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JACQUES DE VITERBE


Vitcrbe. Elles ne diffèrent pas beaucoup, par le genre de sujets traités, par la méthode employée, des ouvrages contemporains. Mais il y a, dans la production de notre auteur, une œuvre beaucoup plus connue, quoiqu’elle soit encore restée manuscrite, où Jacques affirme, avec plus de vigueur que partout ailleurs, son originalité et où le choix du sujet et l’flpreté des discussions lui ont permis de donner à sa pensée des développements du plus haut intérêt : il s’agit du traité politique intitulé : De regimine christiano, qui mérite à tous ces titres d’être considéré à part.

III. Le traité de regimine cheistiano.

Ce traité a déjà été analysé par Scholz, Die Publizistik zur Zeil Philipps des Schôncn, Stuttgart, 1903, p. 131 sq., analyse sommaire et faite sans préoccupation d’en discerner les sources. Le De regimine christiano fait partie des traités qui surgirent à l’occasion du conflit de Boniface VIII et de Philippe le Bel. Comme les œuvres similaires de Gilles de Borne, de Henri de Crémone, de Tolomée de Lucques, etc., i) tend à justifier théoriquement les positions prises par Boniface VIII. Il semble avoir été composé en 13011302 et il est dédié au pape. On en connaissait deux manuscrits, l’un et l’autre à la Bibliothèque nationale de Paris. Nous avons été assez heureux pour en découvrir un troisième à la bibliothèque vaticane, qui nous a fourni les éléments d’une édition critique.

Le traité se compose de deux parties. Dans la première, l’auteur s’efforce de démontrer combien le royaume de l’Église est glorieux, et il y développe sa pensée en six chapitres dont v^ici les rubriques : 1° l’Église est un royaume proprement dit ; 2° le royaume de l’Église est orthodoxe ; 3° il est un ; 4° il est catholique, c’est-à-dire universel ; 5° il est saint ; 6° il est apostolique. Cette partie du De regimine christiano, assez négligée par les analystes qui se sont occupés de Jacques de Viterbe, est cependant remarquable, car c’est la première fois que les notes de l’Église, indiquées par le symbole dit de Constantinople, auquel Jacques se réfère, ont été revêtues de développements aussi abondants. Dans l’histoire de l’ecclésiologie, il marque une date importante qui ne saurait plus être négligée, car il recule d’un siècle et demi la première ébauche du traité de l’Église, qu’on avait coutume d’identifier avec la Summa de Ecclesia de Torquémada. Si l’on pousse plus avant l’analyse, en étudiant les idées maîtresses de regnum, de par, de justitia qui circulent à travers toute cette partie du De regimine, on s’aperçoit que le contenu en est entièrement augustinien.

Cette constatation pourrait faire croire que la seconde partie vanousprésenlcrunedoctiïnethéocratique, fortement déduite, pure et sans mélange, pareille à celle qui est complaisamment développée dans le traité de Gilles de Borne, De ecclesiaslica potestate, composé à la même époque. Il n’en est pas ainsi Jacques de Viterbe traite, en effet, dans la seconde pari le, de la puissance du Christ, le roi de l’Église, et de celle du pape son premier vicaire. Il s’efforce d’y montrer : 1° qu’il y a plusieurs sortes de puissances ; 2° que le Christ a dû communiquer sa divine puissance à des personnes humaines ; 3° que ces personnes humaines sont les évêques et les princes : les évoques, rois spirituels ; le prince, roi temporel ; 1° que la puissance sacerdotale et la puissance royale, réunies entre les mains des évéques. sont néanmoins distinctes ;

