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IMMACULEE CONCEPTION


péché originel proprement dit, c’est-à-dire considéré comme souillure de l’âme et état de culpabilité devant Dieu. A la suite de saint Augustin, Contra Julinnum, t. V, c. XLV, P. L., t. xLiv, col. 809, de saint Grégoire, Moral., t. IV, c. iii, P. L., t. lxxv, col. G35, et autres Pères dont les témoignages sont rapportés par Gratien, Décret., part. III, dist. III, c. 4, P. L., t. cLxxxvii, col. 1793, les théologiens du xiie siècle admettaient, pour les enfants nés avant la loi nouvelle, l’existence d’un remède contre le péché originel, en dépendance d’un rite extérieur ou de la seule foi des parents. Voir, par exemple, Anselme de Laon († 1117), Sententie divine pagine, p. 49, édit. F. PI. Blictmetzrieder, Ansclm von Laon Systematische Sentenzen, I Teil, Munster en Westphahe, 1919 ; Guibert de Nogent († 1124), Tract, de incarnat, contra Judœos, I. I, c. ii, P. L., t. CLVi, col. 493 ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, t. I, part. XII, c. ii, P. L., t. clxxvi, col. 349 sq. ; S. Bernard, Epist. ad Hugonem de S. Viclore, c. i, n. 4, P. L., t. CLXxxii, col. 1034 ; Robert Pull, Sent., t. III, c. ii, P. L., t. CLXxxvi, col. 766 ; Pierre Lombard, Sent., t. IV, dist. I, n. 7, P. L., t. cxcii, col. 841. Cette doctrine existant, il serait simplement absurde de supposer qu’il ait même pu venir à la pensée de ces auteurs ou de leurs contemporains, de reculer jusqu’au jour de l’annonciation la première sanctification de la mère de Dieu, créant ainsi pour elle, mais à son désavantage, un régime d’exception. D’ailleurs, combien de témoignages positifs attestent le contraire ! Saint Bruno d’Asti († 1123) déclare Marie pleine de grâce dès avant l’époque où elle devint mère : quæ cum gratia plena sit, prias eliam quam concipiat. Comment, in Luc., c. i, n. 3 P. L., t. clxv, col. 341. De même Guibert de Nogent : Non dicitur, ave gratia implenda, sed gratia plena ; dans une autre phrase il affirme à la fois la purification de Marie à l’annonciation et son union au Saint-Esprit dès le sein de sa mère : Per Spiritum Snnctum, qui ei ex utero coaluit, id purgatur. Liber de laude sanctae Mariæ, P. L., t. clvi, col. 548, 550. Sans compter tous ceux qui parlent de cette purification et qui, en même temps, affirment la sanctification de Notre-Dame dans le sein de sa mère.

Qu’opéra donc le Saint-Esprit quand il vint sur elle au moment de l’incarnation ? Pour ceux qui, avec Eadmer, étendaient la sanctification première à toute la personne de la bienheureuse Vierge, il ne pouvait être question de purification proprement dite, mais seulement d’un progrès indicible dans la sainteté et la plénitude de grâce déjà possédées, ce qu’on pourrait appeler une surplénilude de sainteté et de grâce. Beaucoup d’autres, sans être disciples d’Eadmer, disent la même chose ; tels, Guibert de Nogent, De laude sanctse Mariæ, c. viii, P. L., t. clvi, col. 562 : candorem munditiae ci superexcellenter aucturus ; Rupert. In Cant., t. VI, P. L., t. clxviii, col. 937 : tune lu et ex lune pulchra pulchritudinc divina ; Abélard, Serm., i, in Annunl., P. L., t. CLXxviii, col. 385 : cum ei superiorem et excellenliorem omnibus graliam coniuleril ; S. Bernard, Homil., iv, super Missus est, n. 3, P. L., t. CLXxxiii, col. 81 : propter abundanlioris gratise pleniludinem, quam ejjusurus est super illam. D’autres, en beaucoup plus grand nombre, allaient plus loin ; ils admettaient une purification réelle, mais privilégiée, s’ctendant à toute la personne de la mère de Dieu et consistant à éteindre complètement ou du moins à lier la concupiscence, considérée comme source des péchés actuels et des mouvements déréglés, fomes peccati : Mariam qnoque lolam Spirilus Sanctus in cam superveniens a peccalo prorsus purgavit, et a fomile peccati etiam liberavit, vel fomitem ipsuni penitus evacuando, ul quibusdam placet, vel sic debililando cl exfçnuando, ut ci postmodum peccandi occasio nullalenus

