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motif de la foi, ce que saint Thomas dit de Dieu comme objet matériel, res divina non visa. Le cardinal Billot l’a bien remarqué : Non visa, scilicet intuitive ; nusquam vero dicit (S. Thomas) quod sit auctoritas Dci loquentis non perspecta. De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, De fuie, Proleg., § 3, p. 215. Au contraire, du côté du motif de la foi, sub conununi ratione credibilis, saint Thomas dit plutôt que les vérités de foi sont vues, visa. Sum. iheol., 11 » II » , q. i, a. 4, ad 2, lm. En somme, cette expression vague, objection ftdei, a été mal comprise par Mazzella : il l’a prise pour Yobjectum formate quo, pour le motif de la foi, tandis que saint Thomas, comme il apparaît par le contexte, la prenait pour Vobjcctum formule quod, ou objet d’attribution, lequel consiste en effet dans le mystère, c’està-dire n’est pas vu à découvert dans la foi, mais connu sous un voile, res divina non visa. Voir col. 379 sq. Néanmoins, Mazzella se persuada qu’il avait enfin découvert le système de saint Thomas : Nullum milii superest dubium quin hsec sit D. Thomæ sententia. Loc. cit., n. 821, p. 422. Hélas ! les trois autres systèmes analysés ci-dessus, et de même Suarez, en avaient dit jadis autant, avec la même bonne foi : ce qui tendrait à montrer que saint Thomas, sur quelques profondeurs difficiles de la foi, est resté volontiers dans les généralités, planant à une certaine hauteur, et ne s’est pas proposé de descendre dans un système bien précis ; qu’en tout cas il faut être bien prudent avant de mettre ses propres élucubrations sur le compte du saint docteur sine ullo dubio. Sous le manteau de saint Thomas, le nouveau système à demi-suarézien de Mazzella a cependant fait son chemin, quoique manquant un peu de base psychologique et rationnelle. Il était réservé au cardinal Billot de lui en donner une, et de présenter le système sous une forme nouvelle et plus satisfaisante, qu’il nous reste à exposer.

Le cardinal Billot part de ce principe certain, que l’assentiment de foi doit honorer l’autorité de Dieu comme témoin, auctoritatem Dei revelanlis : la foi théologale est un hommage, obsequium, rendu à Dieu par l’intelligence et la volonté. Concile du Vatican, sess. iii, c. iii, Denzinger, n. 1789, 1790. De ce point de vue, on peut diviser en général toute croyance au témoignage d’autrui en deux espèces fort différentes : celle qui honore le témoin, et celle qui ne l’honore pas. Je crois quelqu’un sur parole à cause de sa compétence reconnue et de sa véracité constante : je l’honore, en reconnaissant en lui ces qualités d’un bon témoin. Au contraire, voici un juge qui n’accorde aucune estime au malfaiteur qu’il interroge, et qui le connaît comme un menteur ; il lui arrivera pourtant de croire un aveu de ce malfaiteur, en vertu de ce principe, que même les menteurs n’ont pas coutume de mentir contre leur propre intérêt ; mais cette croyance n’a rien d’honorable pour celui qui en est l’objet. Loc. cit., § 2, p. 207, 208. Autre exemple plus fréquent de cette foi qui n’honore pas le témoin : j’admets un fait, soit l’existence d’une ville que je n’ai pas vue, à cause d’une multitude de témoignages venus de divers côtés et en divers temps, un voyageur, un journal qui en parle, etc. Quant à la compétence et à la véracité habituelle de chacun de ces témoins, je serais bien embarrassé pour m’en rendre compte aujourd’hui, et ce n’est pas nécessaire. La seule raison qui me fait admettre l’existence de cette ville, c’est la concordance, la convergence de tous ces témoins, phénomène qui ne peut avoir de raison suffisante que dans la vérité du fait, qui les a tous réunis dans la même affirmation, quelle que soit d’ailleurs la valeur habituelle de chacun d’eux comme science géographique et comme véracité. Voir col. 196, 197. Le cardinal Billot n’a garde d’omettre cet exemple : » Si nous avons, dit-il, un