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S07 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. EFFETS DE LA GRACE 108

de concupiscence, mais de la vraie charité, laquelle, comme l’espérance elle-même, désire posséder la chose et en jouir. En effet, quoi qu’en disent les scolastiqucs, tout amour, comme tel, tend à la possession et l’amour qui exclurait la possession de ce qu’il aime n’est qu’un fantôme d’amour. Il est donc faux que l’amour d’amitié exclue la jouissance de son objet. On désire, on espère avoir ce qu’on aime ; par suite, l’amour de charité espère posséder ce qu’il aime ; seulement, tandis que l’amour de concupiscence désire posséder l’objet pour soi, le rapporter à soi et se regarde comme fin dernière, l’amour de bienveillance ou de charité, en désirant posséder son objet, s’oublie lui-même, rapporte tout à l’objet qu’il aime et n’en souhaite la jouissance que pour l’aimer davantage. L’amour de concupiscence désire la chose pour lui-même ; l’amour de charité et de bienveillance désire la chose pour elle-même. La charité espère être avec la Christ, c. ix.

La pensée de la récompense ne détruit point la pureté de la charité et ne répugne pas à l’amour désintéressé de Dieu. La charité aime Dieu ; non point parce que cela nous est agréable, utile, glorieux ou pour quelqu’autre considération personnelle, mais parce que tel est l’ordre. En effet, la créature doit être soumise à son créateur. Celui-ci, par sa bonté et sa vérité souveraines, est digne d’être aimé souverainement pour lui-même. Ainsi l’unique récompense de celui qui Le contemple, c’est d’aimer la Vérité et la Bonté, non point parce que cela est agréable et utile à celui qui aime, mais parce que cela est conforme à la vérité et à la justice. L’homme qui se considérerait lui-même, qui se proposerait Dieu comme récompense, comme terme de ses désirs, aurait un amour mercenaire, parce qu’il ne songerait qu’à lui-même. Mais il n’en est pas ainsi de la charité et de l’espérance. L’amour consommé dont brûlent les bienheureux dans l’autre vie est l’unique récompense de l’amour commencé dans celleci ; l’un et l’autre amour sont désintéressés, car c’est l’amour de Dieu pour lui-même. Cet amour est d’autant plus pur que l’amour imparfait de cette vie désire être perfectionné et être récompensé par l’amour parfait : prœmium Dei, ipse Deus. Notre récompense n’est que Dieu lui-même. Le propre de la charité est d’aimer Dieu. Le voir et le contempler face à face ne sont qu’un moyen de l’aimer davantage. On ne se propose donc d’autre récompense que Dieu lui-même, dans le dessein de l’aimer plus intimement dans l’éternité. Cela est un vrai motif de pure charité, bien qu’en fait, cela procure notre propre bonheur. L’oubli, le mépris de notre avantage dans l’amour de Dieu, voila ce qui est le plus avantageux pour nous, c. x.

Pour être vertueux, il faut donc faire le bien comme il faut et on ne fait pas le bien comme il faut, quand on le fait pour soi-même. Il faut faire le bien pour l’amour de Dieu. Tout autre motif est mauvais à cause de la fin poursuivie.

Mais qu’est ce qu’agir comme il /nul, SÏCtU oportet ? Que signifient ces expressions de saint Augustin, reprises par les conciles d’Orange et de Trente ? D’après Jansénius, saint Augustin veut dire par là qu’il n’y a pas d’œuvre moralement bonne sans la grâce, c’est-à-dire, sans l’amour de la Justice, sans la charité, sans l’amour de Dieu qui doit inspirer tous les actes. Ce n’est pas faire un acte comme il faut que de le faire par crainte des châtiments, par intention charnelle, pour quelque cupidité terrestre. Ainsi les juifs semblaient accomplir la loi. mais ils n’étaient pas vraiment vertueux, parce qu’ils observaient matériellement la loi, par crainte des châtiments ou par amour « les biens temporels ; c’est aussi, pour cette raison que toutes les œuvres des infidèles sont des péchés. Les conciles d’Orange et de Trente, au dire de.lansénius, ont employé ces expreSBions dans le même sens. c. xi.

