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IMMACULÉE CONCEPTION


au Calvaire et appliqués par privilège à sa mère au premier instant de son existence.

Telle est l’interprétation qu’on trouvera esquissée ici même, t. vi, col. 899, en ce qui concerne le docteur angélique. Elle a été magistralement développée par le P. Norbert del Prado, O. P, d’abord dans une série de lettres adressées à un jeune théologien, Santo Tomâs y la Inmaculada, Vergara, 1909, puis d’une façon à la fois plus ample et plus didactique dans un ouvrage posthume, Divus Thomas et bulla dogmatica « Ine/fabilis Deiis, » Fribourg (Suisse), 1919. Cette explication avait été déjà proposée, en substance, par d’illustres dominicains, entre autres, Capponi de Porrecta, Summa iheol., III », q. xxvii, a. 2 ; Jean de Saint-Thomas, Cursus theoL, t. i, dissert, prælim., disp. II, a. 2 ; M. Spada, dans plusieurs écrits avant et après la définition, en particulier Saint Thomas et l’immaculée conception, trad. du latin par le R. P. Fr. J. D. Sicard, Paris, 1863. D’autres théologiens, d’écoles diverses, ont partagé le même sentiment, soutenu aussi de nos jours, soit dans des cours ou traités généraux, soit dans des études spéciales qui seront signalées plus loin.

Cette interprétation bénigne n’a jamais été celle du plus grand nombre. On ne peut contester que, dans leur ensemble, les théologiens dominicains ne se soient opposés longtemps à la croyance immaculiste, et que leur opposition n’ait été jointe à la conviction que le docteur angélique n’avait pas admis cette croyance. De leur côté, les théologiens franciscains qui défendirent si vivement le privilège, se sont, en règle générale, réclamés de Duns Scot ; nous avons vu, col. 1048, les aveux faits de nos jours par le P. Prosper de Martigné, La scolaslique et les traditions franciscaines, c. v, et non moins explicitement par les éditeurs des Œuvres de saint Bonaventure et des Quæsliones disputatæ de immaculata conceplione beatæ Mariée Virginis. Là semble bien être la vérité. Les efforts tentés par les autres n’ont pas fait disparaître la difficulté qui s’attache à l’enseignement des grands scolastiques pris d’une façon objective et intégrale. Il est vrai qu’ils attaquèrent l’immaculée conception telle qu’elle avait été comprise et proposée par les apologistes du xiie siècle ; contre eux ils affirmèrent que la sanctification de la bienheureuse Vierge n’a pas pu se faire avant l’animation ; ce qui est exact tant qu’il s’agit d’une sanctification proprement dite. Mais ils ne se maintinrent pas sur ce terrain purement négatif ; ils émirent cette contre-proposition : elle a été sanctifiée après l’animation, en comprenant sous le terme de sanctification, non pas une préservation, mais une purification. Aussi raffimialion : contraxit peccatum, dite non pas de la chair de Marie, mais de son âme ou de sa personne constituée, a pour équivalents, soit dans le contexte, .soit dans des passages correspondants, ces autres expressions : originali macula infecta, pecculo originali infecta, contagio originalis pcccati infecta ou inquinata, col. 1047. Et cela, parce que ces théologiens ai)pliquèrent à la bienheureuse Vierge la notion commune de rédemption, celle que saint Thomas énonce au dél)ut de ses conclusions, dans le commentaire sur les Sentences, sol. 1° : Oporlet quod sanctificatio emundationem ab immundiiia spirituali ponat, prout nunc de sanctificatione loquimur, et dans la Somme, a. 2 : Sanctificatio de qua loquimur, non est nisi emundalio a peccato origitmli. Sous le rapport de la rédemption, jamais ils ne mettent de différence entre la mère de Dieu et les autres : la différence n’intervient qu’à propos de la sanctification considérée dans sa perfection ou ses qualités : excellence de la « race reçue, amortissement ou répression des mouvements de la concupiscence, immunité par rapport au péché véniel ; rien de plus.

