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371 JANSÉNISME, L’A UGUSTINUS, T. II. ÉTAT DE PURE NATURE 372

droit, mais elle est due à la bonté, à la justice et à la sagesse du créateur ; ces perfections souveraines ne permettent pas au créateur de refuser à son image innocente la grâce nécessaire pour jouir de Celui qui est sa fin naturelle, comme son principe.

C’est d’ailleurs la pure doctrine de saint Augustin lequel, par de multiples arguments, montre aux pélagiens l’inconsistance de leur doctrine. Si, comme ceux-ci le prétendent, les enfants naissent dans l’état de nature pure le baptême leur serait inutile ; ces enfants étant innocents, seraient par le fait même fils adoptifs de Dieu, ses héritiers, et ne pourraient Être écartés de cet héritage que par un péché, toutes hypothèses que repousse la pratique de l’Eglise, c. xviii.

Dieu donc n’a pu créer l’homme dans l’état où il naît aujourd’hui, avec ces misères, avec cet aveuglement et ces ténèbres qui remplissent son esprit, avec cette impuissance à faire le bien et cette inclination au mal, avec cette lutte intime qu’il sent continuellement en lui-même, avec cette tyrannie de3 passions qui l’entraînent au péché, avec les maux qui l’affligent dans son corps et dans son âme, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. L’homme n’a pu être créé sans le pouvoir d’aimer Dieu et de vivre sagement ; or, il n’y a pas d’autre amour de Dieu que la charité répandue dans les cœurs par le Saint-Esprit ; pas c’.e volonté droite et sage sans cet amour, car tout autre amour est cupidité. La volonté est nécessairement mue vers quelque chose, en haut ou en bas, vers Dieu ou vers la créature. Ne pas aimer Dieu par-dessus tout est intrinsèquement mauvais ; or, Dieu, souverainement juste et bon, ne peut créer un être raisonnable avec une volonté mauvaise (tournée vers la créature) ; donc il l’a créée avec une volonté bonne (tournée vers le créateur), avec une volonté sage, c’est-à-dire droite, c’est-à-dire, avec la grâce de l’amour de Dieu, car ne pas aimer Dieu est une folie. D’ailleurs, il faut que l’homme ait été créé avec le pouvoir d’observer les préceptes, sans quoi il eut été injuste de le punir pour la violation de ces commandements, c. xix.

Comment cette bonne volonté due à l’homme innocent est-elle une grâce ? Elle est une grâce, dit Jansénius, comme la grâce suffisante des modernes qui affirment que cette grâce est due à l’homme pour qu’il puisse atteindre sa fin. Rien de plus naturel qu’une créature innocente, image de Dieu, reçoive une g~âce de Dieu. Dieu se doit à lui-même, à sa justice, à sa bonté de donner cette grâce à sa créature innocente. Cette grâce cependant reste toujours gratuite, car elle provient uniquement de la libéralité du donateur et non point du droit du bénéficiaire ; elle n’est point une rétribution, une récompense d’une bonne œuvre antérieure, car elle ne correspond à aucun mérite, à aucun droit. Elle est un vrai don gratuit, parce qu’elle n’est pas obtenue par un mérite ou par les forces de la nature ; par suite, la nécessité où se trouve Dieu de donner à l’homme innocent cette grâce n’enlève rien à la libéralité, à la miséricorde de Dieu et à son caractère de grâce essentiellement gratuite, c. xx.

2. Impossibilité de l’étal de pure nature montrée par t’analyse de la jouissance béatifique (Livre 11, e. i-x).

— Le second argument contre la possibilité de la nature pure est tiré de la jouissance béatifique du souverain Bien qui dépasse toutes les forées de la nature

et suppose l’amour « le Dieu. En effet, ou bien, la créature raisonnable tend vers une fin inférieure, — ce qui est contre nature ; ou bien, elle ne peut arriver au bonheur ee qui est contraire à la sagesse et à la bonté du créateur ; ou bien, elle peut arriver au bonheur par ses propres forces, — ce qui est une forme de l’orgueil, injurieux pour la grâce du Créateur. Les scolastiques acceptent les deux premières alternatives et rejettent la t roislème ; en quoi, ils sont cd opposition

avec saint Augustin ; celui-ci, en effet, dit nettement que la créature ne saurait jouir de Dieu de quelque manière, si Dieu ne lui accorde cette faveur par une grande grâce, car tout amour vrai et sincère de Dieu, considéré même comme auteur de la nature, dépasse de beaucoup les forces de la nature. La créature raisonnable ne peut être heureuse que si elle aime le souverain Bien qui doit la béatifier, c. i.

