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541 JEAN (SAINT), LE QUATRIÈME ÉVANGILE ET LA TRADITION 542

1920, qui attribuent au quatrième évangile une valeur historique égale à celle des synoptiques, mais qui ne croient pas que saint Jean puisse en être l’auteur direct.

La critique radicale.

Ses conclusions essentielles

sur les écrits johanniques peuvent se résumer dans les propositions suivantes : 1. La tradition qui attribue a saint Jean le quatrième évangile est sans valeur. Cet évangile ne peut émaner d’un témoin oculaire, et par conséquent l’apôtre Jean n’a été pour rien dans sa composition. — 2. L’évangile, les épîtres et l’Apocalypse, qui probablement n’ont pas le même auteur, ont été mis délibérément sous le patronage de l’apôtre Jean par le groupe de croyants qui en a assuré la diffusion en Asie. — 3. La préoccupation de l’évangéliste est d’ordre didactique et apologétique, non d’ordre historique. L’auteur ne s’appuie sur aucune tradition particulière, mais ne fait qu’utiliser la tradition synoptique en l’adaptant à son but par voie d’allégorie. Les discours représentent la pensée de l’évangéliste, non celle du Christ.

D’accord sur ces conclusions d’ensemble, les critiques radicaux ne le sont plus, quand il s’agit de déterminer avec précision l’origine des écrits johanniques, leur but et les circonstances de leur composition. Tandis que les uns attribuent le quatrième évangile à un chrétien d’origine palestinienne, peut-être à ce Jean l’Ancien, dont il est question dans certains témoins de l’ancienne tradition ecclésiastique et qui n’aurait rien de commun avec l’apôtre Jean, ainsi Bousset, Ofjenbarung Johannis, 1896, un plus grand nombre y voient l’œuvre d’un chrétien inconnu, d’origine judéoalexandrine, initié aux idées de Philon, J. Réville, Le quatrième Évangile, Paris, 1901 ; Loisy, Le quatrième Évangile, Paris, 1903 ; certains vont jusqu’à l’attribuer à un gnostique, Cérinthe ou Ménandre d’Antioche, Kreyenbuhl, Das Evangelium der Wahrheit, Berlin, 1900, tandis que Bacon, The jourth Gospel in research and debate, New-Haven, 1910, fait du premier auteur de l’évangile un chrétien éphésien, dans le genre d’Apollos, qui interprétait l’Évangile dans l’esprit de saint Paul. Les divergences ne sont pas moindres quant à la formation de la théologie johannique, qu’on suppose s’être constituée sous l’influence prépondérante, tantôt du gnosticisme, tantôt de la philosophie hellénique et de Philon, tantôt enfin des mystères païens.

Depuis quelques années les recherches de la critique radicale sur le quatrième évangile ont pris une direction un peu différente. On a mis en cause l’unité même du livre, et on a cherché à y distinguer des couches successives de rédaction, un document primitif ayant été l’objet d’un travail rédactionnel assez complexe, dont l’addition du c. xxi n’est que la marque la plus apparente. Dans cet ordre d’idées, on doit citer surtout les travaux de Wellhausen, Das Evangelium Johannis, Berlin, 1908 ; de Spitta, Das Johannesevangelium als Quelle der Geschichle Jesu, 1910 ; de Wendland, Die urchristlichen Literalurformen, 1912 ; de M. Loisy enfin qui, dans la première édition de son commentaire du quatrième évangile, admettait l’unité et l’homogénéité du livre, tandis que, dans la seconde édition (Paris, 1921), il consacre son principal effort à en déterminer la composition complexe, ainsi que les étapes successives par lesquelles est passée la rédaction.

Opinion moyenne.

