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démonstratif, la seconde, en tant qu’il adhère secondairement à cause de la divine révélation… Adhérer à nue conclusion à cause d’un témoignage surnaturel ne conviendrait pas à un assentiment de science naturelle si celui-ci était considéré tout seul : niais cela peut lui convenir, si la science naturelle est jointe à Vhabitus fldei. » Loc. cit., n. 166, p. 227. L’autre solution donnée par Gonel ne se rapproche pas moins de l’opinion affirmative ; il admet que Vhabitus fldei peut atteindre juir accident une véritée démontrée, du moins quand elle est jointe à l’objet principal et mystérieux ; telle l’unité de Dieu dans la trinité des personnes. Loc. cit., n. 165. Si Vhabitus fldei peut l’atteindre alors, on ne voit pas pourquoi il ne pourrait l’atteindre séparément, toujours par accident et comme son objet secondaire. Un thomiste du xvie siècle, Aragon, dit très nettement : « Dans le philosophe chrétien qui a la démonstration de cette proposition : Dieu existe, les deux habitas, de science et de foi, l’inclinent à l’assentiment, et son assentiment procède des deux, ayant de l’un la certitude et la clarté, de l’autre la parfaite certitude qui l’emporte sur celle de la science ; comme une eau chauffée sur le feu, et en même temps exposée au soleil, reçoit sa lumière du soleil, seulement, et reçoit sa chaleur non seulement du soleil mais aussi et surtout du feu. » In 7/'m //.x-, Venise, 1625, De flde, q. i, a. 5, p. 22. Au xviiie siècle, la solution de Gonet est répétée par Serry. Loc. cit. Le cardinal Gotti n’est pas moins précis : « Ce philosophe, dit-il, donne son assentiment à cette vérité : Deus est, non seulement à cause de sa démonstration philosophique, mais encore à cause de l’autorité de Dieu qui l’a révélée. Du côté de la science, il l’emporte sur l’ignorant ; du côté de l’autorité de Dieu, il l'égale ; seulement, parce qu’il ne s’appuie pas uniquement sur cette autorité, on ne peut pas dire que ce soit la « foi » . Mais l’acte est surnaturel, il procède de la vertu de foi, comme par extension et secondairement. » Theologia doymat., Venise, 1750, t. il, De flde, q. i, dub. viii, n. 17, p. 425. Au xixe siècle, le cardinal Zigliara cite l’explication de Capréolus, admettant avec lui qu’une vérité que l’on sait « ne peut être crue cui sens propre. » Sum. phi/os., Lyon, 3e édit., 1880, t. i, Ontologia, 1. III, c. iii, a. 2, n. 8, p. 454, 455. Ces citations suffisent à faire apercevoir dans la série des siècles une lignée d’illustres thomistes qui réduisent le différend à un minimum. L’opinion affirmative aurait tort de les confondre avec ses véritables adversaires, avec ceux dont la théorie présente de sérieux inconvénients.

5. La pensée de saint Thomas.

a) Avant tout, le saint docteur tient à ce que l’objet principal de la foi ait cette obscurité qui exclut toute science simultanée ; et parfois il ne semble se préoccuper que de cet objet-là, sur le terrain de l’obscurité. Jlla sola manifeslutio excludit fldei ralionem, perquam redditur apparens vel visum id de quo principaliler est fldes, etc. Sum. tlieol., IIa-IIæ, q. v, a. 1. Remarquons ce sola, qui semble restreindre l’obscurité à l’objet principal, dans ce qu’elle a d’essentiel. — b) Pour l’objet secondaire, parfois il parle comme si l’on pouvait en avoir simultanément la foi et la démonstration philosophique. Exemple : Sic ergo ralione demonstratur et flde lenctur quod umnia sinl a Deo creata. Qusest. disp., De potentia, q. iii, a. 5. — c) Cependant il établit ex professo une théorie très générale, sans distinction d’objet principal ou secondaire : lmpossibile est quod ab eodem idem sit seiium et credilum. Sum. iheol., IIa-IIæ , q. i, a. 5. Il semble arbitraire de dire avec le cardinal d’Aguirre, sous prétexte de conciliation avec q. v, a. 1, que saint Thomas parle ici, ou seulement de la science consommée qui est la vision béatifique ou seulement de la coexistence de la science et de la foi dans un

