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FOI


autrement nous nous exposerions au danger de porter au compte de Dieu les paroles d’un imposteur : par suite, au danger de faire servir la divine autorité à confirmer des erreurs, monstrueux et sacrilège abus. C’est donc faire honneur à Dieu que d’examiner soigneusement les motifs de crédibilité, par lesquels nous écartons un tel danger et un tel sacrilège. I.es auteurs du système nous diront qu’ils admettent tout cela : mais ils semblent l’oublier quand ils parlent de leur « foi simple » . Et si la considération attentive des preuves et motifs de crédibilité, comme ils l’avouent, est nécessaire avant la foi, quel mal peut-il bien y avoir à ce que cette attention se prolonge, plus ou moins confusément, pendant l’acte de foi lui-même, et le conditionne ? Ce qui est nécessaire pour la prudence de notre acte de foi et pour l’honneur de Dieu, ce qu’il exige lui-même, ne peut tout à coup lui déplaire. Ce qui rend la foi raisonnable ne peut être rejeté sans la rendre déraisonnable. « Si l’on entendait, dit le P. l’esch lui-même, qu’afin de pouvoir faire l’acte de foi. nous devons par la volonté chasser le souvenir actuel des motifs de crédibilité, ce serait une étrange idée, puisque tout ce qu’il y a de subjectivement raisonnable dans l’acte de foi s’appuie sur ces motifs. » Loc. cit., n. 348. Et il déclare ailleurs que l’opinion d’après laquelle nous devrions, dans l’acte de foi, faire abstraction des motifs de crédibilité, lui paraît fausse. Theologischen Zeilfragen, 4e série, p. 35. Et quel tour de force on exigerait de la volonté, puisque souvent ces motifs viennent d'être considérés distinctement avant la foi. et sont encore très nettement présents à la mémoire ! — Mais, dira-t-on peut-être, la volonté n’a pas à les faire oublier : seulement, en leur présence, elle fera affirmer le témoignage divin d’une nouvelle manière, sans « s’appuyer logiquement » sur eux. — Réponse. — Le fait que Dieu témoigne est de sa nature une vérité essentiellement médiate, qui a besoin d'être prouvée. Si on ne l’appuie pas logiquement sur ses preuves, au moins confusément perçues, la proposition qui énonce ce fait devient une proposition « neutre » , comme disent les scolastiques. Or, admettre par le commandement de la volonté libre une proposition neutre, c’est le système du despotisme de la volonté, déjà amplement réfuté. Voir col. 406 sq. Cf. Tepe, Inslitiiliones theologicie, Paris, 1896, t. iii, n. 682 sq., p. 379-381. — Reconnaissons toutefois que ces auteurs ont été amenés aussi à cette position difficile par des considérations étrangères à la question de la liberté, et que nous aurons à apprécier dans l’analyse de la foi. — c) En supposant même que la volonté puisse accomplir le tour de force qu’on lui demande et l’accomplir prudemment, encore faut-il qu’elle soit avertie de la nécessité de le faire : cela ne se fait pas tout seul. Il est vrai, on cherche dans l’enfant un exemple naturel et spontané de cette manière spéciale de croire. Mais l’exemple n’est guère probant, soit parce qu’on ne devrait pas aller le chercher dans des actes aussi imparfaits et aussi rudimentaires que ceux de l’enfant, soit parce qu’au moment même où l’enfant croit sa mère sur parole, il voit qu’elle lui parle, et nous ne sommes pas sûrs que cette évidence n’influe pas logiquement sur sa croyance, et que « les enfants, pour ne savoir pas arranger leurs raisonnements, soient incapables de ressentir l’impression de la vérité, » comme dit Bossuet. Voir col. 177. Nous ne pouvons pas lire dans cette âme d’enfant ; et il y a gros à parier qu’elle ne fait pas « abstraction de l'évidence » qu’elle a, opération plutôt difficile. Mais en lin admettons qu’il y ait deux espèces de foi. la foi simple et la foi scientifique ou discursive ; on reconnaît que la seconde aussi est naturelle et fréquente : « C’est elle que j’ai toutes les fois que je crois, parce que le bon sens et la saine raison me disent qu’il est