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FOI


raison sont nécessairement fort imparfaits et fort confus, tandis que le premier acte de foi d’une vie humaine peut être fait par un adulte très perspicace et très accoutumé à la réflexion, comme notre païen de tout à l’heure. Ensuite et surtout, parce que les premiers jugements directs de la raison sur les données des sens ont pour motif l’évidence intrinsèque, sans que la question de la valeur de la raison humaine se pose aucunement à l’enfant, qui ne pourrait pas même la concevoir ; ce n’est pas d’ailleurs du principe général /idendum intellcclni, qu’il doit déduire chaque certitude particulière, ni les adultes non plus ; cela supposerait un raisonnement qui détruirait toute évidence immédiate. Au contraire, la foi est une connaissance essentiellement médiate et extrinsèque, voir col. 99 sq., où le témoignage, avec sa valeur, n’arrive pas après, par manière de réflexion sur la connaissance directe, mais doit être explicitement connu avant l’acte de foi, puisqu’il en est le motif. Et comme l’enfant lui-même, pour s’en rapporter au témoignage de ses parents, doit d’abord les entendre parler et en avoir une grande idée, ainsi, pour s’en rapporter au témoignage de Dieu, il doit d’abord savoir que Dieu a parlé et attacher un sens et une grande idée au mot « Dieu » : le fîdendum Deo est donc nécessaire explicitement avant le premier acte de foi, quoique plus tard, dans les actes de foi répétés par habitude, il puisse être plus ou moins implicite et confus ; le fîdendum intelleelui, au contraire, n’est pas nécessaire explicitement avant le premier acte de la raison, ni même avant les autres ; et, comme dit l’auteur, il est « ensuite extrait » par la « réflexion » , si l’attention est éveillée par les négations du scepticisme et si l’on fait la critique de la connaissance.

/) Dire avec M. Rousselot qu’« on ne peut porter sur le Christ, l’Église, les Écritures, un jugement vraiment raisonnable qu’avec l’aide de la grâce de Dieu, » c’est déprécier singulièrement l’apologétique chrétienne et catholique et la valeur objective de ses preuves, contrairement à ce qu’en disent les documents ecclésiastiques. Rappelons-nous qu’il est possible, d’après lui, p. 258 (et l’on ne peut nier cette possibilité, voir notre critique du système de la suggestion divine, col. 255) que la grâce, opérant sur l’esprit humain, lui fasse joindre par un jugement certain deux termes dont, laissé à lui-même, il ne voit que très imparfaitement la liaison, par de faibles arguments, de maigres probabilités. Ceci posé, si nos meilleurs arguments apologétiques, nos plus forts motifs de crédibilité peuvent sans doute nous convaincre légitimement à l’aide de la grâce de Dieu, mais sans elle ne peuvent donner à personne une certitude légitime et « vraiment raisonnable » , en quoi diffèrent-ils, alors, des plus faibles arguments, que la grâce saurait tout aussi bien faire valoir ? Comment peuvent-ils mériter les éloges que leur décerne le concile du Vatican, en les appelant divinie revelationis signa cerlissima, c. iii, Denzinger, n. 1790, divinæ institutionis (Ecclesise) manifestas notas, n. 1793, tam mulla et tam mira, teslimonium irrefragabile, n. 1794 ? D’autant plus que le concile ne tire pas leur légitime valeur de la grâce comme si seule elle la leur donnait, mais au contraire, après avoir parlé de ces excellentes preuves, traite de la grâce comme d’un autre secours qui vient s’y ajouter, accedit : Cui quidem teslimonio effieax subsidium aceedit ex superna virtute, etc.

