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JANSÉNISME, l.WUGUSTINUS. T. III. LA GRACE EFFICACE

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Toute grâce obtient son effet. Est-ce à. dire qu’aucune grâce n’est accordée à ceux qui ne font pas le bien ? Est-ce à dire que toute grâce fait toujours faire le bien ? Il y a des hommes qui ont ressenti intérieurement l’illumination de la grâce dans leur intelligence, une excitation dans leur volonté et qui cependant résistent â la grâce et de suivent pas son inclination… C’est que toutes les grâces ne sont pas égales. Quelquefois la grâce ne produit qu’une complaisance pour le bien qui ne plaisait pas auparavant, mais elle n’est pas encore assez forte pour détacher de l’amour des créatures ; cependant elle produit certains désirs qui font soupirer vers le bien ; Dieu tient dans cette langueur pour humilier et faire connaître la nécessité de sa grâce jusqu’à ce qu’il donne enfin une grâce forte et vigoureuse qui déterminera la volonté à accomplir l’acte complet. Ces désirs sont les effets d’une grâce faible, à la vérité, mais qui provoque Dieu à en donner de plus grandes jusqu’à ce que tous les liens soient brisés et les passions assujetties. Il y a des grâces imparfaites, petites, qui ne produisent que des elïets imparfaits, comme il y a des volontés faibles qui ne sont que de simples vues et désirs et des volontés fermes et résolues. L’une et l’autre sont de véritables effets de la grâce : la velléité est le fruit d’une grâce moindre ; la volonté ferme est le fruit d’une grâce victorieuse. Toujours la grâce est efficace et produit l’effet pour lequel elle a été donnée, mais elle peut ne donner qu’un acte faible et médiocre. Dieu le veut ainsi, afin qu< ; le désir précède l’action. Un fornicateur souhaite d’abord, par la grâce, de sortir de son péché ; cette grâce ne lui suffit pas encore, car il n’a pas un pouvoir prochain et complet pour se convertir ; il doit prier Dieu et enfin la grande grâce lui fait exécuter sa résolution.

Les jansénistes font remarquer qu’en cet endroit, saint Augustin parle toujours de la grâce efficace et non point de la grâce suffisante qui lui est totalement inconnue, car il n’admet que la seule grâce efficace qui a toujours son eflet. Depuis que la volonté est captive de la concupiscence, il lui faut une grâce plus puissante, une grâce médicinale qui détermine la volonté à l’action. Croire qu’il y a encore des grâces simplement suffisantes, c’est supprimer le virus du péché originel et affirmer que les forces du libre arbitre sont restées intactes. La grâce de Jésus-Christ est une grâce médicinale et il n’y a pas de grâce médicinale inefficace, c. xxvii.

La grâce qui suffisait à Adam pour persévérer doit suffire encore, dit Lessius. A cette objection Jansénius répond que les deux sortes de grâces sont essentiellement dilîérentes ; car la première ne donnait que le pouvoir, lundis que la seconde donne le vouloir, fit ut velil ; elles sont distinctes par nature et elles opèrent de deux manières absolument différentes : bref, la grâce qui suffisait à Adam ne peut plus nous suffire à cause de la corruplionde la nature, c. xxviii. Jansénius répond également aux objections de Bellarmin, de Suarez et des scolastiques qui proposent, avec la grâce habituelle qui suffisait à Adam, des grâces particulières, des excitations et des protections. Toutes ces hypothèses doivent être rejetées comme formellement contraires à saint Augustin, c. XXIX,

