Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/290

Cette page n’a pas encore été corrigée

561 JEAN SAINT), DOCTRINE GÉNÉRALE DU QUATRIÈME ÉVANGILE

562

blable aux autres, sur qui était descendu au jour de son baptême une vertu sortie du Dieu suprême. D’après d’autres témoignages (Hippolyte, Pseudo-Tertullien, Épiphane), il semble que Cérinthe ait soutenu plutôt des théories judaïsantes, analogues a celles des ébionites. en même temps qu’un certain docétisme. Devant l’imprécision et le peu de cohérence de ces traditions concernant Cérinthe, on est en droit de se demander si saint Irénée n’aurait pas prêté à cet hérétique des doctrines qui appartiennent en réalité à un gnosticisme plus développé. Calmes, op. cit., p. 62 ; G. Bardy, Cérinthe dans Revue biblique, 1921, p 344-373. Il est en tous cas excessif de prétendre retrouver dans le quatrième évangile l’intention précise de réfuter les erreurs cosmologiques, théologiques et christologiques, qu’Irénée attribue à Cérinthe (thèse soutenue par H. Cladder, Unsere Evangelien, Fribourg-en-B., 1919, p. 223 sq.), et de prêter à saint Jean une intention polémique contre l’hérésie, qui n’apparait nulle part avec netteté dans son évangile. Dans sa première épître, saint Jean dénonce, il est vrai, les faux docteurs qui nient que Jésus soit le Christ. I Joa., ii, 23 et iv, 2-3. Mais, bien qu’il y ait une relation étroite entre cette épître et l’évangile, on n’a pas de raison de leur attribuer un but et un caractère absolument identiques. Certes on est en droit de penser que l’apôtre, par son enseignement, se proposait de prémunir ses disciples contre les fausses doctrines qui commençaient à se répandre. Mais ce n’est point par une réfutation systématique qu’il l’a fait, c’est par le simple exposé d’une doctrine où la foi chrétienne revêt, sans en être altérée, la forme d’une philosophie religieuse grandiose : il donnait ainsi satisfaction aux besoins de l’esprit grec, épris de spéculation, et détournait par là même les intelligences des théories aventureuses, incompatibles avec le véritable Évangile, auxquelles avait donné naissance le judaïsme combiné avec l’hellénisme, première ébauche, forme judaïque de ce qui devait être plus tard le gnosticisme.

b) Plusieurs commentateurs ont pensé que, en écrivant son évangile, saint Jean avait eu l’intention, tout au moins secondaire, de combattre les Juifs. Le caractère antijudaïque du quatrième évangile a déjà été signalé plus haut, mais on a vu qu’il ne doit pas être exagéré. On restreindrait beaucoup trop le dessein de l’évangéliste en voyant dans son œuvre un écrit apologétique dirigé contre les Juifs, tel que fut plus tard le Dialogue de saint Justin. S’il s’était proposé directement de répondre aux objections des Juifs et de les convaincre de la messianité de Jésus, Jean aurait sans doute fait appel au témoignage des Écritures, à l’argument des prophéties ; or il en use beaucoup moins que les autres évangélistes. Il semblerait plutôt que les chefs de la nation juive ayant été les ennemis acharnés de Jésus, et les Juifs restant les adversaires déterminés du christianisme, saint Jean les ait pris comme type des incrédules, de ceux qui refusent de voir la lumière venue dans le monde, d’autant que leur incroyance était plus coupable, puisque c’était au milieu d’eux, en leur présence, que le Verbe incarné avait accompli les œuvres merveilleuses qui témoignaient de sa mission divine. Quant au judaïsme lui-même, à sa valeur religieuse, saint Jean n’en fait pas même un objet de discussion. C’est pour lui un fait établi que le privilège d’Israël est périmé, n’existe plus, que les vrais adorateurs sont ceux qui servent le Père en esprit et en vérité, et que le salut est offert à tous les hommes sans distinction. A ce point de vue, c’est d’universalisme qu’il faut parler pour caractériser le quatrième évangile plutôt que A’anli judaïsme.

