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367 JANSÉNISME, I.’A UGUSTINUS, T. II. ÉTAT DE PURE NATURE 368

condamnées par Pie V : propositions 25, 27, 28, 29, 33, 36, 37 ; mais, dit-il, plusieurs de ces propositions peuvent être prises en un sens légitime et orthodoxe, comme l’avouent les jésuites Suarez, Vasquez et Tolet et comme le reconnaît la finale même de la bulle ; elles ont été constamment enseignées par saint Augustin contre les pélagiens ; elles sont le fondement même de sa doctrine sur la grâce et le libre arbitre et ce docteur réprouve les propositions opposées comme des fruits de l’hérésie pélagienne, c. XXVI.

Ces propositions ont été condamnées, non point parce qu’elles sont fausses en elles-mêmes, mais seulement par prudence, pour ne pas scandaliser les ignorants, afin d’éviter les protestations des scolastiqucs, qui, tous, soutiennent des thèses opposées. Plusieurs de ces propositions ont été condamnées à cause de l’aigreur des censures de Baius contre ses adversaires et plusieurs n’ont été condamnées que pour un temps. Il n’y a pas d’apparence que l’Église ait voulu condamner un point capital de la doctrine de saint Augustin qu’elle a si souvent approuvée ; penser autrement, ce serait croire que le Saint-Siège se contredit, qu’il a erré autrefois ou qu’il se trompe aujourd’hui, c. xxvii.

Les jansénistes se sont souvent appuyés sur ce passage de Jansénius pour dire qu’il croyait le pape infaillible ; autrement, il aurait pu se contenter de dire que Pie V s’est trompé, sans chercher à résoudre les difficultés soulevées contre son système par la condamnation de Baius.

État de pure nature.

1. Impossibilité de cet état

montrée par le désir du bonheur (Livre 1). — Après l’état de nature déchue, Jansénius étudie l’état de nature pure qui ne s’en distingue que par un point : la nature pure, selon les modernes, c’est la nature déchue, sauf la peine ; ces deux états diffèrent comme un homme dépouillé diffère d’un homme nu, l’homme déchu a perdu ce que la nature pure n’aurait jamais possédé ; la nature pure est un état négatif, la nature déchue est un état privatif ; dans la nature pure, l’homme n’aurait jamais eu la grâce, tandis que, dans la nature déchue, l’homme est privé de la grâce qui avait été accordée à nos premiers parents ; dans la nature pure, l’homme aurait été créé sans aucun droit à la béatitude éternelle et à la vision béatifique, sans la foi pour l’intelligence, sans la grâce pour la volonté, avec la lutte des deux appétits terrestre et céleste, avec l’ignorance, la faiblesse, la facilité à pécher aussi grande qu’aujourd’hui, plus grande même, car, dans l’état actuel de l’homme déchu, la connaissance de Dieu, le souvenir des promesses et des communications divines, le souvenir de l’état primitif et de la chute, la promesse du rédempteur à venir, l’espérance de la rédemption, toutes choses transmises aux descendants d’Adam, ont atténué la facilite de pécher dans la nature déchue.

Les pélagiens prétendent qn’en fait, Dieu a créé l’homme dans l’état <le nature pure, puisqu’ils rejettent le péché originel ; le mot même de nature pure a été inventé par eux. Les scolastiques modernes, Suarez, Bellarmin, regardent cel étal simplement comme

possible. Mais ces deux thèses de l’existence réelle

(pélagiens) et de la possibilité (modernes) de la nature pure sont absolument opposées à l’enseignement formel de saint Augustin, c. i.