DICT. DE TMI’.OI.. CATIIOL.

Les distinctions qu’on introduit, entre le droit et le fait, entre la dette du péché originel et le péché lui-rriême, entre la postériorité chronologique et la postériorité logique ou d’ordre et de nature, sont excellentes, objectivement parlant, et elles ont l’avantage de montrer que, dégagés de vues accessoires et réduits à leur juste valeur, les principes posés par les grands théologiens du xine siècle ne mènent pas à la négation du glorieux privilège, tel qu’il a été défini ; réserve faite cependant d’une question qui viendra en son temps, la question relative à la nature du debitum peccati exigé par le dogme.

Mais autre chose est que ces distinctions soient valables, autre chose est qu’elles aient été faites, et surtout qu’elles aient été appliquées au problème de la sanctification de lIarie par les docteurs dont il s’agit. Par exemple, saint Thomas distingue entre la dette de la mort, qui convient à tous les descendants d’Adam, et la mort elle-même, qui peut-être ne les atteindra pas tous ; mais il n’admet pas qu’il y ait en cela parité entre la mort et le péché originel : Nec etiam sequitur, si potest sine errore poni quod aliqui non moriantur, quod possit sine errore poni quod aliqui sine originali peccato nascantur. In IV Sent., t. IV, dist. XLIII, q. i, a. 4, sol. 1°, ad 3°in. Traitant dans la Summa, I », q. Lxii, a. 3, de la création des anges et de leur sanctification comme simultanées, creati in gratia, il attribue à l’acte créateur une priorité logique, et non pas chronologique : non præccssit ordine temporis, sed ordine natura’, ad li" » ; mais quelle différence il y a entre les expressions dont il se sert alors et celles dont il fait usage en parlant de la sanctification de Marie ! Dans le premier cas, on lit stntim aprincipio sunt angcli creati in gratia, ou, d’après saint Augustin : simul in eis condens naturam et largiens gratiam ; dans le second : cito post animationem. La nuance n’est pas négligeable, surtout quand on considère l’interprétation que les disciples immédiats des grands docteurs, Henri de Gand, Godefroy de Fontaines, Gilles de Rome et autres, ont donnée du cito post animationem ; tous admettent et requièrent un intervalle réel, ne fût-il que d’un instant, entre la conception consommée et la sanctification de la bienheureuse Vierge.

Supposée réelle, l’opposition des grands scolastiques eut-elle l’importance ou la gravité que les adversaires du dogme défini par Pie IX prétendent lui attribuer ? Il s’en faut de beaucoup. Elle ne se fit pas sur le terrain de la foi proprement dite, puisque l’Église n’avait encore rien défini sur le sujet. Albert le ("rand emploie, il est vrai, le gros mot û’hérésie, mais c’est uniquement dans l’art. 4, où il parle d’une sanctification de la chair qui aurait eu lieu avant l’animation. Après avoir posé la question d’une façon plus précise : l’âme de la Vierge a-t-elle été sanctifiée avant d’avoir contracté le péché originel ? saint Bonaventure se contente de présenter l’opinion négative comme plus probable. L’opposition se fit sur une matière insuffisamment élucidée, sans que les éléments requis pour une solution ferme fussent à la portée des théologiens d’alors. Comment reconnaître des témoins authentiques de la tradition dans des docteurs assurément très vénérables, mais qui n’eurent qu’une connaissance très imparfaite des monuments du passé, ceux surtout de l’Église orientale, et qui raisonnèrent souvent à l’aide de quelques textes généraux et parfois même sous rinHuence de théories philosophiques ou physiologiques ? L’opposition ne fut pas universelle, mais particulière et, dans un certain sens, locale. Alexandre de Ilalès, Albert le (irand, saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin et leurs disciples appartenaient tous à un même milieu littéraire, l’université de Paris. Quand le docteur séraphiquc affir V II. — 34