c) On a cru trouver dans la façon dont le quatrième

évangile parle de Jean-Baptiste, insistant sur ce qu’il n’était que le précurseur de Jésus, à qui il rendit à plusieurs reprises un témoignage éclatant, la preuve d’une intention polémique de l’évangéliste contre les Juifs qui auraient, suppose-t-on, exploité contre le Christ le grand souvenir laissé par Jean-Baptiste, On a même imaginé, Baldensperger, Dcr Prolog des vierler Evangeliums, 1898, qu’il existait dans le milieu asiate où parut le quatrième évangile, une secte de disciples de Jean-Baptiste qui voyaient en lui le Messie, et que l’évangéliste se serait proposé comme but direct de combattre cette secte. Cette dernière hypothèse ne trouve qu’un fondement insuffisant dans le fait, mentionné par les Actes des Apôtres, xviii, 24-xix, 6, que saint Paul rencontra à Éphèse des chrétiens qui ne connaissaient que le baptême de Jean, car rien n’indique que ceux-ci aient formé une secte. Quant aux passages du prologue, i, 7, 15, et des premiers chapitres du quatrième évangile où on soupçonne l’intention de rabaisser Jean-Baptiste pour grandir Jésus, ils ne font que reprendre et exploiter les déclarations du précurseur lui-même, rapportées par les synoptiques, Marc, i, 7-8 ; Matth., iii, 11-12 ; Luc, iii, 15-18, et l’intention polémique, si elle existe en ces passages, ne serait en tous cas qu’indirecte et secondaire.

Idée centrale du quatrième évangile.

L’évangile

de saint Jean s’ouvre par un prologue, qui contient toute une théologie de l’Incarnation. Pour préciser l’idée centrale de l’évangile, il importe de déterminer d’abord le rapport de ce prologue avec le reste du livre, et de savoir dans quelle mesure cette théologie, avec l’idée du Logos qui la résume, domine les récits et les discours qui constituent le fond de l’Évangile.

1. Exprimée dans le prologue.

La plupart des commentateurs estiment que le prologue donne la clef de tout l’évangile, et qu’il y faut chercher l’idée maîtresse de l’œuvre entière. Harnack a soutenu l’opinion contraire, Ueberdas Verhdltnissdes Prologs desvierlen Evangeliums zum ganzen Werk, dans Zeitschrifl fur Theol. und Kirche, 1892, p. 189-231 : d’après lui, le prologue serait presqu’une pièce rapportée, sans lien intime avec le reste du livre, dont la christologie ne se rattacherait en aucune façon à l’idée du Logos, cette idée, empruntée à Philon et à la philosophie alexandrine, n’ayant été introduite au début de l’évangile que pour lui gagner des lecteurs dans les milieux hellénistes. Sans aller aussi loin que Harnack, Stanton, op. cit., p. 166179, estime lui aussi que le prologue n’a été composé qu’après l’évangile, que la doctrine du Logos n’a pas exercé d’influence sensible sur l’ensemble du livre ; elle est plutôt le couronnement de la christologie johannique qu’elle n’en est le point de départ. Cette manière de voir tient pour une grande part à ce que l’on interprète trop la doctrine johannique du Logos comme un décalque de la théorie philonienne, dont en effet on ne trouve pas de traces dans le quatrième évangile. Mais si l’on considère, avec les meilleurs commentateurs, l’idée johannique du Logos simplement comme l’expression technique d’une théologie de l’Incarnation (préexistence céleste du Fils de Dieu) qui a ses points d’attache dans les livres sapientiaux de l’Ancien Testament et se dégage assez nettement des épîtres de saint Paul, et de l’épître aux Hébreux, expression empruntée peut-être par l’évangéliste à la théologie alexandrine, ou du moins choisie par lui parce qu’elle était familière aux esprits cultivés formés par l’hellénisme, on doit reconnaître que cette théologie est sous-jacente à l’évangile tout entier, qui en est l’illustration par les actes et les discours de Jésus. Il est vrai que l’idée du Logos n’est pas reprise explicitement dans le corps de l’évangile, mais, d’une part, l’auteur a choisi de préférence pour les rapporter , » s plus particulièrement révélateurs de la puis-