absurde ou im prudent de ne pas s’en rapporter a autrui en des choses dont je n’ai pas l'évidence directe. c’est-à-dire intrinsèque. Ainsi parle M. Bainvel, loc. cit., p. 24-26. Or cette manière de croire peut se trouver non seulement chez les savants, mais encore chez les ignorants ; les simples basent sur ce principe de bon sens leur croyance aux préambules de la foi, d’après le cardinal Billot, voir col. 225 ; ne peut-il arriver qu’ils basent aussi là-dessus l’acte de foi lui-même ? Voilà donc bien des gens, savants ou ignorants, exposés à faire de la foi discursive au lieu de la foi simple, el en danger de manquer leur acte de foi divine, s’ils ne sont pas avertis. L'Église, gardienne infaillible de la foi, l'Église qui veille à l’instruction des fidèles sur les moyens essentiels du salut, devrait donc, et aurait dû depuis longtemps déclarer (si le système était vrai) qu’il y a deux manières de prendre le témoignage divin dans la foi des dogmes, l’une qui suffit devant Dieu, l’autre qui ne suffit pas ; elle aurait dû le mettre dans les catéchismes et le faire prêcher partout, vu l’importance de l’acte de foi pour la justification et le salut. Or l’Eglise n’a jamais donné une pareille instruction ; la prétendue condition essentielle, « faire abstraction de l'évidence. ne pas s’appuyer logiquement sur les motifs de crédibilité, » n’en est donc pas une. On peut faire le même raisonnement contre l’explication de Suarez et toutes les autres formes possibles de ce système.

d) Une observation du cardinal Billot demeure incontestable, c’est que, lorsqu’il s’agit de croire à la parole humaine, il y a deux procédés intellectuels différents : l’un qui honore les témoins en s’appuyant logiquement sur leur science et leur véracité habituelles, en reconnaissant chez eux ces précieuses qualités d’un témoin ; l’autre qui ne les honore pas, parce que l’esprit en allant à la croyance ne passe en aucune façon par ces qualités habituelles du bon témoin, mais s’appuie sur un tout autre principe, par exemple, dans le cas de la concordance d’une multitude de témoins indépendants. Cette différence de procédé se rencontre pratiquement dans la croyance aux hommes. Mais on n’a pas à s’en préoccuper dans la foi divine. En effet, nous n’avons pas d’autres témoins indépendants à confronter avec Dieu ; et, quand nous en aurions, nous sommes avertis par l'Église que le véritable acte de foi doit passer toujours par les qualités habituelles de Dieu comme témoin, auctoritas Dei revelanlis, qui nec jalli nec fallere potest : c’est le motif essentiel de la foi. Voir col. 107 sq., 115 sq. En dehors de ce procédé intellectuel, il n’est pas de foi théologale. Nous n’avons donc jamais à craindre que l’acte de foi divine, tel que le font les catholiques, manque d’honorer Dieu comme procédé intellectuel. Sans doute, dans l’honneur qu’on rend à Dieu, le procédé intellectuel n’esl qu’un élément : il doit être en lui-même capable d’honorer Dieu, comme la génuflexion est en elle-même un geste capable de l’honorer ; c’est l'élément seulement matériel de l’honneur à rendre : le formel vient de l’intention de la volonté. Aussi, pour que l’acte soil vraiment et complètement honorifique, il faut faire à la volonté libre sa part, et choisir parmi les systèmes celui qui paraîtra le meilleur, ou en grouper plusieurs ensemble. Mais encore faut-il (et c’est de quoi il s’agit maintenant) que le geste employé pour marquer sa vénération, ou le procédé intellectuel dans le cas d’un culte de l’intelligence, soit matériellement capable d’honorer Dieu, quoique ce soit à la volonté de donner le formel de l’honneur. Et sur ce terrain ainsi limité. L’assentiment de foi divine, parce qu’il s’appuie sur les qualités de Dieu comme témoin, lui est honorable : el le procédé discursif, le jeu dialectique des motifs de crédibilité, parce qu’il n’empêche pas l’esprit de passer par ces qualités divines, ne peut enlever à l’assentiment de foi cette capacité honorifique, ce matériel de