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    1. JANSÉNISME##


JANSÉNISME, LA QUESTION Dl FORMULAIRE

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condamne, a son tour, comme étant l’expression fidèle de la doctrine de Jansénius ; il appelle « perturbateurs de l’ordre public et enfants d’iniquité ceux qui ne craignent pas de révoquer en doute, ni d’affaiblir et d’énerver les constitutions apostoliques par des interprétations captieuses » et il déclare tout cela après avoir examiné les propositions avec toute la diligence possible.

2° La question du formulaire et du « silence respectueux’. — La nouvelle constitution d’Alexandre VII fut présentée à L’assemblée du clergé le 17 mars 1657. L’assemblée prit plusieurs décisions et, conformément à la constitution, elle décréta d’ajouter un formulaire que les prélats devraient faire signer dans un mois ; afin que ce formulaire fut uniforme, on se servirait d’une formule unique. Celle-ci était déjà vieille de plusieurs années, ayant été élaborée dès 1655 par l’archevêque P. de Marcn et le P. Annat. Remaniée elle donna le texte suivant : « Je me soumets sincèrement à la constitution du pape Innocent X du 31 mai 1653, selon son véritable sens qui a été déterminé par la constitution de N. Saint-Père le pape Alexandre VIF du 16 octobre 1656. Je reconnais que je suis obligé en conscience d’obéir à ces constitutions et je condamne de coeur et de bouche la doctrine des cinq propositions de Corn. Jansénius contenue dans son livre intitulé Augustinus que ces deux papes et les évêques ont condamnées, laquelle doctrine n’est point celle de saint Augustin que Jansénius a mal expliqué^ contre le vrai sens de ce saint docteur. »

Alors Pascal abandonna ses attaques contre les casuistes (Provinciales, iv-xvi) et dans les deux dernières Lettres Provinciales (23 janvier et 24 mars 1657), il revint a la question de la grâce. Il y dit que les amis de Jansénius condamnent les cinq propositions, mais que ces propositions ne se trouvent point dans Jansénius et que, par suite, il n’y a aucune hérésie à dire qu’elles ne sont pas dans Jansénius. Sauf pour les faits directement révélés dans l’Écriture ou dans la tradition, l’Église n’est point infaillible ; elle peut se tromper notamment pour le fait de savoir si les cinq propositions sont dans Jansénius et dès lors on n’est pas tenu de s’en rapporter à elle. Pascal affirme que le pape actuel n’a pas fait examiner ce point depuis son pontificat et que son prédécesseur avait fait examiner si les propositions étaient hérétiques et non pas si elles étaient de Jansénius. Insigne mensonge, écrit Sainte-Beuve.

La fameuse question de (ail parut alors dans toute son acuité, spécialement dans les écrits d’Arnauld qui se montre vraiment infatigable : depuis sa Lettre à un duc et pair (24 février 1655) jusqu’au 1 er janvier 1669, on compte au moins 140 travaux divers publiés dans ses Œuvres complètes sous des titres variés : Avis, Remarques, Observations, Répliques, Réponses, Réfutations, Relations, Remontrances, Réflexions, Mémoires, Considérations, Lettres, etc.

C’est lui qui, le 17 mars, adressa à Pavillon, évêque d’Alet, l’écrit intitulé : Cas proposé par un docteur touchant la signature de la constitution d" Alexandre VII et du Formulaire du clerné. Œuvres, t. xxj, p. 1-13. 11 y posait trois questions capitales :

1. Ayant été jusque-là persuadé que les propositions condamnées ne sont point dans Jansénius, ni condamnées en son sens, le docteur est-il obligé de changer de sentiment et de croire le contraire ? Il ne le peut faire, si on ne le persuade qu’il s’est trompé et, bien loin de l’en persuader, ce qui s’est fait à Rome et à Paris le convainc du contraire, car on ne lui marque point dans le livre les endroits où sont ces propositions et on se contente de condamner le sens de Jansénius, sans dire ni expliquer quel il est et ainsi les raisons qui ont fait croire que Jansénius, sur cette matière,

n’a point d’autre sens que celui de saint Augustin touchant la grâce efficace, lui paraissent aussi évidentes que jamais. Enfin tout cela n’est qu’une question de fait sur laquelle un théologien n’est point obligé de démentir ses propres yeux et sa propre lumière pour condamner un évoque qu’il juge innocent et dont il sait que le livre n’a jamais été canoniquement examiné.

