Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/98

Cette page n’a pas encore été corrigée
181
182
FOI


avons réfuté ce système en montrant le rôle qu’a dans la foi l’Église comme infaillible. Voir col. 151 sq. Mais le « libre examen » ne consiste pas du tout à se prouver par sa raison individuelle les préambules de la foi ; cette preuve est nécessaire pour que la foi soit raisonnable, d’ailleurs elle peut se faire d’une manière proportionnée au degré de culture de chacun, et n’implique pas la tâche immense dont nous parlions tout à l’heure.

Mais, dira le fidéiste, si l’on doit recevoir du témoignage de l’Église infaillible le contenu des Livres saints et tous les dogmes, pourquoi ne doit-on pas de même en recevoir les préambules de la foi ? — Réponse. — Parmi ces préambules figure l’infaillibilité de l’Église elle-même ; quand je ne la connais pas encore, je ne puis pas la recevoir de l’affirmation de l’Église sans aucune preuve ; ce ne serait pas raisonnable. Voilà pourquoi je dois, dans les préambules où je ne le connais pas encore, faire abstraction du magistère infaillible, ce qui n’est pas la même chose que le rejeter. Voir col. 150. Les Juifs de Bérée, après avoir, dans leur synagogue, entendu saint Paul prouver par les prophètes que Jésus était le Messie promis, vérifiaient clans leur bible ses citations et les interprétations qu’il avait données ; et l’écrivain sacré, en rapportant cet examen, ne le blâme pas. Act., xvii, 11. C’est qu’il ne faut pas confondre deux phases très différentes, dans la genèse de la foi : l Te phase : on ne connaît encore l’infaillibilité ni de l’Église, ni même du Christ ; alors on ne peut raisonnablement s’y appuyer ; c’est le cas des Juifs de Bérée ; ils en sont aux « préambules » de la foi chrétienne. — 2e phase : on a reconnu un magistère infaillible ; alors saint Paul ne permettra plus d’examiner avec doute la prédication apostolique, de lui préférer de nouvelles recherches scripturaires et de nouveaux docteurs, mais il dira comme aux Galates inconstants : « Si quelqu’un, fût-ce un ange du ciel, vous prêche un Lvangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème 1° Gal., i, 8, 9. De même, Jésus donnait aux non-croyants des prouves de sa mission, des miracles à examiner par leur raison individuelle : mais une fois qu’ils avaient, comme Nicodème, reconnu par là sa mission, il exigeait la soumission et la foi à son enseignement infaillible. Voir col. 63.

Mais, disent les protestants, l’examen que l’on a permis à l’incroyant en voie de se convertir à la foi, pourquoi l’interdire ensuite au croyant ? La soumission dont le premier a été dispensé, pourquoi l’imposer au second ? — Parce que le premier ne peut raisonnablement se passer d’examen, et que son ignorance (qui n’est pas coupable) l’excuse de la soumission à un enseignement infaillible : tandis que le second, renseigné déjà sur cette infaillibilité, n’est plus excusé par l’ignorance, et doit tenir ferme à cette vérité capitale, et employer cette ressource unique pour connaître vite et sûrement tous les dogmes à croire, qui resteront la lumière de sa vie. Voir Tertullien, De prœscripl., c. viii sq., /’. I.., t. ii, col. 21 sq. Cf. Freppcl, Tertullien, 1801, t. ii, xxvii » leçon, p. 194 sq.

2* objection. — Ainsi la raison individuelle, avant la foi, fera comparaître à son tribunal et l’Église infaillible, et la révélation infaillible de Dieu même, et les jugera ! « C’est la déclarer souveraine, puisqu’on matière do croyance la souveraineté consiste précisemont dans ce droit de juger. Gerbet, toc. cit., p. 150.