5° que des degrés différents d’honneur et d’autorité

ont été attribués aux personnes diverses qui possèdent à la fois la puissance sacerdotale et la puissance royale ri qu’un « les évêques a la primauté sur tous les autres ; 6° que la royauté spirituelle et la royauté séculière ont des analogies et des dissemblances ; 7° que les

rois séculiers étant souvent des impies et des tyrans, les rois spirituels ont le droit et le devoir de les réprimander, de les corriger et, au besoin, de les déposer ; 8° que la royauté séculière est donc vassale de la royauté spirituelle ; 9° enfin que la plénitude de la puissance sacerdotale et de la puissance royale appartient en propre à l’évoque des évêques, dictateur souverain de toutes les consciences ; 10’dans un dernier chapitre, l’auteur s’attache à réfuter la doctrine des légistes, nouvelle et pernicieuse, qui formule l’indépendance réciproque du pape et du roi.

Ces divisions, qui correspondent aux titres de chapitres, indiquent assez bien la suite des matières qui y sont traitées et l’effort de cohérence spéculative que l’auteur a déployé. Cependant, si l’on étudie le mouvement de pensée qui circule sous l’exposé abstrait, on s’aperçoit que l’influence augustienne, assez prédominante dans la première partie, comme nous l’avons vii, secombine davantageavecl’infliience aristotélicienne et thomiste dans la seconde partie, pour laisser finalement la prépondérance à cette dernière. On sait que les tendances générales de ce que l’on a appelé l’augustinisme, se manifestent par l’absence d’une distinction formelle entre le domaine de la philosophie et celui de la théologie, entre les vérités rationnelles et les vérités révélées, la nature et la grâce. Plus précisément, les augustiniens tendent à absorber la philosophie dans la théologie, les vérités rationnelles dans les vérités révélées, la nature dans la grâce. Au point de vue politique, les conséquences devaient aboutir lentement et logiquement à la doctrine théocratique. Pour ne considérer ici, dans les dimensions forcément restreintes de cette étude, que le point central de l’idée de justifia, le processus est assez clair. Si la justice naturelle, le droit naturel s’absorbent et disparaissent dans la justice surnaturelle, l’État n’a aucun droit par lui-même, pas même celui d’exister, à moins que l’Église n’intervienne par la cérémonie du sacre, pour lui conférer légitimement, valeur et dignité. C’csi d’elle et d’elle seule qu’il tient toutes ses conditions d’existence. A tel point que pour les théocrates, pour Gilles de Borne par exemple, l’empire romain lui-même, avant Constantin, n’a jamais existé comme pouvoir légitime parce qu’il n’a pas connu la vera juslilia. Gilles de Rome, De ecclesiaslica potestate, édit. Oxilia et Bofflto, Florence, 1908, lib. I, cap. vii, p. 00. Voir aussi l’art. Innocent IV, t. vii, col. 1993.

Saint Thomas, pénétré de la philosophie aristotélicienne dans ce qu’elle avait d’assimilable au christianisme, a su introduire partout des nuances et des distinctions qui, si elles n’ont pas prévalu du premier coup, ont eu la fortune de l’avenir Il a su emprunter au droit romain la notion de droit naturel qu’il a développée et précisée à l’aide de l’Éthique du Stagyrite. Stunma theolog., Il a II*, q. i.viu, art. 1. Jacques de Viterbe en a subi manifestement l’influence : « Il faut distinguer, dit-il, dans le sacerdoce et dans la puissance royale comme dans la science. Il y a, en effet, une certaine science qui est l’œuvre de l’homme comme la science physique, et une certaine science qui est révélée par Dieu comme la sainte Ecriture. L’une et l’autre viennent de Dieu qui est le maître des sciences et leur principal auteur… mais elles en procèdent diversement. La première, c’est-à-dire la physique vient de Dieu par l’intermédiaire de l’intelligence humaine… La seconde vient de Dieu par une révélation spéciale… » Il en est ainsi pour la puissance royale. Une certaine royauté est d’Institution humaine, fondée sur l’inclination et les besoins de la nal ure. « Ce gouvernement est dit de droit humain parce qu’il procède de la nature. Tandis qu’une autre royauté est d’institution divine ou de