erslitcril. Pierre Lombard, Sent., t. III, dist. III, P. /, ., t. cxcii, col. 760. Ainsi Roljcrl de Melun († 1102) attribuait-il à la descente du Saint-Esprit sur la Vierge, ut nullius cliam propassionis motnm senlire posset ; privilège dont elle n’aurait pas joui auparavant : Verum unie obumbralionem Virlulis Allissimi non lanlam immanilatem peccati habuil, quia in ejus carne culpae originalis macula quantulacunque fuit. De incarnalione, d’après un fragment cité par E. Du Boulay, Hisloriu universilalis Parisiensis, t. ii, p. 604. Plus vigoureuse est l’expression dont se sert Arnaud, abbé bénédictin de Bonneval, au diocèse de Chartres, (1144-1156) : Spiritu Sancto obumbranle, incendium originale cxstinclum est. De cardinalibus operibus Christi, i, P. L., t. clxxxix, col. 161. En ce sens, la nouvelle Eve aurait été rétablie alors dans l’intégrité primitive, primée creationis dignilate recepta, comme dit Arnoul de Lisieux († 1184), Sermo in Annunl., P. L., t. CCI, col. 168.

Une seule question peut se poser sérieusement à l’égard de ces théologiens du xiie siècle qui ont admis une purification proprement dite de la bienheureuse Vierge au jour de l’annonciation : du fait qu’ils font porter cette purification sur la concupiscence, regardée par eux comme l’élément matériel du péché originel, n’est-il pas légitime d’inférer qu’ils considéraient Marie comme ayant été préalablement soumise au péché lui-même, au péché entendu strictement d’une souillure de l’âme et d’une mort spirituelle ? Non, rigoureusement parlant, puisque ces théologiens ne faisaient pas consister le péché originel proprement dit dans la concupiscence seule, mais dans la concupiscence jointe au realus, et que le realus cessait avec l’infusion de la grâce sanctifiante dans l’âme ; dès lors, l’hypotlièse d’une purification au jour de l’annonciation et celle d’une conception sainte quant à l’âme n’étaient pas plus incompatibles pour eux, qu’elles ne l’ont été, dans les siècles suivants, pour ceux qui, de fait, ont soutenu fonnellement l’immaculée conception sans se croire obligés d’admettre aussi que la mère de Dieu eût été rétablie, dès le début, dans l’intégrité primitive par l’extinction, ou plutôt l’absence de fonies peccati. Les deux questions sont distinctes : l’une se rapporte au moment précis où la sanctification première de Marie s’est opérée ; l’autre concerne la nature, la perfection, l’étendue de cette sanctification première, abstraction faite du moment précis où elle s’est opérée. Ceci soit dit, spéculativement parlant ; car si l’on tient compte de la connexion si étroite que ces théologiens établissaient entre la concupiscence inhérente à l’acte générateur et le péché originel, il devient difficile de supposer qu’ils n’aient pas maintenu cette connexion dans le cas présent ; difficile surtout, s’il s’agit de ceux qui, avec Pierre Lombard, proclamaient la Vierge sujette, pendant la première période de sa vie, aux mouvements déréglés de la concupiscence et même à des fautes actuelles, bien que légères.

Une dernière remarque confirmera cette conclusion. En attribuant à la mère de Dieu une purification émineute, les théologiens du xiie siècle ne sont pas tous guidés par le même motif. Les uns voient en cela une affaire de haute convenance, suivant la pensée de saint Anselme : Nempe decens cral, ul eu purilale qua major sub Deo naquit intelligi, Virgo ilhi niterel. D’autres obéissent à une préoccupation différente et se rattachant à une question, fomiulée ainsi par Pierre Lombard : queeritur eliam de carne Verbi, an priusquam concipcretur, obligata fueril peccalo, et an talis fueril assunipta a Verbo. Senl., t. III, dist. III, n. 1, P. L., t. CXCII, col. 760. Ceux qui répondaient : Oui, la chair du Verbe fut soumise au péché, c’est-à-dire à la loi de la concupiscence, tant qu’on la cou-