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FOI


la foi catholique tout entière ? Voir S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. v, a. 3. Mais s’il s’agit d’un homme qui ignore l’autorité infaillible de l’Église, l’ignorance empêche en lui ce double caractère de mépris et d’obstination, sans lequel il n’est pas d’hérétique formel ; quand bien même il nie l’autorité de l’Église ou par suite quelque autre point de la foi catholique, comme il arrive aux protestants de bonne foi. Cf. Lugo, De fide, dist. XX, n. 197, Opéra, Paris, 1891, t. i, p. 55. Voir Hérétique.

Pour qu’il y ait « proposition de l’Église » , il n’est pas nécessaire qu’il y ait toujours « définition » . C’est assez qu’une vérité soit proposée par ce que le concile du Vatican appelle « magistère ordinaire et universel » . Loc. cil. Voir Magistère. Est de foi catholique, par exemple, ce qui est contenu explicitement dans les professions de foi usitées dans l’Église entière, quand même elles ne sont pas à proprement parler des définitions. C’est ainsi que beaucoup de théologiens subdivisent la foi catholique en « foi définie » et foi catholique non définie, ou « foi catholique » tout court.

VI. Préparation rationnelle de la foi ; le fidéisme. — Un motif ne peut agir sur nous qu’à la condition d’être d’abord connu de nous. Pour être connu de nous, le motif de la foi, qui est complexe, suppose que notre esprit se rend compte de la vérité de plusieurs énoncés. « Dieu existe ; il ne peut ni se tromper ni nous tromper (science infaillible et véracité ) ; il a révélé telle doctrine et s’en porte garant. » Tout cela étant d’abord connu et affirmé, je puis croire cette doctrine par le motif de la foi, propler auctoritatem Dei revelanlis, qui nec falli nec fallere potest. Ce qui complique encore ces énoncés qui sont appelés les « préambules de la foi » , c’est que leur affirmation ne se fait pas du premier coup à la lumière de l’évidence immédiate. Pour notre esprit humain, il n’y a de vérité immédiatement évidente ni dans le fait de l’existence de Dieu, voir Dieu, t. iv, col.887 sq., 923 sq., ni dans les attributs divins de science et de véracité, ni surtout dans le fait de la révélation, comprenant le fait général que Dieu ait parlé par le Christ et le fait particulier que tel dogme fasse réellement partie du contenu de la révélation chrétienne. Or, quand un énoncé n’est pas immédiatement évident, nous ne pouvons l’affirmer que moyennant d’autres vérités qui constituent son motif, sa preuve. Voir col. 125. Il en sera donc ainsi dans chacun des actes intellectuels par lesquels nous affirmons les préambules de la foi. Sur ces actes, les théories et les difficultés qu’ils soulèvent, nous poserons les questions suivantes : 1° Ces actes peuvent-ils se faire sans aucun motif intellectuel, par un coup de volonté ? Quels sont-ils, dans le détail ? 2° Qu’est-ce que le fidéisme ? Sa position est-elle raisonnable ? 3° Quelles sont ses origines et ses objections ? 4° L’Écriture est-elle favorable au fidéisme ? 5° Les Pères lui sont-ils favorables ? 6° Documents ecclésiastiques sur le fidéisme. 7° Ces actes qui préparent rationnellement la foi doivent-ils avoir la fermeté de la certitude ? Le semi-fidéisme. 8° Objection tirée de la 4e proposition condamnée par Innocent XI ; explication de la condamnation. 9° Aperçu sur la certitude en général, ses éléments, ses espèces ; l’évidence. 10° Peut-on exiger, avant de croire, d’avoir l’évidence parfaite des préambules, par exemple, du fait de la révélation ? ll°Qu’entend-on par « évidence de crédibilité » ? 12° La certitude relative des enfants et des ignorants sur le fait de la révélation existe-t-elle, et peut-elksuffire ? On entrevoit déjà l’extrême complication de la question, d’ailleurs très pratique, que nous abordons.