tel concours de témoignages concordants que toute erreur ou tromperie apparaisse impossible, nous aurons Vevidentia in attestante. » Appuyés sur celle évidence, nous pourrons être certains que les témoignages pour cette fois disent Mai. mais sans reconnaître l’autorité des témoins. Lu effet, l’autorité d’un témoin résulte de ce que ses attestations sont par une loi constante et ordinaire déterminées au vrai, à cause des perfections ou habitudes de sagesse et de véracité dont il est orné. Mais la vérité d’un témoignage peut se constater indépendamment de la probité et de la sagesse du témoin, par I diverses circonstances dont ce témoignage est entouré. » | Loc. cit., § 3, p. 214. note. Évidemment dans cette sorte de foi, comme je ne m’appuie pas sur la science et la probité habituelles des témoins, mais sur des considérations qui leur sont étrangères, je ne reconnais pas ces qualités en eux, je ne les honore pas comme témoins. L’autorité du témoin, cette « dignité qui lui donne droit chez les autres à une adhésion docile de l’esprit, ne se trouve pas en celui qui, pour une fois, évite l’erreur et dit la vérité, mais en celui-là seul qui a la science voulue au moins dans une ligne donnée, et qui a surtout l’habitude de la véracité. » Loc. cit., p. 209. La foi qui n’honore pas le témoin est amenée tantôt par des prémisses évidentes, tantôt par une intervention de la volonté, mais qui n’a rien pour lui d’honorifique : la foi qui honore le témoin relève toujours d’une intervention de la volonté, soit qu’il y ait evidentia attestantis, mais purement concomitante, soit qu’il n’y en ait pas. Loc. cit., p. 207-210. Étant supposée comme condition préalable la connaissance de l’autorité du témoin, la volonté peut commander immédiatement l’assentiment proplcr ipsam auctoritatem. Loc. cit., p. 212. C’est là une manière honorable de croire quelqu’un ; la volonté est libre de la commander, pouvant en commander une autre, ou ne pas intervenir du tout : volunlas est semper libéra applicandi vcl non applicandi intcllcelum ad hujusmodi obsequium. Loc. cit., p. 210. Un tel assentiment est donc libre et quoad exercilium et quoad specificationem. Op. cit., thés, xviii, p. 324. Dans ce système « le commandement du libre arbitre, appelé aussi pins voluntatis affeclus, est requis par la nature même de la foi, per se, requis parce que la foi est un acte de telle espèce, atteignant son objet sous tel motif et de telle façon vraiment formelle. Il n’est pas requis seulement per accidens, comme pour enlever un obstacle (le doute), ou pour suppléer à un défaut accidentel du motif (manque d'évidence parfaite). » Loc. cit.. p. 325. M. Bainvel a contribué à populariser en France, parmi ceux qui s’occupent de ces questions, cette conception de la foi et de sa liberté. Il appelle « foi scientifique » la manière de croire où l’on n’honore pas le témoin, et qui est le fruit d’un raisonnement, qui est « discursive » ; par exemple, celle de l’historien qui contrôle les témoignages les uns par les autres, et ne se rend qu'à leur concordance. La foi et l’acte de foi, part. I, c. iii, p. 22-20 ; 2e édit., p. 33-35. Il appelle « foi de simple autorité » la manière de croire où l’on honore le témoin, cette manière « plus confiante » . Elle n’est pas discursive. Sans doute, pour être raisonnable, elle suppose des motifs de crédibilité qui ont amené à ce jugement, implicite ou explicite : Ce qu’il me dit est vrai, » Mais je n’appuie pas ma foi sur ce jugement évident. Mon seul motif est l’autorité de celui qui parle : je m’y arrête sans songer plus loin, je fais abstraction de mon évidence préalable : Il l’a dit, je le crois. » Loc. cit., p. 27 ; 2e édit., p. 37. On nous donne comme exemple la foi de l’enfant qui croit ses parent 1 -, en toute certitude, sans songer à contrôler leur dire. Loc. cit., p. 211. 3U. Nous-mêmes, « il est mainte occasion où nous croyons purement et bonnement sur le