Les philosophes eux-mêmes, surtout Platon, placent la béatitude des hommes dans la contemplation de la vérité éternelle et de la sagesse immuable, comme du souverain Bien et de la souveraine Beauté dont l’amour les enflamme et dont la lumière les éclaire. Or, cela ne peut venir que de la grâce, dit saint Augustin, car la béatitude naturelle de la créature raisonnable, étant donnée la faiblesse de l’homme, ne peut procéderque de la grâce de Dieu lui-même. Ainsi ces philosophes païens, avec les seules lumières de leur raison, ont mieux compris cette nécessité du secours divin que la plupart des scolastiques chrétiens, parce que ceux-ci sont inféodés à l’école d’Aristote dont la philosophie abjecte, abject ior illa philosophia, a été copiée par les pélagiens, ces singes d’Aristote, pelagianos, simias Aristotelis, c. n.

Jansénius fait appel à un nouvel argument : le royaume du ciel qui est d’ordre surnaturel ne peut, sans injustice, être séparé de la nature pure. Le royaume de Dieu, ou la vie éternelle, n’est point dû à la créature raisonnable, même innocente, et, d’après les scolastiques, il peut être refusé par Dieu, sans qu’il y ait une faute commise. Mais Jansénius prétend que ce royaume de Dieu ne peut être refusé à l’homme innocent ; c’est, dit-il, la thèse certaine desaintvugustin, qui regarde la thèse opposée des pélagiens comme impossible, injuste pour la créature, injurieuse pour le créateur. La créature innocente ne peut être privée ni de la vie éternelle et de la contemplation de Dieu, ni du royaume du ciel, c’est-à-dire de la jouissance surnaturelle de Dieu, éternelle Vérité et souveraine Justice, c. m. La preuve de cette thèse est double. Personne ne peut être heureux, s’il ne possède ce qu’il veut, car, tant qu’on ne possède pas ce qu’on désire, on est malheureux. De plus la créature raisonnable ne peut être affligée par Dieu de la moindre misère, tant qu’elle reste innocente. Or, l’homme innocent veut fortement la vie éternelle et il est certainement malheureux, s’il ne la possède pas. Donc Dieu ne saurait l’en priver, c. iv.

Jansénius tire un quatrième argument de l’analyse de la béatitude. La béatitude naturelle suppose trois conditions : ne pas être dans l’erreur, car, image de Dieu, l’homme aime la vérité et il ne peut être heureux que dans la vérité, c. v ; ne pas être troublé dans la possession de ce qu’on aime et désire, ne pas être troublé dans son repos, en particulier, ne pas avoir à lutter contre la concupiscence, c. vi ; enfin ne pas mourir, car l’homme fuit naturellement la mort ; il veut vivre et être immortel ; la seule crainte de perdre la vie suffit à détruire le bonheur. Or la nature pure ne peut procurer ces trois éléments du bonheur. Pas de béatitude possible en dehors de celle que promet la vraie fol et qui ne peut être atteinte que par la grâce, c vu..lanseiiius signale ici, en passant, la folie de quelques philosophes qui ont invente une béatitude naturelle, couronnement de la pure nature. Quel orgueil singulier d’attribuer le bonheur aux seules forces de la nature. Alors on place le bonheur dans la vertu elle-même, comme le font les stoïciens, c. vin. Même après la mort et la disparition du corps, la béatitude naturelle ne saurait être accordée à l’âme Comme une récompense, sans une grâce particulière de Dieu, car la nature pure ne peut acquérir aucun mérite devant Dieu, puisque tout mérite vient et ne peut venir que de l’amour de Dieu ; d’ailleurs, la loi