1° Les actes intellectuels qui préparent la foi peuvent-ils se faire sans aucun motif intellectuel, par un coup de volonté ? — Nous ne nions pai le rôle de la volonté dans les croyances ; mais il doit être limité et réglé, car : 1. la

force physique de la volonté ne va pas jusqu’à faire admettre quelque chose à l’intelligence sans aucun motif intellectuel, voir Croyance, t. iii, col. 2371 ; 2. quand elle aurait cette force physique démesurée, elle ne pourrait moralement et légitimement en faire usage. La volonté n’est pas une puissance despotique et sans règle dans la nature. Pour qu’elle agisse licitement sur une autre faculté, il faut qu’elle respecte la nature de cette faculté ; surtout, si cette autre faculté est l’intelligence, dont la nature est d’atteindre non pas seulement quelque intérêt subjectif, mais la vérité objective, qui ne dépend pas de nous et a droit à notre respect. Quand elle agit sans sortir d’elle-même, simplement, par un acte immanent, la volonté présuppose seulement comme motif un bien convenable qui l’attire ; mais quand elle influe sur une autre faculté, elle doit présupposer en outre que cette intervention se fasse dans les conditions normales de cette faculté et pour son bien : et cela doit être constaté avant qu’elle intervienne. « Quand il s’agit de mouvoir la volonté à son acte immanent, aclus elicilus, écrivait le P. Jean Scmeria, il suffit d’un motif proportionné à la volonté elle-même. Mais il en est autrement, quand il s’agit d’un acte commandé par la volonté (aclus imperatus ) : celui-ci suppose un acte double, le mouvement de la volonté qui commande et le mouvement de la faculté qui exécute. Aussi faut-il alors et un motif proportionné à la volonté, et un motif proportionné à la faculté dont la volonté doit commander l’acte (un motif intellectuel, s’il s’agit de l’intelligence). Car. la volonté, qui gouverne toutes nos facultés comme un père de famille tous les membres de la société domestique, la volonté ne pourrait commander l’acte, par exemple, de l’intelligence, s’il n’était constaté par un jugement préalable qu’un objet proportionné à cette faculté ne fait pas défaut, sur lequel puisse s’exercer l’acte que la volonté est sur le point de lui commander. » Analysis aclus fidei juxla S. Thomam et recenliores ilieologos, Plaisance, 1891, p. 43-45. Quand il s’agit de commander la foi de l’intelligence à tel dogme, il faut constater d’abord que ce dogme est croyable comme parole de Dieu : et le jugement préalable qui montre ainsi à la volonté la légitimité de son intervention s’appelle alors « jugement de crédibilité » .

Avec des motifs intellectuels très solides, quoique laissant place à un doute imprudent, nous admettons un certain coup de force de la volonté pour chasser ce doute de l’esprit. Voir Croyance, t. iii, col. 23842387. Mais de cette concession on ne saurait conclure que, sans aucun motif intellectuel, à l’aveugle, la volonté puisse commander a l’intelligence d’adhérer. La conclusion serait boiteuse. « C’est comme si l’on raisonnait ainsi : Sans une lumière intense, l’œil peut voir ; donc il peut voir sans aucune lumière. » Ulloa, Theologia scholaslica, Augsbourg, 1719, t. iii, p. 85.

Quels sont, dans le détail, ces actes intellectuels qui préparent l’acte de foi ? — Ces actes, qui, tendant au même but, ont entre eux une certaine unité morale, ont été sommairement groupés sous un seul nom : « jugement de crédibilité » ; par eux la vérité révélée nous est présentée comme croyable, credibilis. Examinant de plus près ce groupement, les théologiens y ont tout d’abord distingué deux choses :

1. Un jugement pratique de crédibilité, qui éclaire plus immédiatement la volonté de croire ; car avant que la volonté puisse commander la foi, il faut, comme dans tous ses autres actes libres, un jugement (diclamen ) de la conscience sur l’honnêteté ou licéité de l’acte considéré au concret, hic et nunc, avec toutes ses circonstances : donc un jugement essentiellement pratique. Ce qu’on appelle « jugement de crédibilité » est principalement le jugement pratique. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2203.