Musset fait dire à un incrédule qu’un prêtre tâche d’amener à la religion : « Quittons ce sujet-ci…, je vois que vous avez le crâne autrement fait que moi. » Si de fait le cerveau d’un incrédule était organisé à l’opposé de celui d’un croyant, si l’objet variait du tout au tout suivant la faculté du sujet, en vain présenterait-on des motifs de crédibilité, en vain même

tâcherait-on d’amener l’incroyant â de bonnes dispositions morales pour le préparer à voir. X’en serait-il pas de même s’il manquait à l’incroyant une « faculté surnaturelle » nécessaire pour être légitimement certain du fait de la révélation, et qu’il ne peut recevoir qu’après avoir reconnu ce fait ? Et s’il connaissait cette théorie, ne pourrait-il pas dire : « Commencez par me fournir dans mon incroyance même cette faculté qui me manque d’après vous, et alors nous pourrons causer utilement. » Et pense-t-on l’attirer par l’espoir de recevoir (et quand ?) une vertu infuse qu’on reconnaît ne pouvoir lui prouver ?

L’auteur, à l’appui de cette assertion que la grâce (que la vertu infuse en particulier) est absolument nécessaire pour former un jugement « vraiment raisonnable et légitimement certain » sur le fait de la révélation ou de l’Église, établit, comme nous l’avons vii, ce principe que c’est seulement par une faculté surnaturelle que l’on peut connaître un objet surnaturel, du moins comme tel. Ce principe est déjà compromis par les conséquences inadmissibles qui en découlent et que nous venons de signaler. Il doit donc être faux ou du moins trop généralisé, ou exagéré. Pour le défendre, M. Rousselot en invoque un autre plus vaste dont celui-ci n’est que l’application : < C’est une loi générale de toute connaissance, dit-il, qu’il faut une communauté de nature entre le sujet et l’objet, < p. 468. Qu’elle est vague, cette communauté de nature exigée entre le sujet et l’objet ! Y a-t-il « communauté de nature » entre le fini et l’infini, entre l’homme et Dieu ? Ils ne sont ni dans la même espèce ni dans le même genre, il n’y a qu’analogie entre eux. Et cependans nous sommes bien obligés d’admettre que l’homme a une connaissance naturelle de l’infini, de Dieu, qu’il n’a pas besoin pour cela d’être élevé par une vertu infuse. Vous répondrez qu’il y a communauté de nature en ce sens que l’homme est un esprit et que Dieu aussi est un esprit, bien qu’infiniment supérieur. Mais, dans le même sens et avec le même vague, n’y a-t-il pas communauté de nature entre l’esprit humain d’une part, et l’Église, le Christ, le miracle, la révélation, de l’autre ?

Mais le surnaturel, objectera-t-on, est au-dessus de nos forces, de notre puissance naturelle. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas le produire : cela veut-il dire que nous ne pouvons en aucun cas le eonnaître, une fois que Dieu lui-même l’a produit sous nos yeux ou qu’il nous en a, par des témoins oculaires et d’autres intermédiaires humains, fait connaître la production ? tout cela, sans doute, gratuitement de sa part, car nous ne pouvons l’exiger. Il y a cette différence entre produire et connaître, que la cause efficiente (si elle est adéquate ou principale, et non pas purement secondaire, instrumentale) doit au moins égaler l’excellence de son effet, le « précontenir » comme disent les scolastiques ; en d’autres termes, le moins ne peut produire le plus, ou nemo dat quod non habet. Au contraire, le sujet connaissant ne tire pas son objet de lui-même, il ne le contient pas, il ne le fait pas, il le suppose : c’est le principe scolastique (principe de simple bon sens) opposé au subjectivisme. L’objet, tenant sa perfection d’ailleurs, peut donc être infiniment supérieur au sujet pensant auquel il s’adapte ; et l’acte du sujet reçoit son caractère spécifique de l’excellence de l’objet en lui-même, mais combinée avec la manière imparfaite dont il est perçu, il faut tenir compte des deux éléments. N’appliquons donc pas à la connaissance un principe qui ne regarde que la cause productrice ; ne nous laissons pas tromper par la forme grammaticale, verbe actif avec régime direct : « connaître un objet ; » il semble à première vue que l’objet soit passif, que nous le produisions par notre connaissance, ou qu’il dépende de nous ; et pourtant c’est le