Les scolastiques ont allégué divers textes de saint Augustin pour nier l’efficacité absolue de la grâce de Jésus-Christ ; ils citent, en particulier, deux textes du traité De spiritu et litlcra où saint Augustin parle de la grâce de puissance, potentiatis, et cette grâce, ils la regardent comme une grâce suffisante ou une grâce congrue (Molina, Suarez, Lessius, 13ellarmin). Singulière remarque, dit Jansénius : ici les scolastiques prennent les objections des pMaglens pour la solution de 6aint Augustin lequel déclare formellement que la volonté de croire et les bonnes œuvres sont des dons

de Dieu, obiectionem pro solulione, pelagianam responsionem pro Auguslinl doctrina, errorem pro verilate. Si on trouve chez saint Augustin des textes équivoques à ce sujet, c’est dans les traités composés par lui avant son épiscopat, alors qu’il partageait encore l’erreur qui sera plus tard celle des.Marseillais, c. xxx. Ces mômes théologiens ont commis des erreurs semblables, quand ils citent le livre I Ad Simpiicianum où saint Augustin se cite lui-même pour réfuter la thèse qu’il avait soutenue avant son épiscopat, c. xxxi.

Suarez, en particulier, a cru trouver dans ce passage la grâce congrue, celle qui est donnée en tel temps et en tel lieu où Dieu, par sa science moyenne, prévoit que la volonté de l’homme lui accordera son consentement ; la grâce à laquelle la volonté peut consentir ou ne pas consentir. Or, saint Augustin ne parle que de grâces externes, agissant hors de la volonté. Dieu ne violente jamais les hommes ; il tient compte de leurs dispositions ; lui-même prépare la volonté et il accommode sa grâce aux dispositions qu’il a mises lui-même dans l’âme qu’il veut convertir. Ce sont des miracles, des visions, des prédications, la punition des méchants et la récompense des bons. La vocation est ainsi toujours proportionnée à la créature, car elle est toujours conforme à l’affection que Dieu met dans l’âme et elle obtient l’effet qu’il désire produire en elle, c. xxxii.

On objecte encore l’hypothèse que fait saint Augustin, De ciiutate, t. XII, de deux hommes ayant môme qualité d’esprit et de corps et également tentés, dont l’un cependant succombe, tandis que l’autre triomphe, la dilîerence venant donc de la seule volonté. Dans ce passage, répond Jansénius, saint Augustin veut seulement indiquer les causes de la volonté mauvaise, laquelle dépend de nous seuls, puisque, dans l’état de nature déchue, notre volonté se porte au mal de son propre mouvement ; mais il reste toujours que la volonté bonne vient de la seule miséricorde de Dieu. D’ailleurs, .la conclusion serait vraie, s’il s’agissait de la volonté d’Adam innocent et non de la volonté de l’homme déchu ; laquelle, en punition du péché, ne peut plus, par elle-même, que faire le mal, c. xxxiii.

Enfin Jansénius explique quelques autres textes de saint Augustin où le saint docteur semble attribuer à la volonté humaine des actei bons. C’est que, dit-il, tous ces actes supposent la volonté, mais ils ne sont pas déterminés par elle ; ils viennent de la volonté informée par la grâce ou plutôt c’est la grâce qui a la part principale. Ces œuvres sont nôtres, parce qu’elles exigent l’intervention de notre volonté, mais il ne faut pas oublier que saint Augustin répète sans cesse : Quid habes quod non accepisti ? Bref, l’action de la grâce est une rxtion vitale ; la volonté ne reste pas sans rien faire ; elles n’est point comme une cire qui ne reçoit que des impressions du dehors. Dieu nous meut de telle sorte que nous nous mouvons ; l’action appartient et à la grâce et à la volonté, celle-là ayant la part prépondérante. Les bonnes œuvres sont des fonctions de la volonté déterminée par la grâce, c. xxxiv.

Cf. Augustin (Saint), t. i, col. 2377-2.180, 2383, où le P. Portalié montre l’évolution de la pensée de suint Augustin relativement au problème de la grâce.

3° Critique du concept de grâce suffisante oivre III).

— Dans ce livre, Jansénius ne fait que tirer les conclusions des principes posés aux chapitres précédents ; puisque la grâce médicinale, la seule qui existe actuellement, est efficace, il suit évidemment qu’il n’y a pas de grâce.suffisante.

1. Critique ydnérale (c. i-iv). — La grâce suffisante dont la volonté disposerait à son gré est une chimère. Saint Augustin déclare à maintes reprises que la grâce