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JANSÉNISME, L’ÀUGUSTINUS, T. II. LE PÉCHjÉ ORIGINKL


actuel pour conduire Adam et le diriger Intérieurement dans l’usage et l’exercice de toutes ses actions par des mouvements et des impressions d’amour ; elle était aussi distincte du concours général accordé par Dieu à toutes ses créatures ; c’était une céleste douceur que Dieu versait dans l’âme d’Adam par des mouvements de lumière et d’amour qui fortifiaient, aidaient et accompagnaient la liberté dans toutes ses actions. Cette grâce était nécessaire a Adam innocent, comme l’aliment est nécessaire à l’homme bien portant pour conserver sa santé, comme la lumière est nécessaire à l’œil sain pour qu’il puisse voir quelque chose, c. xi et xii. Telle est, au dire de Jansénius, la thèse que saint Augustin a constamment soutenue contre les pélagiens ; c’est le fameux adjulorium sine quo non dont l’évoque d’Ypres parle si souvent, c’est-à-dire un secours de possibilité qui donnait à Adam un pouvoir complet de persévérer, sans donner la persévérance elle-même ; c’est la grâce suffisante des nouveaux théologiens ; elle reste soumise à la liberté qui en use ou n’en use pas, à son gré. Par suite, elle se distingue essentiellement de la grâce de Jésus-Christ, accordée à l’homme déchu : Vauxilium quo, secours de volonté et d’action qui donne à l’homme l’acte lui-même, c’est la’grâce efficace. La grâce accordée à Adam innocent est la même qui fut accordée aux anges, angelos et Adamum sic adjuvit gratia ut non per I LLAH, in veritale et justitia stclerinl aut slare poluerint, sed 8JJfB ILLA non stelerint nec stare, hoc est, perseverare poluerint ; lapsos vero homincs ita divina gratia juval ut per illam in veritale et justitia constitua stent et per iLLam invictissime persévèrent, c. xv. Aussi, dans le premier cas, l’acte fait est attribué au libre arbitre, car la grâce n’est qu’un instrument dont il se sert (lumière pour voir, glaive pour frapper, pied pour marcher, vaisseau pour naviguer) ; la grâce ne fait que compléter le pouvoir du libre arbitre qui agit ; tandis que, dans le second cas, l’acte doit être attribué à la grâce, car elle seule agit et fait agir le libre arbitre. Donc, la persévérance et les mérites dans l’état d’innocence d’Adam et des anges ne furent pas des dens particuliers de Dieu, puisqu’ils venaient du libre arbitre se servant de la grâce ; de même, la béatitude céleste qui est la récompense des mérites, c. xvi.

Au sujet de l’état d’innocence, Jansénius se rencontre avec on : e propositions de Baius condamnées par Pie V et Grégoire XIII. Pour se mettre en règle avec la condamnation qui les atteint, Jansénius les explique de la manière suivante. Les mérites des anges et ceux d’Adam innocent, ainsi que leur récompense étaient des dons de Dieu, des grâces, mais non point dans le sens spécial qui convient à l’homme déchu. Ce sont des grâces, car a) la nature elle-même et le libre arbitre furent donnés gratuitement par Dieu ; b) Dieu détournait du péché par la crainte de la mort et il invitait au bien c’à la persévérance par la récompense de l’immortalité, c) Dieu donne à l’homme et à l’ange la lionne volonté excitée et enflammée par l’amour divin ; <l) Il leur accorde un secours surnaturel sans lequel ils ne pouvaient persévérer. Le bon usage de la liberté est une grâce de Dieu et la récompense de la vie éternelle est attribuée à la grâce, c.xix. Voilà le sens dans lequel seul on p ?ut admettre la contradictoire des propositions balanistes condamnées par les deux papes, si on veut rester fidèle à saint Augustin, car, dans leur sens obvie les propositions de liaius exposent la pensée exacte de saint Augustin et des conciles : non poterit lumen mm admitiere, si Augustini et conciliorum doctrinam admitiere vclit. En fait, saint Augustin attribue à la grâce accord’l’homme et aux anges tous les caractères que les nouveaux théologiens attribuent à la grâce du Sauveur. Dans le dernier chapitre, Jansénius se sépare des