Les docteurs scolastiques sont absolument dans l’erreur à ce sujet. Il n’y a aucune bonne œuvre, même imparfaite, même stérile, qui précède et prépare l’œuvre surnaturelle faite sous l’influence de la grâce, pas d’oeuvre stérile pour le ciel, car toute œuvre bonne est méritoire et nous sommes mauvais, si nous sommes bons sans fruit. Saint Augustin n’a jamais admis que la gTâce fût nécessaire seulement pour les œuvres surnaturelles, faites comme il faut et méritoires de la vie éternelle. La grâce ou charité de Dieu est nécessaire pour toute œuvre bonne, c. xii.

3. La crainte de Dieu (c. xm-xxvii). — Jansénius consacre toute la dernière partie de ce livre à la grave question de la crainte des peines. (Une faute d’impression dans l’édition de Rouen fait passer du c. xii au c. xxi. Mais la table des’.hapitres, en tête du volume, donne la numérotation correcte.)

La crainte de l’enfer, en soi, est licite et bonne, d’après saint Augustin et le concile de Trente, car elle fait éviter le mal et, par suite, elle est inspirée par le bien auquel ce mal est opposé. On craint et on fuit le mal, parce qu’il est contraire au bien. La crainte de l’enfer est conforme à l’ordre, quand on craint la faute plus que la peine ; elle est désordonnée, quand on craint la peine plus que la faute (crainte servile) ; dans ce dernier cas, le défaut tient non point à la crainte elle-même, mais au sujet qui craint et qui, manquant de charité, ne voit pas assez la faute qui est la raison de la peine et s’attache surtout à Cette peine qui n’est que la conséquence de la faute. Bref, il ne faut pas s’arrêter à la crainte comme à un motif ou à une fin. Elle est comme les plaisirs qu’on ne doit pas rechercher pour eux-mêmes. Celui qui s’arrête à la crainte trouble l’ordre de la nature, parce qu’il jouit de choses dont il ne faut que se servir et se propose pour fin ce qui ne doit être qu’un moyen, c. an, xxi. La crainte de la peine est le commencement de la sagesse, parce qu’elle commence la conversion du pécheur ; elle n’est pas capable de produire un tel effet, comme principe intérieur de justification. Elle ne fait que préparer de Vextérieur les voies à la charité qui est la vraie sagesse des enfants de Dieu ; mais elle ne fait pas partie intrinsèque de la sagesse ; elle éloigne les obstacles, mais elle-même disparaît, dès que la sagesse entre dans l’âme, comme l’aiguille pique le canevas pour y introduire la soie qui n’y entre que lorsque l’aiguille en est sortie. Timor non est in charitale, sed perfecta charitas foras miltil timorem ; major charitas, minor timor ; minor charitas, major timor ; intrans charitas pellit timorem. Jansénius semble parler surtout de la crainte servile propre aux esclaves et non de la crainte filiale qui demeure toujours et est un fruit inséparable de l’amour, c. xiv, xxii.

L’esprit de crainte peut venir de Dieu, sans être pour cela l’effet de la vraie grâce du rédempteur. Elle est plutôt comme une certaine grâce générale, un effet d’une providence particulière de Dieu qui fait naître des pensées propres à détourner du mal. C’est une grâce de Dieu que nous craignions les peines futures, mais ce n’est pas la vraie grâce de Jésus-Christ qui produit dans l’âme l’amour de Dieu, l’amour céleste, lequel chasse la crainte, comme le fils chasse l’esclave. C’est une grâce générale qui suppose la croyance en un jugement futur et fait naître la haine du péché pour ne pas encourir le châtiment, qui amollit le cœur et fait penser à la vie éternelle, mais qui ne fait que préparer à la vraie grâce qui est charité. Cette grâce a été accordée parfois même aux infidèles et cela seul suffit à montrer qu’elle n’est pas la vraie grâce de Jésus-Christ, laquelle ne peut être accordée qu’aux fidèles, c. xv, xxiii.

La crainte des peines de l’enfer est attribuée à la miséricorde de Dieu, parce que a J elle suppose la foi