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437 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LA PRÉDESTINATION 438

qu’un secours suffisant dont l’emploi dépend uniquement de notre volonté. Dans ce cas, Dieu ne peut prédestiner avant la prévision des mérites, avant de prévoir ce que fera la volonté ; il propose d’une volonté conditionnelle, inefficace, la gloire comme une récompense du combat et il veut le salut de tous les hommes, pourvu que, par leur propre volonté, ils coopèrent librement à la grâce suffisante qui est accordée à tous. Ces deux premières thèses ne s’appuient que sur la philosophie humaine, c) D’autres enfin, en particulier Suarez. plus timides, veulent concilier la théologie et la philosophie et n’admettent que la grâce accordée aux anges et à Adam innocent ; mais, par ailleurs, ils affirment que Dieu, par une volonté efficace, prédestine à la gloire avant la prévision des mérites.

Saint Augustin a donné la vraie solution qui permet d’échapper à ces trois erreurs : les anges ont été prédestinés après la prévision des mérites qui dépendaient de leur volonté libre ; maintenant, Dieu prédestine, avant la prévision des mérites ; ceux-ci dépendent de sa grâce qu’il accorde miséricordieusement à qui il veut, c. xv.

4. Réalité de la prédestination gratuite (c. xvi-xxm).

— La doctrine de la prédestination gratuite et de la volonté efficace de Dieu pour le salut des hommes est fondée sur l’Écriture : certains croient parce qu’ils sont prédestinés ; saint Paul écrit : Omnia cooperantur in bonum iis qui secundum propositum sunt vocati. Quos prsescivit et prædestinavit.

A Lessius qui cite les textes de saint Paul où celui-ci emploie les mots, prædestinati, élus, alors qu’il écrit à des églises dans lesquelles plusieurs n’ont pas persévéré, Jansénius répond que saint Paul parle ainsi par charité et suppose que ceux à qui il écrit seront sauvés ; d’ailleurs, dans toutes ces communautés, il y avait des élus ; la grande charité de l’apôtre embrassait tous les fidèles ; enfin souvent l’Écriture prend le tout pour la partie, per synecdochen dictum accipiatur, c. xvi.

a) Cette doctrine s’appuie sur de nombreux textes augustiniens empruntés surtout aux livres De la correction et de la grâce, De la prédestination des saints et Du don de persévérance ; d’une manière générale, la volonté de Dieu est souveraine et absolument efficace avant toute prévision des mérites ; il n’y a pas de volonté qui puisse résister à Dieu, car il est plus maître de nos volontés que nous-mêmes ; il nous fait vouloir ce qu’il veut ; il conduit au salut ceux qu’il veut et à ceux-là il donne des grâces telles que rien ne peut les empêcher de parvenir à la vie éternelle ; cette volonté efficace de Dieu précède tout mérite, car le choix des grâces et des moyens vient de la volonté efficace et préconçue de Dieu, c. xvii.

b) Cette doctrine explique la providence mystérieuse de Dieu au sujet des enfants qui meurent aussitôt après le baptême : Dieu empêche la mort et les autres causes qui rendraient vain son décret et il leur procure opportunément le baptême : le bâtard est baptisé et l’enfant légitime ne l’est pas. C’est l’élection de Dieu toute gratuite. Pourquoi Dieu prédestine-t-il l’un plutôt que l’autre ? C’est son secret incompréhensible que nous devons adorer avec humilité et non examiner avec curiosité et présomption. C’est un secret impénétrable. Aussi la croyance contraire est fausse, car autrement, il n’y aurait pas de mystère, c. xviii.

