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423 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. GRACE ET LIBERTÉ

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Mais la volonté du pécheur est liée par des chaînes qui la captivent et la soumettent à la domination du péché. On est d’autant plus libre, qu’on est plus délivré de cette servitude et la vraie liberté est libérée de la domination de la concupiscence. En ce sens, le juste seul a la vraie, la saine liberté qui le libère du péché et le rend capable de faire le bien, tandis que le pécheur n’a qu’une liberté servile, apparente, qui, en réalité, est la servitude du péché : omnis qui /acit peccatum seruus est peccali, c. xii.

Ainsi l’indifférence de contrariété vient non de la nature, mais de son infirmité, de son imperfection, puisqu’elle nous donne le pouvoir de faire le mal. L’indifférence de contradiction ou iVexercice qui permet de choisir entre agir ou ne pas agir, n’est pas davantage essentielle à la liberté. Si la liberté était parfaite, elle ne. choisirait pas entre les moyens ; elle prendrait nécessairement et toujours les plus convenables. Lorsque l’amour de la fin est stable, immuable, l’élection commandée par cet amour ne s’exerce point sur les moyens. Celui qui aime Dieu peut, sans doute, ici bas, choisir des moyens mauvais qui détruisent cet amour, mais jamais le choix qui détruit l’amour de Dieu ne peut être inspiré par l’amour qu’il détruit. Dés lors, si l’amour de Dieu est stable et constant dans une âme, cet amour ne peut pas faire choisir des moyens qui détruiraient cet amour. Le choix des moyens suit la nature de la fin. Si un moyen, en tant que tel, paraît nécessaire pour l’obtention d’une fin qu’on aime et qu’on poursuit, on ne peut le mettre de côté et on n’a pas le choix, on doit prendre ce moyen. La liberté se rapporte à la fin et non aux moyens qui conduisent à cette fin. La liberté de contradiction n’est donc pas essentielle à la liberté en général, qui regarde la fin, tandis que l’indifférence de contradiction se rapporte aux moyens qu’on peut prendre ou rejeter, mais en gardant toujours la fin à laquelle on tend et dont on ne se détourne que par faiblesse et inconstance. C’est une infirmité de la liberté que de pouvoir choisir entre plusieurs moyens, de pouvoir dévier de la voie droite, comme c’est une infirmité de la’raison de pouvoir s’écarter de la vérité, c. xiii.

Si l’indifférence de contradiction était essentielle à la liberté, on arriverait à des absurdités notables. : a) Plus la volonté serait déterminée, moins elle serait libre ; par suite, la grâce divine qui nous détermine et fait vouloir ce qu’on ne voulait pas, lorsqu’on était esclave du péché, détruirait la liberté, puisqu’elle enlève l’indifférence d’action ; et il faudrait dire que plus un homme a de grâce et de vertu, moins il est libre, b) Par contre, la concupiscence qui détermine l’âme au péché, supprime l’indifférence et donc détruit la liberté ; ceci c’est le pur calvinisme, c) Toutes les habitudes, bonnes ou mauvaises, suppriment l’indifférence, car elles poussent â faire des actes déterminés, donc elles détruisent la liberté, d) Le mérite et le démérite devraient décroître à mesure que croissent les habitudes bonnes ou mauvaises ; plus un homme a de mérite, moins il sera libre ; un acte sera d’autant moins méritoire qu’il sera plus habituel, que la grâce aura été plus grande, qu’il y aura eu moins d’indifférence pour faire l’acte contraire. Par suite, les plus grands pécheurs seront les moins punissables, puisque la punition doit être proportionnée au démérite, lequel se mesure d’après le degré de liberté, c. xiv. e) Jésus-Christ et les bienheureux n’auraient aucune liberté pour remplir les préceptes naturels, en tant que préceptes, puisqu’ils n’ont aucune indifférence pour faire le mal ; ils n’auraient plus qu’une liberté accidentelle, relative

iux circonstances, aux intentions, etc. et ils n’ont

aucune liberté relativement à ta substance du précepte qu’ils ne peuvent violer, j) Aucun conseil, en tant que conseil, ne pourrait être réalisé par les bienheureux,

