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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, I. II. PEINES DU l’ECU K OUIC.IM.I,

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laquelle n’est pas donnée à tous. (Admettre une grâce sulRsante accordée à tous, c’est un « paradoxe qui égorge toute la doctrine de saint Augustin » ) Il n’y a aucune différence entre ces deux cécités, l’une innée et l’autre acquise. Or tout le monde concède que la cécité volontaire du pécheur ne l’excuse point. Dans les deux cas, l’ignorance est une peine du pèche, car la eéeité est un juste châtiment des péchés précédents, c. VI.

b) La concupiscence, c. vu-xxv. La seconde peine du péché originel est la concupiscence que les anciens appellent volupté. C’est la corruption produite dans l’âme par le péché qui infecte toutes ses puisances et souille toutes ses actions ; c’est une infirmité, une langueur répandue dans l’âme et qui la rend charnelle ; c’est un poids qui incline l’âme àjouir des créatures, des choses inférieures ; c’est une habitude mauvaise qui aggrave la pente au mal et diminue la pente au bien ; c’est un dérèglement, un désordre, un renversement de l’ordre établi par Dieu, car la volonté recherche les créatures pour les rapporter à elle-même. La concupiscence nous porte vers tout ce qui n’est pas Dieu, le seul Vrai, l’unique Bien pour la créature raisonnable. Saint Augustin la définit : une inclination à jouir des choses inférieures, c. vu.

La concupiscence produit en nous des effets multiples. Elle comprend la concupiscence de la chair qui se rapporte aux cinq sens, libido sentiendi, la concupiscence des yeux, libido sciendi, la concupiscence de l’orgueil, libido excellendi, la plus dangereuse, la plus pernicieuse, parce qu’elle est plus spirituelle et paraît plus relevée que les deux autres. Cette triple concupiscence est la source de tous les péchés. La concupiscence des richesses, libido possidendi, découle des trois autres, diuitiæ quemadmodum velul satellites sunt omnium cupiditatum, omniumque flagitiorum alque facinorum, ila quoque libido possidendi servit céleris, c. vin.

Cette concupiscence n’est pas péché en elle-même, mais elle vient du péché et incline au péché : elle est fille et mère du péché. Julien prétendait qu’elle était bonne, parce qu’elle est le fruit naturel des inclinations sensibles ; mais saint Augustin a prouvé qu’elle est mauvaise, car elle traîne après elle une armée de désirs charnels qui étouffent la vertu et combattent la justice et la tempérance ; il n’est jamais permis de consentir à la concupiscence pour elle-même, c. ix.

La concupiscence ne peut donc être sa propre fin ; aussi l’acte conjugal pour la seule volupté est un péché et cet acte n’est permis que pour la procréation. La thèse contraire de certains scolastiques est une théorie d’origine pélagienne et on ne saurait dire que le mariage a été institué pour porter remède à la concupiscence, c. x et xi.

Pour montrer que l’élément essentiel de la concupiscence est l’amour, Jansénius examine des questions qui forment un chapitre intéressant de psychologie et de morale. Apres avoir dit que l’amour est le fond de toutes les affections humaines, Jansénius enseigne qu’on ne peut aimer la créature pour elle-même, car cet amour est toujours un péché, un renversement de l’ordre établi par Dieu. Le but de la religion chrétienne en cette vie, est précisément de nous arracher à cet amour de la créature, c. xii ; bien plus, d’après saint Augustin, le péché, tout péché se ramène à l’amour des créatures, à la cupidité terrestre, à cet amour « des choses qu’on peut perdre malgré soi, car cet amour est opposé à la charité qui nous porte et i ous unit à Dieu, seule fin de l’homme, c. xui. Dés lors, le seul fait d’aimer les créatures pour elles-mêmes constitue un péché, c. xiv, souvent un péché grave, mais toujours, au moins, un péché véniel, c. xv.

