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IMMACULEE CONCEPTION


j’ai confiance que la bienheureuse Vierge acceptera son hommage et, à supposer qu’il s’y trouvât quelque chose de répréhensible, j’espère qu’elle daif^nera l’excuser auprès du juste juge. » Après cela, quelle difficulté pourrait-il y avoir à ce que, devenu général de son ordre et voyant un puissant mouvement de dévotion se manifester au chapitre de Pise en faveur de la fête, le saint l’ait accueilli volontiers et favorisé ? Mais il ne semble pas qu’il faille donner à cet acte un autre sens que celui dont Richard de Middletown se fait l’interprète. « La fête, dit-il, se rapporte non à la seule conception charnelle, mais à la conception consommée, et ce qu’on a en vue, ce n’est pas l’instant où l’âme de la bienheureuse Vierge fut soumise au péché originel, c’est la sanctification qui l’en purifia et qui, suivant une pieuse croyance, eut lieu le même jour, aussitôt après la constitution de son être ». In IV Sent., t. III, dist. III, q. i, ad 3’™. D’autres franciscains, ceux qui adhéraient positivement au glorieux privilège, allaient naturellement plus loin. Voir E. Doncœur, art. cité, p. 278 sq.

La distinction courante entre la conception et la sanctification devait amener une autre question, posée en propres termes par Henri de Gand dans la dispute citée, col. 1054 : Ulrum conccptio gloriosæ viryinis Mariée sit celebranda radone conccplionis ? L’énoncé complet serait : faut-il célébrer la conception de Marie en raison de la conception elle-même ou à quelque autre titre, ratione alicujus alterius ? Cet autre titre ne pourrait être, évidemment, que la sanctification, suppposée chronologiquement distincte de la conception. Arrêtons-nous aux grandes lignes d’un développement où les hypothèses, les distinctions et les subtilités se multiplient à plaisir. Célébrer la fête en raison de la conception peut s’entendre en deux sens fort différents. D’abord, en raison de l’acte même de la conception ; ce qui revient à demander si l’on peut trouver dans cet acte le fondement ou le titre du culte rendu à la bienheureuse Vierge. Non, répond le docteur solennel, tant qu’il s’agit de l’acte de la conception humaine ou naturelle, même consommée, car cet acte ne fut pas saint, quia actus illc conceptionis sanctus non fuit ; le titre du culte ne peut être que la sanctification ou conception spirituelle de Marie, qua nata est Deo. Mais l’expression : célébrer la fête en raison de la conception, peut s’entendre aussi d’une façon plus large, du temps où le fondement du culte commence à exister, en d’autres termes, du temps où se fait la conception, considérée passivement et telle qu’elle est en réalité, d’où que vienne le fondement ou titre du culte. De là cette seconde question : « la fête de la Conception, que les Normands célèbrent le 8 décembre, doit-elle se célébrer pour le temps, l’heure, l’instant où la conception s’est faite, ou bien pour un autre temps, une autre heure, un autre instant ? » Dans l’hypothèse, soutenue par Henri de Gand, que le titre uu culte est la sanctification proprement dite de la mère ne Dieu, la question revient finalement à cette autre : la conception et la sanctifie ; tion se firent-elles aans un seul et même instant réel ? Admettant le contraire, ce théologien devait répondre : La fête de la Conception ne peut se célébrer, ni pour le 8 décembre, puisque ce jour fut celui de la conception charnelle où le sujet propre de la sanctification n’existait pas encore, ni pour l’instant même où la conception se consomma, puisqu’en cet instant-là Marie ne fut ni sainte ni sanctifiée. Reste qu’au 8 décembre la fête se célèbre, par anticipation, pour l’instant où l’âme de la bienheureuse Vierge fut purifiée et sanctifiée, instant postérieur à celui de la conception consommée, quel que soit d’ailleurs l’intervalle qu’on mettra entre les deux choses.