c) La conduite de Dieu à l’égard des adultes prouve la même doctrine : Dieu traite les uns avec bonté, les autres avec se /érité et justice ; il les choisit comme il veut et c’est par cette élection que sont procurés la foi, les mérites avec la persévérance et la mort en état de grâce. Au salut de ceux qu’il a choisis, Dieu fait servir les biens et même les maux, les prospérités et les adversités, les tentations et les chutes même ; il les conduit avec si in et vigilance, soit qu’il les laisse

tomber dans le péché, pour les humilier, soit qu’il les relève pour les consoler. La séparation de la masse de perdition précède tous les effets temporels qui en découlent comme de leur cause. Cette élection, cette séparation sont éternelles et si efficaces que l’élu ne saurait périr. Dieu obtient l’effet de cette élection de multiples manières : il modère les tentations ou défend contre elles, il avance la mort. C’est donc la volonté gratuite de Dieu qui conduit ses élus comme il veut ; par là, saint Augustin s’oppose aux théologiens modernes qui attachent la prédestination aux mérites et la regardent comme juste, c. xix.

d) La conduite de Dieu à l’égard des réprouvés est tout opposée. I’les laisse dans la masse de perdition et tout concourt à leur perte : aux uns, il accorde la foi et la charité, mais pas la persévérance et ils meurent dans le péché. Leurs bonnes œuvres sont des bonnes oeuvres, mais elles leur sont funestes, parce qu’ils méritent un plus grand supplice, quand, par leur volonté mauvaise, ils abandonnent l’exercice de la vertu pour se précipiter dans le vice. Ce malheur leur arrive infailliblement, parce qu’ils ne reçoivent pas le don de persévérance ; ils sont infailliblement damnés, parce que Dieu l’a ainsi décrété et qu’ils meurent dans le péché. D’autres n’entendent pas prêcher l’Évangile, parce que Dieu n’a pas voulu leur accorder la foi et le royaume du ciel. Les uns et les autres seront damnés, parce que Dieu ne les a pas séparés de la masse de perdition par une élection miséricordieuse ; les corrections elles-mêmes leurs sont inutiles : si is qui corripitur ad præstinatorum numerum pertinet, correplio, salubre medicamentum ; si non pertinet, pcenale tormentum, c. xx.

e) La vocation selon le décret divin, vocatio secundum propositum, se confond avec la prédestination et l’élection divine et s’étend comme elle et aux enfants et aux adultes. Contre Lessius qui distingue une volonté conditionnelle antérieure à la prévision de la coopération libre de l’homme et une volonté absolue de béatifier postérieure à cette prévision, Jansénius soutient que la volonté divine de sauver est la cause infaillible de la coopération de l’homme à la grâce ; donc l’élection est absolue et antérieure à toute prévision. L’élection de Dieu suppose le dessein ferme et absolu de sauver les hommes, puis de les arracher à la masse de perdition et enfin de leur conférer la grâce qui donne le mérite et de les conduire ainsi à la gloire, en vertu de la seule prédestination gratuite, sans aucune prévision des mérites, puisque ceux-ci sont les effets de la prédestination elle-même, c xxi. Les molinistes croient que Dieu ne peut piévoir absolument les actes qui dépendent du libre consentement, de notre coopération et, que, par suite, Dieu ne peut prédestiner qu’après avoir prévu le consentement et la coopération. Mais c’est une thèse fausse. En réalité, le décret de Dieu précède cette prévision : il est la cause de l’événement futur qui arrivera nécessairement, futuritionis absolûtes. Dieu produit efficacement, dans la volonté des hommes, ce qu’il a décrété, c’est-à-dire, l’effet qu’il veut produire dans la libre volonté, même avant d’avoir prévu le futur, parce que la volonté très efficace de Dieu est la cause de tout ce qui arrivera. Dieu fait ce qu’il veut et son décret est la source de tout ce qui est futur. Il est ridicule d’exalter, par tant d’ouvrages, la toute-puissance de Dieu, si pour le salut de l’homme, cette prétendue toute-puissance ne veut et ne peut faire que ce que Dieu a prévu devoir faire. Un homme pourrait en faire autant, car, si un homme, même très faible, jouissait de la prescience divine, il pourrait f aire dans les cieux et sur la terre tout ce qu’il voudrait et rien n’arrêterait sa volonté. Vouloir faire quelque chose qu’on voit devoir être, n’est pas vouloir en réalité que cette chose soit ;