En effet, saint Augustin affirme en tenues catégoriques l’impossibilité de l’état de nature pure. La créature rai sonna h le veut naturellement Être heureuse, c’est le but vers lequel elle tend ; c’est sa tin ; il faut donc qu’il y ait quelque chose qui soit capable de Lui procu bonheur ; il faut que l’homme aime le

véritable bien et le possède. Or celui-là seul est heureux

qui a tout ce qu’il veut et qui ne veut rien de mauvais. Il y a trois états dans lesquels l’homme ne saurait

être heureux : cruciatus non habenlis, languor non amanlis, malilia errantis voluntatis ; ces trois états seuls seraient possibles dans la nature pure. Le bonheur n’est possible que dans un quatrième état : habel quidquid inilt et nihil mala voluntate vult. Mais cet état ne peut être obtenu que par une puissance surnaturelle, par la grâce de Dieu. En résumé, l’homme tend naturellement vers Dieu, comme vers son principe et sa dernière fin ; il ne peut cependant y tendre, encore moins y parvenir, sans l’amour surnaturel de Dieu ; donc Dieu n’a pu le créer sans lui donner cet amour ; c’est-à-dire la charité, la justice, la sainteté surnaturelles, c. n. Jansénius va développer ce premier argument dans les 20 chapitres de ce livre.

La fin connaturelle de la créature raisonnable ne peut être que Dieu et la volonté n’est droite et bonne que si elle tend à cette fin ; si elle s’en écarte, elle devient inquiète et troublée, parce qu’elle n’est pas juste, parce qu’elle n’est pas dans l’ordre ; elle tombe dans l’orgueil, si elle se tourne vers elle-même ; elle est charnelle, si elle s’abaisse vers les choses inférieures. Et le péché consiste précisément en cela : se détourner de l’amour de Dieu et des choses supérieures pour se tourner vers soi ou les choses inférieures : c’est cela même qui constitue le péché, ce que saint Augustin appelle le formel du péché.

Donc l’homme n’a pu être créé autrement que soumis à son créateur. Qu’il aime celui de qui il vient et il sera heureux de le posséder ; qu’il se détourne de son créateur, il sera pécheur et malheureux. Supposé que l’homme soit crée sans cet amour du créateur, alors sa volonté sera mauvaise, parce qu’elle n’aime pas ce que la loi éternelle lui ordonne d’aimer et cette volonté mauvaise, dans ce cas, serait l’œuvre de Dieu. Cet amour du créateur ne peut être que la charité ou amour surnaturel, car, dit Jansénius, la distinction scolastique de l’amour naturel et de l’amour surnaturel est absolument inconnuede saint Augustin etdesPères, c. m.

Jansénius s’applique à prouver longuement, en s’appuyant sur l’autorité de saint Augustin, que l’amour de Dieu s’identifie avec la charité surnaturelle, la grâce. Il apporte six arguments en faveur de cette thèse :

a. L’amour de la vérité éternelle et immuable montre que l’amour de Dieu nécessaire au bonheur de l’homme est un amour surnaturel de charité, c. iv.

b. — L’amour de la justice dérive également de la charité. Dieu ne peut créer un être raisonnable sans une volonté tournée de quelque manière vers son créateur ; si, en ellet, cet être ne pouvait aimer la justice et fuir l’injustice, il ne commettrait point de péché proprement dit et l’acte mauvais qu’il ferait serait imputable au créateur lui-même. Or cet amour de la justice ne peut venir que d’une grâce surnaturelle ; il naît de la charité ; on ne peut chastement éviter l’injustice, et par suite, bannir toute affection au péché, si on n’aime pas la justice, et on ne peut aimer la justice, c’est-à-dire, fuir le mal, parce qu’il est injuste et faire le bien parce qu’il est juste, que si le Saint-Esprit répand la grâce dans nos cœurs. Donc la nature pure est impossible, car Dieu ne peut créer un être raisonnable dans un état où il ne pourrait ni aimer la justice d’une bonne œuvre, ni délester l’Injustice d’un œuvre mauvaise, un état dans lequel il ne pourrait faire quelqu’acte bon que par crainte d’un

châtiment et non par amour de la justice, un état dans lequel il ne pourrait aimer et désirer le bien, un état

dans lequel il ne pourrait rien faire comme il f<uit. c’est à dire, avec l’amour et la délectation de la justice. C. V.

Cet amour de la justice dont parle saint Augustin n’est point l’amour d’une vertu morale pour elle-