Parmi les critiques qui ont

soutenu au sujet de l’origine et de la valeur du quatrième évangile des opinions de caractère moyen, il faut citer d’abord Renan, qui défendait le séjour de saint Jean à Éphèse, lui attribuait l’Apocalypse, tandis que l’évangile serait l’œuvre d’un de ses disciples, et, admettant pour les faits une tradition parti culière venant de l’apôtre Jean, rejetait à peu près complètement l’historicité des discours. Harnack, Die Chronologie der altchrist. Literatur, Leipzig, 1897, soutient que les écrits johanniques sont dus à un mSme auteur, qui ne serait autre que Jean l’Ancien, lequel, disciple de l’apôtre Jean, consigna la tradition de celui-ci dans son évangile. Nombre d’autres critiques reconnaissent aussi l’existence d’une tradition johannique véritablement historique utilisée dans le quatrième évangile, bien que celui-ci n’ait pas l’apôtre Jean pour auteur et contienne d’autres traditions de valeur moindre, par exemple : Clemen, Die Enlstehung des Johannes evangeliums, Halle, 1912. Quelques-uns de ceux qui contestent l’unité du quatrième évangile, trouvent dans l’hypothèse documentaire un moyen de rattacher en quelque mesure ce livre à saint Jean et de garantir la valeur historique d’une partie de son contenu. C’est ainsi que le document primitif, qui serait à la base du quatrième évangile, est attribué par Spitta à l’apôtre Jean ; de son côté, Wendt, Das J ohannesevangelium, Gœttingue, 1900, et Die Schichten im vierten Evangelium, Gœttingue, 1911, trouve le noyau primitif de l’évangile dans un recueil de discours dont le fond serait authentique et qui pourrait avoir eu saint Jean pour auteur, tandis que les récits qui servent de cadre aux discours viendraient d’un rédacteur plus tardif, et n’auraient qu’une valeur historique bien inférieure.

IL Le quatrième évangile et la tradition. — 1° Les témoignages.

Il convient d’étudier séparément

les témoignages explicites qui se rencontrent à partir du milieu du iie siècle, et les allusions plus fugitives que l’on peut relever à l’époque précédente.

1. Seconde moitié du IIe siècle. — Les données traditionnelles sur l’origine et le caractère du quatrième évangile sont résumées dans un texte des Hypolyposes de Clément d’Alexandrie, rapporté par Eusèbe, H. E., t. VI, c. xiv, n. 1, P. G., t. xx, col. 552 : « Jean, le dernier, voyant que les choses corporelles étaient racontées dans les évangiles, composa, sur la demande de ses amis et avec l’assistance de l’Esprit, un évangile spirituel. » Il n’est pas douteux que dans ce passage il s’agisse de l’apôtre Jean, et Clément marque nettement le caractère particulier, que, dès cette époque, on attribuait au quatrième évangile. La tradition fixée dans ce texte est d’ailleurs une tradition plus ancienne, car Eusèbe note que les renseignements donnés par Clément lui venaient des « presbytres d’autrefois ». Ibid., n. 5.

— C’est aussi d’une ancienne tradition, celle de l’Église d’Asie, que nous trouvons l’écho dans le témoignage de l’évêque de Lyon, saint Irénée, qui, après avoir parlé des trois premiers évangiles, ajoute : « Ensuite Jean, le disciple du Seigneur, qui a reposé sur son sein, publia, lui aussi, l’Évangile pendant son séjour à Éphèse d’Asie », Conl. hær., 1. III. c. i, n. 1, P. G., t. vii, col. 815, et rapporte ensuite que Jean l’écrivit pour détruire les erreurs semées par Cérinthe et les Nicolaïtes, ibid., t. III, c. xi, n. 1, col. 879. Il y a tout lieu de croire qu’Irénée tenait ces données des « presbytres » d’Asie, dont il se plaît à invoquer le témoignage, et dont il écrit : « Tous les presbytres qui ont frayé en Asie avec Jean, le disciple du Seigneur, témoignent que Jean leur a transmis ci s choses, car il demeura avec eux jusqu’au temps de Trajan. Ibid., t. II, c. xxii, n. 5, col. 785. Que le Jean dont il est ici question soit bien un apôtre, cela semble ressortir de ce qu’ajoute Irénée : « Quelques-uns même d’entre eux n’ont pas vu seulement Jean, mais aussi d’autres apôtres, i l J armi ces presbyties, [renée, ’il plusieurs endroits, se réfère plus particulièrement à un personnage, avec lequel il semble avoir eu des relations plus familières, et qui n’est autre probablement que l’évêque de Smyriic, saint Polycarpe, dont Irénée, en sa