Ce sont là des conclusions systématiques ; elles ne valent pas dans les hypothèses contraires, d’une conception passive et d’une sanctification faites dans un seul et même instant, ou d’un culte fondé sur une sainteté, non absolue, mais relative. Un théologien du xm'e siècle, partisan du glorieux privilège, mais admettant la théorie, alors commune, d’une conception charnelle sans infusion simultanée de l’âme, se trouvait en face d’une double alternative. Il pouvait, comme Guillaume de Ware, nier que l’unique fondement du culte fût la sainteté intérieure et parfaite ; dans ce cas-là, rien ne l’empêchait de rapporter la fête au 8 décembre. Mais s’il admettait, avec saint Bernard et le grand nombre des théologiens d’alors, la nécessité d’une sainteté intérieure et parfaite, il devait dire, avec Henri de Gand, que le 8 décembre, on fêtait par anticipation la conception spirituelle ou sanctification de la mère de Dieu. Dans cette hypothèse, la question de l’immaculée conception ne se posait qu’à l’instant même de la conception consommée, alors que l’âme de Marie était unie au corps suffisamment développé. Une autre hypothèse était possible : celle d’une création et d’une infusion de l’âme dès le début de la conception. Henri de Gand la connaissait, et il l’admettait pour Notre-Seigneur, mais pour lui seulement, comme les théologiens de son temps, entre autres saint Thomas, Sum. theol., III*, q. xxxui, a. 2. Plus tard, quelques-uns étendront le privilège à Notre-Dame, comme il a été dit ; mais des siècles se passeront avant qu’on songe à dire la même ehosc de tout embryon humain. Il faudra plus de temps encore pour que, dans cette question de l’objet du culte, l’Église dégage enfin un sens dogmatique, en dehors de ces théories physiologico-philosophiques qui ont non seulement compliqué, mais embrouillé le problème de l’immaculée conception.

Sur les docteurs franciscains du xiir siècle : S. Bonavenluræ Opéra omnia, Quaracchi, 1882 sq., t. iii, p. 69, Scholion ; Fr. Gulielnii Guarric… Quæstiones dispulatæ de immacalala conceptione bcalæ Mariæ Virqinis, Quaracclii, 1904, prc’cf., c. i ; Prosper de Martigné, La scolastique et les traditions franciscaines, Paris, 1888, c. v, p. 362-387 ; P. Pauwells, O. F. M., Les franciscains et l’immaculée conception. Matines, 1904, c. ii ; F. Cavallera, L’immaculée conception (Positions franciscaines ci dominicaines avant Duns Scol), dans la Revue Duns Scot, Paris, Le Havre, 1911, p. 101 ; Guillaume Ware et l’immaculée conception, ibid., p. 133, 151 ; Marius André, Le bienheureux Raymond Lulle, 3e édit., Paris, 1900, c. xiii ; S. Rové, préface du Liber de immaculata beatissimæ Virginis conceptione, attribué à Raj mond Lull et réimprimé dans Biblioteca de la Revista Lulliana, Barcelone, 1901 sq. ; Ruperto M. de Manresa, capucin, Libro de la Concepciôn virginal atribuldo al Beato Raimundo Lull, version castellana, Barcelone, 1906 ; J. Borràs, Maria S. y et R. Ponlifice en las Obras del Blo Ramôn Lull, SôUer, 1908 ; A. R. Pasqual, Vindiciæ Lullianæ, Avipnon. 1778, t. i, p. 433.

Sur la doctrine de saint Thomas d’Aquin relativement à la sanctification de Marie : Aug. de Roskovâny, Beata’irgo Maria in suo conceptu immaculata, t. ix, p. 713 : Littcratura celebrior qusqu’en 1880) ; F. Morgott, Die Mariologie des lil. Thomas von Aquin, Fribourg-en-Brisgau, 1878, c. iv ; trad. franc, par Mgr Rourquard, La doctrine sur la Vierge Marie ou Marialogie de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1881, p. 125 sq. — Études postérieures : W. Tôbbe, Die Stellung des lil. Thomas von Aquin zu der unbefleckten Empfàngnis der Goliesmutter, Munster, 1892 ; Ch. Pesch, De Deo créante et élevante, n. 323-345 ; dom Laurent Janssens, Tractatus de Deo homine, part II, p. 130-151 ; M. Alujas Bros, Sanio Tomàs de Aquino y la Inmaculada Concepciôn de la Virgen Mar(a, Barcelone.l909 : LeBachelet, Saint Thomas d’Aquin, Duns Scot et l’inunaculée conception, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, p. 592-609. — Dans un sens apologétique : T. Cucchi, De mente S. Thomie circa immaculatam conceptionem dissertalio, dans Divus Thomas, Piacenza, 1882, t. iii, p. 569. 587, 614 ; Fr. Tomâs Rodriguez, Santo Tomâs de Aquino y la inmaculada concepciôn.