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IMMACULEE CONCEPTION

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Gilles de Rome, Aigidius Cohimna († 1316), religieux augustiu, chef d’une école qui lui doit son nom, schola œgidiami, passe pour avoir élé à Paris élève du docteur angélique ; il y enseigna lui-même vers 1276-1291, avant de devenir général de son ordre en 1294, puis arclievcque de Bourges en 1296. Dans son commentaire sur les Sentences, il pose la question à peu près comme saint Thomas dans la Somme : Utrum caro Virginis fuerit sanctificala antequam animala ? AY)rès avoir considéré la Vierge par rapport au premier homme, à ses parents propres et au Christ, médiateur, il conclut « qu’elle a élé conçue en fille de colère, qu’elle est née (au sein de sa mère) dans le péché originel, in ira concepla, in pcccalo originali naia, et qu’elle a été purifiée de ce péché et réconciliée avec Dieu par le médiateur des hommes, Jésus-Christ. In IV Sent., t. III, dist. 1, III, q. i, a. 1 ; assertion qu’il répète incidemment, en insistant sur cette considération : « Autrement Marie n’aurait pas été membre du Christ, car notre incorporation au Christ se fait par sa grâce nous délivrant du péché originel ou actuel : nam in tantum fimus membra Christi, in quantum per suam gratiam libérât nos a peccato originali vel actuali. Ibid., t. II, dist. XXIX, q. ii, a. 2, dub. VI ; cf. dist. XXXI, q. i, a. 2. Soutenir le contraire, ce serait attribuer à Notre-Dame une conception indépendante de la volupté charnelle ou de l’union sexuelle. Il faut donc admettre que, conçue dans le péché originel, elle resta quelque temps, per aliqiiod tempus, sous son empire. Quodlibeta sex, Louvain, 1646, q. xx. Quand fut-elle sanctifiée ? Comme Henri de Gand et Godefroy de Fontaines, le doclor fundatissimus n’admet pas qu’elle ait pu se trouver simultanément sub culpa et sub gratia et que, par conséquent, la conception dans le péché et la sanctification aient pu se faire dans un seul et même instant, in eodem instanti. Mais il est tout à fait croj’able, valde credibile, que le laps de temps qui s’écoula entre les deux choses fut très court et pour ainsi dire imperceptible, valde brève et quasi imperceplibile. Même assertion dans le commentaire sur le livre des Sentences, loc. cil. : « C’est une pieuse croj’ance que le délai fut très court, si court qu’il est permis de dire que Marie fut toujours sainte : pie creditur quod valde modica fuerit morula, idcirco dici potest quod semper fuerit sancta.

D’autres allaient plus loin encore, à en juger par ce texte que Pierre de Alva, Radii solis, col. 1258, donne comme extrait d’un Sermo XV, d’Odon de Châteauroux, d’abord chancelier de Paris, puis cistercien et cardinal († 1273) : Tune adiuvit eam diluculo, sed postmodum, non fartasse ordine temporis, sed ordine naturee, quo primarius sequitur unitatem et plura sequuntur numerum.

Il y avait donc progrès, et progrès dû à l’influence exercée sur les esprits par le principe de la perpétuelle sainteté, considérée comme apanage de la mère de Dieu. Déjà même des considérations apparaissaient incidemment, surtout chez Henri de Gand, dont Scot allait bientôt tirer parti pour faire un pas de plus, le pas décisif, en substituant à l’idée d’une sanctification purif ieatrice, aussi accélérée que possible, celle d’une sanctification préservatriee.