car ils ne peuvent qu’aimer Dieu par-dessus tout. g) On ne peut douter que *out ce que doivent faire les bienheureux ne leur soit commandé jusque dans les moindres détails par l’immuable Vérité qui leur parle directement et leur fait connaître toutes les circonstances de temps, de lieu, de mode, de motifs. Ils sont déterminés à toujours agir de la meilleure manière par leur amour de Dieu. Si la fin* est poursuivie de la manière la meilleure et la plus excellente, ils doivent nécessairement choisir les moyens les plus aptes et rien n’est plus apte que ce qui est déclaré tel par l’éternelle Vérité, donc ils n’ont plus aucune indifférence, c. xv.

La liberté ne consiste pas davantage dans l’indépendance à l’égard des créatures. La volonté, affranchie par la grâce, détachée des créatures et fixée en Dieu, participe à l’amplitude, ampliludinem, à l’élévation, à l’immensité de la volonté divine, mais cela ne constitue pas l’essence de la liberté comme le prétend le P. Gibieuf que Jansénius critique sans le citer. Pour saint Augustin, ceci n’est pas un effet de la liberté : celui qui adhère à Dieu et ne s’attache qu’à Lui, se délivre d’une infinité de servitudes, élargit ses puissances, car rien ne détourne plus son cœur de Dieu. Mais la liberté ne consiste pas en cela. En effet, s’il en était ainsi, a) il faudrait dire que les pécheurs ne sont plus libres, puisque leur volonté ne possède plus cette amplitude. (3) Saint Augustin n’a jamais parlé de cette amplitude de pouvoir pour caractériser la liberté, mais seulement de la délivrance du mal, de la délectation victorieuse qui fait faire le bien, c. xvi.

Ce chapitre, particulièrement capital chez Jansénius, reproduit en partie les thèses de Baius dans son traité Du libre arbitre et peut se ramener aux conclusions suivantes : a) L’indifférence n’est pas essentielle à la liberté, b) L’indifférence de contradiction n’est requise que servato ordine finis, c) La liberté vraie apporte avec soi un détachement des créatures et nous rattache à Dieu, d) L’homme en état de grâce est vraiment libre et exerce un empire et une domination sur les créatures.

8° Accord de la grâce et de la liberté (livre VIII). — Dans une courte préface, Jansénius déclare que la question de l’accord de la liberté et de la grâce est particulièrement délicate ; saint Augustin en a senti et montré toutes les difficultés et les solutions données par lui ont été admises par tous jusqu’à Molina et à Lessius qui ont enseigné une doctrine nouvelle.

1. Critique des théorie modernes : thomisme et congruisme (c. i-iv). — Comment la grâce agit-elle sur la volonté ? Il y a, sur ce point deux opinions différentes : a) La prémotion physique de la grâce efficace. La grâce est un mouvement de Dieu qui nous fait faire le bien et détermine efficacement et nécessairement la volonté à l’action, de telle sorte que, cette motion ayant été reçue passivement dans la volonté, celle-ci consent aussitôt et ce consentement ne peut pas ne pas se produire. Cette prémotion divine est exigée pour deux raisons : Les causes secondes sont subordonnées à la cause première et doivent être déterminées par elle ; les causes libres sont indifférentes à agir et doivent être déterminées par une autre cause. Bref, la cause seconde et libre reçoit de Dieu le mouvement et la détermination. Telle est la thèse de saint Thomas, b) D’autres (Molina, Lessius, Suarez) prétendent que cette efficacité de la grâce détruit le liberté et ils font appel non point à une prémotion qui détermine la volonté, mais à une illumination qui éclaire l’intelligence et à un attrait divin qui attire la volonté à l’action et lui donne les forces nécessaires pour vouloir, en même temps que Dieu concourt avec la volonté, si elle veut. Qu’avec ce secours, la volonté veuille ou ne veuille pas, cela ne dépend point de la prédétermination physique dans un sens