L’amour engendre le désir qui est la fin de l’amour. Le plaisir, la jouissance, la délectation ont pour origine

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

l’amour ; uinor est initium fruendi et fruitio finis amandi. Jouir, c’est aimer ou adhérer âquelque chose par amour. C’est le fruit, l’effet, la fin de l’amour. Jouir, c’est se reposer dans ce qu’on avait désiré ; si l’esprit ne se repose pas, niais considère encore autre chose, il ne jouit pas, à proprement parler, de la chose, il s’en sert. La jouissance, c’est donc l’amour qui s’arrête et se repose, dilectio mansoria ; l’usage, c’est l’amour qui passe, dilectio transitoria. Après cette analyse, Jansénius expose les grands principes de saint Augustin : il n’est pas permis à l’homme de jouir des créatures. Comme c’est en Dieu seul que se trouve le bonheur de la créature raisonnable, seul, Dieu doit être aimé et désiré pour lui-même ; en lui seul, on peut se reposer ; de lui seul, on peut jouir. Donc toute jouissance des créatures est un péché. Omnis humana perversio est fruendis uli, vel utendis jrui. Celui qui jouit de la créature offense Dieu, parce qu’il renverse l’ordre établi par Dieu lui-même qui permet de se servir, mais non point de jouir des créatures, c. xvi. Cependant, on ne pèche pas toujours gravement : la créature, en effet, peut être la fin de l’action ou la fin de l’homme qui agit. On pèche gravement, quand on préfère sa cupidité à l’ordre de Dieu ; on peut placer sa cupidité après Dieu, en sorte qu’on renoncerait à l’action, si on jugeait qu’elle déplaît gravement à Dieu ; ou bien on la place avant Dieu qu’on n’aime pas ou qu’on aime moins que son plaisir, c. xvii.

Toutes les inclinations de la nature : joie, haine, tristesse, espérance, désespoir, etc., dérivent de l’amour et elles permettent de découvrir la nature de l’amour qui nous inspire. L’amour en lui-même est difficile à connaître, car il se cache dans les replis les plus secrets du cœur. C’est une source : les eaux qui s’en échappent peuvent assez aisément nous en faire connaître la nature, c. xviii.

Jansénius s’attache à montrer pourquoi l’amour de la créature pour elle-même est mauvais et illicite. L’ordre veut que la créature raisonnable se tourne vers son créateur immuable et parfait, d’autant qu’elle s’avilit et s’abaisse, quand elle se tourne vers les choses inférieures qui la dégradent, c. xix. Il indique sept elïets désastreux de cet amour : Il nous ôte la liberté et nous jette dans l’esclavage ; il nous rend semblables aux choses inférieures et terrestres ; il attache et enchaîne à ces choses inférieures ; il rend difficile le détachement des créatures et fait naître le désir de les posséder ; il produit l’instabilité de l’esprit qui s’appuie sur des choses instables ; il souille l’âme qu’il gâte et aveugle ; il détourne même du bon usage des choses permises, c. xx.

Bref, d’après saint Augustin, tous nos actes doivent au moins virtuellement être rapportés à Dieu, notre fin dernière ; ainsi il faut aimer le prochain, mais c’est une créature, donc il faut l’aimer seulement à cause de Dieu : ulitur, non (ruitur proximo qui Muni diligit ; on s’en sert, non point comme des choses matérielles, pour en retirer quelque avantage personnel, mais pour l’amener à jouir de Dieu comme nous et avec nous,

c. XXI.

Après cette longue étude sur le fond même de la concupiscence, Jansénius examine ses mouvements qui nous inclinent àjouir des choses inférieures. Cette jouissance est un désordre défendu par la loi éternelle de Dieu ; seul, l’usage des choses inférieures est permis ; c’est dire qu’on ne doit pas consentir aux mouvements de la concupiscence qui nous porte vers les créatures et qui nous les fait aimer pour elles-mêmes et non pour Dieu, c. xxii. Ces mouvements désordonnés de la concupiscence doivent être règles par la raison : on use des choses Inférieures dans la mesure OÙ elles sont nécessaires, niais cm ne se repose pas en elles ; ce sont des moyens et non des fins et les besoins de la

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