2. y a-t-il opposition entre l’enseignement des grands doeleurs scolas tiques et V immaculée conception ? — C’est la question d’interprétation, succédant au simple exposé des textes et des conclusions explicites. Elle s’impose ; car, avant comme après la définition du dogme, de bons esprits ont jugé l’opposition plus apparente que réelle. Quelques-uns ont cru pouvoir tout expliquer par une distinction entre la conception charnelle, active ou passive, et la conception consommée ; ce serait uniquement la conception

charnelle active, prise seule ou avec son terme immédiat, que les théologiens du xiiie siècle auraient considérée comme entachée du péché. Il n’y a pas lieu de s’arrêter à cette ex))lication, manifestement insuffisante. Quand saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure et les autres exigent une sanctification postérieure à l’< nimation et qu’en conséquence, ils nient que l’àme de Marie ail pu être ornée de la grâce sanctifiante n l’instant même de son union au corjis il ne s’agit évidemment pas de la conception charnelle active ni de son terme immédiat.

Beaucoup plus sérieuse est une autre interprétation, soigneusement étudiée et habilement exposée de nos jours. Les grands scolasUques n’auraient pas nié l’immaculée conception telle qu’elle a été définie par Pie IX, mais telle qu’elle était proposée de leur temps, d’une manière défeclueu.se et théologiquement inadmissible. « Comme plusieurs de ceux qui la soutenaient auparavant n’étaient pas fort savants, ils y mêlaient plusieurs choses qui ôtaient à Notre-Seigneur la qualité de rédempteur de sa mère, » remarquait déjà, sur la fin du xvie siècle, le dominicain Vincent Justinien Anlisl, Traité de l’immaculée conception de la très sainte vierge Marie mfre de Dieu, § 11, trad. de l’espagnol, Paris, 1706, p. 27 sq. Ils prétendaient expliquer le (irivilège par une sanctification soit de la chair, soit de l’âme, antérieure à l’union de ces deux éléments essentiels du composé humain et, par suite, antérieure à la constitution de la personne même de Notre-Dame. Les grands scolastiques ont considéré toute sanctification de ce genre comme incompatible avec la rédemption, telle qu’elle s’applique aux individus dans l’ordre actuel ; strictement personnelle, la rédemption suppose dans la personne elle-même un besoin immédiat de rachat, un debitum proximum aussi rigoureux que possible. En ce sens-li, ces théologiens ont dit qu’au moment même où elle commença d’être personne humaine, Marie contracta le péché originel en droit, mais fonnellemenl, et qu’elle ne put être sanctifiée qu’après l’avoir contracté de la sorte. Ce rapport de postériorité qu’ils attribuent à la sanctification comparée à la constitution de ia personne, doit-il, quand il s’a « it de la mère de Dieu, s’entendre strictement, d’une postériorité chrcnf logique, posterius tempore, ou largement, d’une postériorité logique, d’ordre et de dépendance, posterius ordine et natura ? Et, par conséquent, la bienheureuse Vierge a-t-elle encouru réellement le péché originel, ou ne l’a-t-elle encouru que formellement, débita proximo, d’après un fondement inhérent à sa propre personne ? C’est là une autre question, que ces théologiens n’ont ni tranchée ni même traitée, à proprement parler, au moins dans les passages où ils parlent ex professa de la sanctification de la mère de Dieu. On a cependant le droit de conclure qu’ils tenaient pour suffisante l’hypothèse moins rigoureuse, puisqu’on trouve dans leurs écrits la double distinction invoquée : postériorité chronologique ou logique ; dette ou paiement de la dette ; ainsi, saint Thomas fait-il usage de la première, à propos de la sanctilication des anges au moment de leur création, ou des divers actes qui concourent à la justification de l’adulte, Sum. theoL, I », q. lxii, a. 3, ad 1° ™ ; I » II-, q. cxiii, a. 8, et de la seconde, à propos de la mon. encourue en fait ou seulement en droit. In IV Senl.. l. IV, dist. XLIII, q. i, a. 4, sol. 1°, ad 3°™. Comprise ainsi, la doctrine des grands scolastiques n’est pas réellement opposée au dogme de l’immaculée conception, tel qu’il a élé défini ; bien plus, elle a préparé les voies à la définition en maintenant au glorieux privilège le sens qu’il doit avoir, celui d’une préservation qui soit vraiment rédemptrice et qui, pour cela, s’appuie sur les mérites acquis par Jésus-Christ