. Au dernier moment, cette assemblée fut interdite, et Épiphane dut reprendre le chemin de son île : il mourut en route.

Mais il avait déjà accru le trouble des esprits, et multiplié les forces des ennemis de Jean. Théophile d’Alexandrie jugea le moment favorable pour agir personnellement contre son adversaire. Il débarqua à Constantinople au début de 403, amenant avec lui une trentaine d’évêques égyptiens.

Selon le rescrit impérial qui l’avait convoqué, il venait en accusé, pour comparaître devant un synode présidé par Jean et s’expliquer au sujet des mesures violentes prises par lui contre des moines de Nitrie. Bientôt son habileté, les présents généreux qu’il distribua à propos, l’influence qu’il sut prendre sur l’impératrice, renversèrent les rôles. Peu après son arrivée, ce fut lui, qui présida un concile réuni à la villa du Chêne près de Chalcédoine, et qui procéda au jugement de Jean. Palladius, Dialog., 8. Celui-ci avait d’avance récusé l’autorité de ses adversaires : il refusa de paraître au Chêne. On le condamna, en son absence, à la déposition ; et comme parmi les charges relevées contre lui se trouvait l’accusation de lèse-majesté, on remit à l’empereur le soin de le châtier. Cf. Photius, Bibl., ux, P. G., t. cm. col. 1(15-113, dont le témoignage repose sur les actes authentiques du synode. Arcadius prononça une sentence de bannissement. Jean se livra aux soldats chargés de le conduire en exil, après avoir publiquement protesté contre le jugement des évêques, P. G., t. lii, col. 427-430, et fut envoyé à Prænetum sur le golfe de Nicomédie. Mais le peuple de Constantinople n’acceptait pas d’être séparé de son évêque, des émeutes accueillirent le retour de Théophile qui fut obligé de repasser le Bosphore ; un accident mystérieux, qui survint dans le palais, effraya la famille impériale. Palladius, Dialog., 9. Eudoxie demanda et obtint d’Arcadius des lettres de rappel en faveur de l’exilé ; elle lui écrivit elle-même pour protester de son innocence et déclarer qu’elle n’était pour rien dans tout ce qui venait d’arriver. Jean se laissa ramener. Il fut porté dans Constantinople par l’acclamation de la multitude enthousiaste : l’homélie qu’il prononça alors, P. G., t. i.ii, col. 413-448, est comme un chant de triomphe et de reconnaissance à son Église fidèle.

Mais la paix ne devait pas durer bien longtemps. Les rancunes amassées contre Jean étaient trop puissantes pour avoir cédé de façon définitive ; et l’évêque lui-même n’avait pas un tempérament capable de garder des ménagements dans la lutte qu’il avait entreprise contre le mal. Dès le mois d’août 403, l’hostilité était plus vive que jamais entre lui et l’impératrice. Socrate, Hisl. EccL, vi, 18, P. G., t. lxvii, col. 71 G ; et Sozomène, Hisl. Eccl., viii, 20 ; P. G., t. lxvii, col. 1568, racontent que Jean, prêchant sur la décollation de saint Jean-Baptiste, commença son homélie en ces termes : « De nouveau Hérodiade fait rage, de nouveau elle s’emporte, de nouveau elle danse, de nouveau elle demande à recevoir sur un plateau la tête de Jean. » Nous avons en effet, dans les œuvres de Jean une homélie qui débute ainsi, P. G., t. lix, col. 485-490, mais qui n’est certainement pas authentique. On ne sait donc pas au juste quels furent les vrais discours de l’archevêque. Il est sûr qu’il fit des imprudences. Théophile d’autre part faisait partout crier que le retour du patriarche était contraire aux canons de l’Église. Cette situation troublée persista jusqu’aux premiers mois de 404. Le samedi-saint il y eut du sang versé dans l’église et les fidèles de Jean durent célébrer la fête de Pâques en pleine campagne. Palladius, Dialog., 8. Enfin, le 9 juin 404 l’empereur lança contre le patriarche un nouvel ordre d’exil. Celui-ci partit définitivement le 20 juin, après avoir adressé un suprême adieu aux évêques qui lui étaient restés fidèles, à ses diaconesses, à tous ses chers fidèles.

L’exil et la mort. — Le lieu assigné à Jean pour sa nouvelle résidence était la petite ville de Cucuse, en Arménie mineure, « l’endroit le plus désert de toute la terre. » Epist., ccxxxiv, P. G., t. un, col. 739. Le voyage du proscrit fut long et pénible. Après une halte de quatre semaines à Nicée, la traversée de la Galatie et de la Cappadoce apporta à l’archevêque de grandes fatigues physiques et de grandes tristesses morales ; le mauvais accueil des évêques d’Ancyre et de Césarée l’affligea particulièrement. On parvint enfin à Cucuse, où l’on put essayer de s’installer. Pendant ce temps, Arsace, un frère de Nectaire, le prédécesseur de Jean, avait été intronisé patriarche de Constantinople : après sa mort qui ne tarda pas, il fut remplacé par un certain Atticus (14 novembre 405). Arsace et Atticus profitèrent de leur autorité pour faire la vie dure aux partisans de Jean, qui restaient nombreux et fidèlement attachés à son souvenir. Une persécution qui rappelait les plus mauvais jours de Néron et de Domitien s’abattit sur eux. Palladius, Dialog., 10. En vain, chercha-t-on à intéresser l’Occident à la cause de l’exilé. Théophile d’Alexandrie avait le premier écrit au pape Innocent pour l’informer des événements (404). Jean lui écrivit à son tour, en réclamant son appui. Innocent cassa la sentence du concile du Chêne, et pensa un instant réunir un nouveau synode pour reprendre l’examen du procès ; finalement, ce synode ne put se tenir ; le pape se contenta de rompre la communion avec les adversaires de Jean et de consoler de son mieux, par ses lettres affectueuses, le malheureux exilé.

Le séjour de Jean à Cucuse fut très pénible. Rien ne manquait à ses souffrances : ni les rigueurs du climat, ni les fréquentes invasions des barbares Isauriens qui l’obligèrent quelque temps à se réfugier dans la citadelle d’Arabissos, ni le délabrement de sa santé qui, toujours délicate, devenait de plus en plus chancelante. Pourtant, il s’attachait à la vie et continuait à s’intéresser à tout : à la conversion des Goths dont il s’était beaucoup occupé à Constantinople, aux missions de Phénicie, à la situation religieuse d’Antioche, et par-dessus tout à son Église de Constantinople dont il persistait à se regarder comme le chef, et d’où il recevait de fréquentes nouvelles. Ne pouvant plus prêcher, il écrivait : la plupart des lettres qui constituent sa correspondance datent de ces années d’exil, et témoignent de la vivacité de son zèle toujours en éveil. D’ailleurs, on venait le voir, dans sa solitude, ses anciens amis d’Antioche. ses fidèles de Constantinople, lui rendaient de Fréquentes visites, d’où ils rapportaient une énergie renouvelée pour la lutte.

Le gouvernement impérial finit par prendre ombrage de cette popularité persistante. Il fut décidé que Jean quitterait Cucuse et serait transféré à Pityonte, localité situé sur le Pont-Euxin, au pied du Caucase, tout à fait en dehors des voies de communications et du monde civilisé. Mais l’exilé ne « levait pas arriver en ce pays sauvage. Sous la garde de deux soldais, il