— Réponse. — N’équivoquons pas sur le mot « Juger » . lise, on vertu d’une institution divine qui lui délègue quelque chose de l’autorité et de l’infaillibilité de Dieu, a un tribunal doctrinal, où elle juge » à la façon d’une cour suprême, dont la sentence juridique oblige, et oblige sans appel, ce qui lui donne une Vraie « souveraineté. La raison individuelle, au contraire, « juge au sens psychologique du mot, et non

pas au sens juridique ; ce jugement n’est autre chose que ce qu’Aristote appelle « la seconde opération de l’esprit. » C’est d’ailleurs pour elle seule qu’elle juge ; c’est par une enquête de caractère privé, qu’elle vérifie le pouvoir infaillible de l’Église, la véracité même de Dieu et le fait de sa révélation ; non parce qu’elle domine en souveraine Dieu et l’Église, mais parce qu’une des lois de sa nature, que Dieu lui a donnée, lui demande absolument cette vérification avant qu’elle puisse croire.

3e objection. — A quoi servira une règle de foi infaillible comme l’Église, si c’est à la raison individuelle qu’il revient d’en examiner et d’en vérifier l’existence, si à l’origine tout dépend du jugement de cette raison ? « Comme ce jugement est essentiellement faillible, la foi elle-même devient incertaine. » Gerbet, toc. cit., p. 120. Le résultat final, dépendant solidairement de deux facteurs dont l’un peut-être se trompe, ne pourra jamais être que douteux. — Réponse. — La « faillibilité » de la raison humaine, mal comprise des fidéistes, est un défaut en dépit duquel notre raison conserve une rectitude foncière, une légitime assurance contre l’erreur dans un cas donné, et un critérium certain de la vérité : le nier, ce serait nier la valeur de la raison, ce serait le scepticisme. Notre raison individuelle produit donc des actes qu’on peut appeler « infaillibles » ; elle se rend compte alors que les motifs sur lesquels ces actes s’appuient ne laissent pas de place à l’erreur. Seulement, cette infaillibilité naturelle ne tire pas à conséquence pour d’autres actes de la même raison, où les motifs ne seront pas si bien contrôlés, et où la raison, par une précipitation dont elle ne se rend pas bien compte ou par quelque autre accident, pourra se tromper. Des philosophes catholiques ont résumé cette situation complexe en disant que la raison humaine est normalement infaillible, faillible par accident : infallibilis per se, fallibilis per accidens. L’infaillibilité surnaturelle va plus loin : l’Église, dans ses définitions, par exemple, est préservée même de ces accidents, en sorte que le seul fait de la définition nous rassure pleinement contre l’erreur. Quoique dénuée de ce charisme, quoique sujette à dos erreurs éventuelles, il n’en reste pas moins vrai que la raison, dans de nombreux cas particuliers, portera sur les préambules de la foi un Jugement qui, par la valeur bien constatée de ses motifs, aura une certaine infaillibilité de fait. C’est assez pour que cet acte préalable do la raison ne vienne pas alors vicier le résultat final, priver l’infaillibilité de l’Église de son utilité, et la foi de sa certitude. Le cardinal Newman, bien qu’il réserve le nom d’infaillibilité à celle-là seule qui provient d’une assistance surnaturelle (pure différence de mot), donne la même doctrine, qui répond non seulement à l’objection fidéiste contre notre raison, mais encore à des objections protestantes contre l’infaillibilité do l’Église : « Très souvent, rcniarquc-t-il, dans la controverse religieuse sut tout, on confond mal à propos l’infaillibilité (avec tonte l’ampleur qu’elle a dans le don surnaturel) ot la simple certitude… J’ai un souvenir certain do ce que j’ai fait hier, et pourtant ma mémoire n’est pas infaillible ; je suis très sûr que doux et deux font quatre, mais je me trompe souvent dans les longues additions… La certitude tombe sur telle ou telle proposition particulière ; ce n’est pas une Faculté ou un don, niais une disposition de l’esprit par rapport à un cas bien défini que j’ai devant moi.

L’infaillibilité, au Contraire, est une faculté on un don, et s’étend, non pas seulement à une véiil particulier, mais a toutes les propositions possibles dans une matière déterminée. » Grammar of assrnt, Londres, 180"), II’part., c. vii, | 2. p. 22t. Et plus loin : « .le puis être certain que l’Église est infaillible, tout en étant moi-même un faillible mortel : autre-