2. Si le docteur n’était pas obligé de changer de sentiment, peut-il néanmoins signer le formulaire ? Quelques personnes veulent le lui persuader, mais il n’a pu encore comprendre qu’on put, sans blesser la sincérité chrétienne et sacerdotale, signer un acte qui porte la condamnation du livre d’un évêque catholique, lorsqu’on n’adhère point dans son coeur à la condamnation et qu’on croit en sa conscience qu’elle est injuste.

3. Si ce docteur se peut taire en cette rencontre ou, si lui et les autres qui sont dans ces mêmes sentiments, ne peuvent point représenter avec respect et modestie que le pape n’a pas été bien informé en cette occasion, pour empêcher que les ennemis de la doctrine de saint Augustin et de la vraie grâce de Jésus-Christ ne se prévalent de cette erreur de fait pour ruiner l’une et l’autre, en disant que Jansénius est en effet conforme à saint Augustin qui n’était qu’un docteur particulier doit céder au pape et que le pape a condamné sa doctrine sur la grâce en condamnant celle de Jansénius.

A ces questions précises, l’évêque d’Alet répondit qu’on pouvait et qu’on devait souscrire le formulaire, car l’autorité du pape doit prévaloir sur nos sentiments particuliers ; la question de fait est tellement jointe à la question de droit qu’il semble dangereux, en cette rencontre, d’en faire la séparation. D’ailleurs « la prudence chrétienne et même la charité oblige les fidèles à maintenir l’unité de l’Église et les oblige aussi à se soumettre à ce que le pape prononce sur un fait, lorsque le contraire n’est pas tout évident et qu’il y a raison de craindre qu’on ne cause quelque division en le niant. » De plus, le pape a déclaré qu’il a examiné la chose avec diligence ; aussi il y aurait sujet de retrancher de la communion de l’Église ceux qui refuseraient de se soumettre. Œuvres, t. xxi, p. 14-17. Au fond, dans ses Avis et sentiments sur le cas proposé par un docteur de Sorbonne, l’évêque d’Alet est d’accord avec ce qu’on écrira plus tard à propos de la bulle Vineam Domini : « Quoique, dans les faits, les jugements de l’Église ne soient pas infaillibles d’une infaillibilité métaphysique et absolue, ils le sont d’une infaillibilité morale et relative qui certainement doit l’emporter sur le sentiment de quelques particuliers, quelque savants et éclairés qu’on les suppose. » Bibl. nat., mss. franc, 13 889, p. 2.

Arnauld ne se rendit point et, dans ses Réflexions, Œuvres, t. xxi, p. 18-46, il déclare qu’on ne peut accorder qu’un silence respectueux, car autrement il faudrait admettre cette maxime absurde : je dois plutôt croire ce que le pape me dit en choses dont tout le monde avoue qu’il se peut tromper et où j’ai beaucoup de sujet de croire qu’il s’est trompé que ce que la raison me fait connaître évidemment et par des preuves si convaincantes que je n’ai aucun sujet de croire que je me trompe. On ne peut commander à une personne qui est convaincue de la vérité d’un fait de quitter son sentiment pour déférer â l’autorité du pape ; ce serait vouloir qu’on abusât de la raison contre l’ordre de Dieu même, puisqu’il n’a donné la raison a L’homme que pour discerner le vrai d’avec le faux, afin de pouvoir préférer ce qu’il juge être vrai à ce qu’il juge être faux. Ainsi chaque personne et surtout un docteur est le premier ou plutôt l’unique juge entre les hommes de ce qui lui paraît évident.