thomistes qui, dit-il, sont nettement opposés à^saint Augustin sur la nature de la grâce accordée à Adam ; cette grâce n’est point une prédéterminalion physique, car elle était soumise au libre arbitre ; d’autre part, une grâce prédéterminante au sens des thomistes supprime toute distinction réelle entre les deux grâces avant et après le péché ; elle ôte à la volonté le pouvoir d’agir ou de ne pas agir ; elle la détermine et ainsi elle détruit la grande liberté que tous les auteurs attribuent à Adam innocent, cette.liberté que saint Augustin regarde comme maîtresse de la grâce qui lui reste subordonnée, en sorte que le libre arbitre est la cause principale des actions, du mérite et de la récompense, c. xx.

En résume, la grâce donnée à Adam est la grâce suffisante des modernes ; elle communique seulement le pouvoir d’agir et elle attend le consentement de l’homme ; c’est la liberté qui se détermine à l’action. Au contraire, la grâce du Sauveur est efficace ; elle donne, avec le pouvoir, le vouloir et l’action ; elle change la volonté et elle la fait consentir et coopérer ; c’est la grâce qui détermine la liberté à l’action.

Cette différence profonde entre les deux grâces vient de la différence des natures innocente et déchue. La nature innocente est saine et vigoureuse ; elle n’a aucun mouvement de concupiscence et, pour agir, elle n’a besoin que d’une grâce suffisante dont elle use comme elle l’entend. Après le péché, la nature blessée est malade et languissante : esclave du péché et de la concupiscence, elle a besoin d’une grâce efficace qui la fasse vouloir et agir.

État de la nature déchue.

1. Nature et essence du

péché origine /( !.ivre I). — Malgré les admirables prérogatives dont sa nature avait été ornée, Adam a péché ; cette faute, particulièrement grave, a eu pour Adam et pour toute sa postérité des conséquences immenses. Contre Pelage qui niait le péché originel, saint Augustin défend, comme toujours, la thèse catholique. Pour lui, le péché originel, c’est la concupiscence ou, suivant ses expressions, la concupiscence criminelle, c’est-à-dire, les convoitises charnelles qui nous portent au péché, qui souillent l’âme et qui rendent la concupiscence dominante. La concupiscence comprend donc la convoitise ou concupiscence proprement dite qui en constitue le corps ou la matière et l’iniquité, la faute, la souillure, la tache qui en est l’âme ; seule, cette dernière est effacée par le baptême : l’iniquité passe, la convoitise reste. Donc, affirme Jansénius, le jésuite Vasquez a mal compris la pensée de saint Augustin, quand il dit que la concupiscence n’est pas un vrai péché et ne renferme pas autre chose qu’une obligation à la peine ; il y a, en plus, une faute, une coulpe, une tache faite à l’âme par la concupiscence jusqu’à ce qu’elle soit effacée par le baptême ; il n’y a pas seulement reatus pœmv, il y a reatus rulpæ. Fit ut reatum consideret velul formate, concupiscentiam autem velut materiale, c. i et n. Cette concupiscence est quelque chose de positif qui détourne l’âme de Dieu et la porte vers la créature ; devenue esclave, elle est soumise à l’amour désordonné de la créature et cette délectation terrestre qui la captive ne pourra désormais être vaincue que par la délectation céleste. Adam engendre une postérité semblable à lui. lalem etprokm necessario gênait. Placé sons le joug de la concupiscence par la finie d’Adam, l’enfant naît détourné de Dieu et, détourné de Dieu, il ne peut qu’être coupable de péché. Seule, la grâce (le Jésus-Christ pourra délivrer de ce joug et briser les liens de la concupiscence qui nous tient captifs. Alors la charité domine la convoitise et efface le péché, ne laissant plus que la concupiscence brûle, manet actu, transit reatu. C’est ici que paraissent pour la première fois les deux délectations qui se disputent l’âme déchue, c. m.