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    1. JANSÉNISME##


JANSÉNISME, LES CINQ l’IUU’OSITlONS

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Dans l’état actuel, la volonté a perdu la liberté qu’elle tenait de sa nature et désormais elle est soumise à l’empire de la délectation dominante, soit de la concupiscence, soit de la grâce.

Cette double délectation à laquelle la volonté obéit infailliblement est un mouvement indélibéré par lequel la volonté est portée vers un objet qui lui est convenable ou agréable. De gratta Salvatoris, t. IV, c 11 ; ce mouvement indélibéré précède l’examen de la raison et le consentement de la volonté, ib-d., t. IV, c. xi. laquelle est mue par la délectation victorieuse. Cette délectation est si nécessaire que, sans elle, l’homme ne peut faire ni le bien ni le mal. lbid., t. IV, c., vii, ix, x, xi ; 1. Nil, c. m.

Cette thèse de la délectation victorieuse peut être considérée comme un des fondements de tout le système janséniste et c’est de cette théorie que Jansénius lui-même tire ses thèses capitales :

1° La volonté de l’homme déchu ne peut ni rien vouloir, ni rien faire, sans être mue par la délectation céleste de la grâce ou la délectation terrestre de la concupiscence. De gralia Christi, t. IV, c. vu : Voluntas, sine delectatione vede aut moveri…. nullo pacto potest… X’olunlas… nisi aliquid occurreril quod delectel atque invitet animum, moveri nullo paclo potest. Ibid, . c. viii.

2° Tant que dure la vie actuelle, l’âme est le théâtre de la lutte des deux délectations céleste et terrestre et la volonté suit nécessairement celle qui est la plus forte. De gratia Christi, 1. IN’, c. iv.

3° La volonté est mue nécessairement du côté où l’incline la délectation antécédente et celle-ci obtient infailliblement le consentement de la volonté. Ibid., J. IV, c. vi, ix ; t. VII, c. m. L’homme, sous l’influence de la grâce, va au bien comme les bienheureux, aussi nécessairement qu’eux ; la seule différence est qu’il peut perdre la grâce qui le fait agir, tandis que chez ies bienheureux, cette grâce est inamissible. Donc pas de résistance intérieure vraie à la grâce ; l’homme peut être changé ; il ne peut changer de lui-même.

4° Si les deux délectations sont absolument égales, il n’v a pas d’action possible de la volonté. Ibid., t. IV, c. x.

5° La délectation victorieuse diffère entièrement de la prédétermination physique des thomistes, car elle est relative à la délectation opposée sur laquelle elle l’emporte, parce qu’elle lui est supérieure en degré et en force. La grâce est dite victorieuse par comparaison à la cupidité opposée : elle est victorieuse, quand elle surpasse la cupidité et cette même grâce victorieuse devient inefficace, lorsqu’elle se trouve en face d’une cupidité plus forte : Deleclalio est viclrix, quando tilteram superat. Quod si conlingat alteram ardenliorem esse, in solis ineflïcacibus desideriis hærebil animus, nec efficaciler un<u<tm volet quod volendum est, Ibid., t. VIII, c. ii. Par suite, la délectation, victorieuse dans un cas, peut ne pas l’être dans un autre où la délectation contraire est plus forte.

6° La nécessité d’une délectation victorieuse, soit pour le bien soit pour le mal, ne tient point à la nature de la volonté qui resterait inerte sans elle, car, chez le premier homme, la volonté se mouvait d’elle-même et Adam a commis son péché sans aucune délectation préalable ; elle ne vient pas, non plus, de la nature de l’acte proposé qui devrait produire en nous une certaine sttractiop ; elle vient seulement de l’infirmité de notre n ?ture déchue, blessée par le péché originel et placée désormais sous l’empire de la concupiscence. Ibid., t. IV, c. vii, viii, ix. La véritable raison de cette nécessité vient de ce que le peché a atteint notre nature. L’empire de la concupiscence sur notre volonté est né du péché ; c’est une punition du péché. Cette concupiscence malheureuse engendre, dans la volonté

laissée à ses propres forces, la nécessité de pécher, nécessite qui ne peut être vaincue et supprimée que par la délectation victorieuse de la grâce.