acte unique. Theologia S. Anselmi, Rome, 1688, t. i, p. 168. Le contexte de l’article ne permet pas ces restrictions. Voir surtout ad 3 1 "". — d) Comment saint Thomas a-t-il été ainsi amené à généraliser, à étendre à l’objet secondaire ce que tous doivent admettre de l’objet principal ? Il semble avoir été surtout impressionné par une théorie philosophique de saint Augustin, résumée en cette formule très générale : Creduntur absent ia, videntur prsesentia. Il la cite, et en fait la base de son explication. Quæst. disp., De verilale, q. xiv, a. 9. Par absenlia, saint Thomas entend ce qui, n'étant pas atteint par les sens, dépasse aussi V intelligence, soit l’intelligence générale du genre humain (tels sont les mystères), soit au moins l’intelligence individuelle de ceux qui n’ont pas la démonstration de cet objet. Ce passage de saint Augustin dans une lettre à Pauline (ou Liber de videndo Deo) a été cité en partie, col. 113. On y voit que l'évêque d’Hippone n’y donne sa formule que comme exprimant « peut-être » la différence entre voir et croire. Il n’est pas plus affirmatif ailleurs. Y a-t-il des cas où l’on peut dire que l’on croit ce que l’on voit ? Il répond : Nescio ulrum credere dicendus est quisque quod videt. In Joa., tr. LXXIX, P. L., t. xxxv, col. 1837. Il semble d’ailleurs que c’est là plutôt pour lui une question de mot, d’usage, de propriété du terme credere. — e) C’est précisément aussi l’interrogation qui se pose au sujet de saint Thomas, et la plus importante ici. Veut-il (question de chose) que la démonstration scientifique d’une vérité révélée empêche celui qui a cette démonstration d’affirmer la même vérité à cause du témoignage de Dieu, et par un acte intrinsèquement surnaturel et d’une suprême certitude ? Ou bien concède-t-il à cet individu la possibilité de s’appuyer aussi sur le divin témoignage par un acte surnaturel et souverainement certain, et le manque d’une obscurité plus grande n’est-il plus qu’une question de bonne définition et de bon emploi du mot credere' ! En un mot, saint Thomas est-il avec la première ou avec la seconde catégorie de ses interprètes thomistes ? Dans le doute, et vu l’autorité extrinsèque des seconds interprètes, nous aurions déjà le droit d’interpréter sa pensée comme eux. Mais de plus, il nous autorise luimême à ce choix. A propos de la foi divine, il dit que le même sujet peut atteindre le même objet par deux moyens de connaître différents, l’un plus parfait, l’autre plus imparfait : Nihil prohibet quin (cognitio perfccla et imper/ecla ex parte medii) conveniant in uno objecto et in uno subjecto ; potest enim unus homo cognosecre eamdem conclusionem per médium probabilc et demonstralivum. Sum. iheol., I a II : e, q. lxvii, a. 3. Ainsi le même homme pourra atteindre la même vérité et par la voie de la démonstration scientifique et par la voie du témoignage divin, bien qu’alors peut-être l’acte qu’il basera sur l’autorité divine ne puisse être appelé « foi » au sens le plus strict du mot. Mais, que cet acte ait d’ailleurs toutes les qualités positives d’où l’assentiment de foi tire sa suprême dignité, sa suprême certitude, sans que la science surajoutée lui en fasse rien perdre, mais au contraire — c’est la pensée de saint Thomas dans un remarquable passage. Il note d’abord que, toute espèce se composant d’un genre et d’une différence, il y a des espèces où la supériorité d’un individu sur un autre doit être appréciée du côté de l'élément différentiel ; et cela arrive toutes les fois que la différence est positive, et ajoute au genre une perfection, comme la différence « raisonnable » dans l’homme « animal raisonnable » . L’homme qui l’emporte du côté de la raison est en fin de compte, simpliciter, plus digne que celui qui l’emporte du côté animal, par les sens, l’agilité, etc. Mais quand la différence est négative et consiste en une imperfection, cl c’est le cas de la foi, que l’on définit cognitio corum