Bref, dans la doctrine de Jansénius, l’efficacité de la grâce s’explique exclusivement par la délectation indélibérée, victorieuse, supérieure à la délectation contraire. Sous l’empire de cette délectation victorieuse, la volonté agit nécessairement. L’hérésie janséniste place l’affranchissement du péché, non point dans la simple rémission du péché, dans la grâce sanctifiante ou habituelle, mais dans le secours actuel de la grâce qui triomphe de la délectation terrestre. Ibid., l. VII, c. vi.

De ces principes découlent, comme de leurs prémisses, les cinq fameuses propositions qui résument toute la doctrine de Jansénius sur la grâce et le libre arbitre. En effet :

1° Les commandements sont évidemment impossibles pour le juste qui les transgresse, parce que, chez lui, la concupiscence l’emporte sur la délectation céleste, ou est nulle ou, du moins, est plus faible, De gratia Christi, t. III, c. xin. Dans ce cas, le juste ne peut que transgresser les commandements, puisqu’il n’a pas la grâce qui lui serait nécessaire pour les accomplir, quels que soient d’ailleurs les eflorts qu’il fasse pour les remplir.

2° La seconde proposition qui énonce l’impossibilité, dans l’état présent, de résister à la grâce interne, découle de la même thèse, puisque cette grâce produit nécessairement son effet et meut nécessairement la volonté au bien. De gralia Christi, t. II, c. xxvii.

3° Il n’y a donc aucune indifférence active réelle, aucun pouvoir réel pour la volonté d’agir autrement qu’elle ne le fait sous l’empire de la délectation victorieuse. La liberté actuelle ne peut donc consister que dans l’exemption de toute coaction, puisque la volonté n’a pins le pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Ibid., t. IV, c. ix.

4° La grâce appelée suffisante n’existe pas et ne peut plus exister, puisque la volonté est invinciblement entraînée du côté où l’emporte la plus forte délectation présente ; dés lors, on comprend que Jansénius regarde la théorie de la grâce suffisante comme une erreur semi-pélagienne. Ibid., t. II, c. iv, x, xi, xii.

5° Par suite, Dieu ne veut pas le salut de ceux qui périssent, car, s’il le voulait, il accorderait des grâces qui les sauveraient ; donc il n’est mort pour aucun de ceux qui ne se sauvent pas. Ibid., t. III, c. xxi.

Dans un Mémoire historique de ce qui s’est passé sur les questions de la grâce et du libre arbitre depuis le milieu du dernier siècle jusqu’à notre temps, Bibliothèque nat., mss fonds français, n. 19 306, M. Du Pin résume fort bien les idées fondamentales de YAugustinus, p. 19-20, dans les termes suivants : « Le fondement de sa doctrine est qu’il y a deux sortes d’états et deux sortes de grâces ; dans l’état d’innocence, l’homme était entièrement libre et la grâce qu’il avait était soumise à sa liberté ; depuis le péché d’Adam, il est tombé dans une malheureuse nécessité de pécher et toutes ses actions faites sans grâce sont autant de péchés ; il a besoin, pour faire le bien, d’une grâce qui le fasse agir infailliblement et invinciblement ; cette grâce n’est pas donnée à tous et ainsi tous les hommes n’ont pas toujours tous les secours nécessaires pour observer les commandements de Dieu. Tous les hommes étant devenus coupables par le péché du premier homme, ils ne méritent plus que la damnation et Dieu ne commettrait aucune injustice, s’il les laissait tous périr, en punition du péché originel ; la prédestination n’est qu’un décret purement gratuit par lequel il a destiné de toute éternité d’en retirer quelques-uns et de leur donner des grâces pour les faire persévérer dans le bien jusqu’à la fin de leur