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FOI


la libre volonté de croire. Les théologiens en font un acte qui précède et cause l’acte de foi, sans être causé par lui, bien entendu. Selon M. Rousselot, cet élément de volonté libre est purement simultané à l’acte de foi : non seulement il n’a aucune priorité de temps, mais encore « il servirait peu d’affirmer la simultanéité temporelle, si l’on maintenait la priorité causale et exclusive de l’un des deux éléments. » Loc. cit., p. 448. « Il y a causalité réciproque entre l’hommage qu’on choisit de rendre à Dieu… pius affeclus credendi, et la perception de la vérité surnaturelle. Du même coup, l’amour suscite la faculté de connaître et la connaissance légitime l’amour, » p. 450. Nous devrons renvoyer la critique de cette partie du système à la question de la liberté de la foi, que l’auteur, en effet, touche ici, p. 444 sq.

c) Les théologiens font marcher, avant cette préparation volontaire à la foi, une préparation rationnelle que nous avons défendue tout au long contre le lidéisme : à savoir, un jugement pratique de crédibilité, éclairant et dirigeant l’acte de volonté libre dont nous venons de parler, et présupposant lui-même, comme une condition nécessaire pour s'éclairer, plusieurs jugements spéculatifs sur les préambules de la foi. Notre auteur englobe encore dans l’assentiment de foi tous ces jugements de crédibilité : « Dans les connaissances surnaturelles dont nous parlons, il ne faut point imaginer de « jugement de crédibilité » qui constitue un acte distinct. C’est un acte identique, que la perception de la crédibilité et la confession de la vérité. Que si la perception de la crédibilité ne fait qu’un avec l’acte de foi…, il est clair qu’il n’y a plus aucune difficulté à dire, avec saint Thomas, que c’est la lumière de la foi qui montre qu’il faut croire, » p. 254. (On pourrait pourtant expliquer ce mot de saint Thomas autrement, et sans aucune difficulté, voir col. 242 sq.) « Nous prétendons concentrer dans un acte unique, dit-il ailleurs, l'équivalent des jugements même « spéculatifs » de « crédibilité » , jugements qu’on représente d’ordinaire comme précédant l’acte de foi, » p. 451.

rf) Une conséquence de cette dernière « concentration » , c’est que la même grâce qui, d’après la doctrine révélée, est absolument nécessaire à l’acte de foi. est aussi, d’après M. Rousselot, absolument nécessaire pour être convaincu des préambules de la foi, au moins du fait de la révélation, du fait de l'Église et de l’obligation de croire ; absolument nécessaire pour estimer certaines les preuves de tout cela, pour avoir avec certitude les motifs de crédibilité. Et comme la grâce, absolument nécessaire à la foi, est ramenée par une autre simplification à la vertu infuse, il s’ensuit que sans ces nouveaux « yeux » on ne peut, même avec les meilleures dispositions d’esprit et de cœur, percevoir avec certitude les preuves de la religion. « De ce que les preuves historiques et extérieures de la religion peuvent être exprimées par le langage, réduites en un ensemble logiquement cohérent, et, sous cette forme, proposées à tous, l’on n’a nullement le droit de conclure qu’un homme puisse, sans l’illumination de la grâce, les percevoir synthétiquement comme preuves, leur donner un assentiment vraiment certain. Que les preuves de la religion soient individuelles ou communicables, deux conditions sont nécessairement requises à leur perception : la présentation de l’objet, la possession d’une faculté spirituelle qui le puisse saisir. Dans l’un et l’autre cas, le premier élément ne sert de rien sans l’autre… Le second élément, dans le cas des preuves de la foi, est nécessairement une lumière surnaturelle… On ne peut porter sur le Christ, l'Église, les Écritures, un jugement vraiment raisonnable, qu’avec l’aide de la grâce de Dieu. » Loc. cit., p. 466. « La raison naturelle est inhabile à

percevoir certainement les preuves de la foi, » p. 473. « .Mais, nous dira-t-on peut-être…, supposons qu’un prophète ressuscite un mort pour prouver que ses dires sont divinement garantis ; l’intelligence des spectateurs ne serait-elle pas naturellement convaincue qu’ils sont en présence d’une attestation du Dieu infaillible ? Voir Gardeil, op. cit., p. 73-96, et Crédibi I lité, col. 2275 sq. L’exemple est clair, et fort propre à mettre en lumière ce qui nous sépare des théologiens que nous nous permettons de contredire… C’est dans

le caractère surnaturel de la vérité annoncée que nous

trouvons notre motif de nier la possibilité d’un légitime assentiment. Mais rien ne manque à l’assentiment, ni l’intelligence des termes, ni la certitude de la connexion 1 II manque un sujet apte à voir, une faculté capable d’opérer la synthèse, et tout manque par là… Une voie est fermée (à l’esprit), celle de l’affirmation légitime, » p. 474. Il pourra être subjectivement convaincu du fait de la révélation, mais illégitimement, p. 467, en note. Toutes ces assertions de M. Rousselot découlent de ce principe : « L’homme ne peut voir les choses sous la raison formelle d'être surnaturel que par une faculté surnaturelle, » p. 468. Et il explique ainsi en note cette raison formelle d'être surnaturel : « On conçoit bien qu’il s’agit ici non de la connaissance réflexe de l'être surnaturel comme tel (qui est une notion technique), mais de sa connaissance spontanée… à laquelle il faut comparer, dans l’intellection naturelle, non l’idée d'être que considèrent les philosophes, mais celles dont usent tous les hommes, capables ou non de savante abstraction. » Loc. cit.

2. Critique du système.

Elle se bornera donc ici aux deux derniers points, d’ailleurs étroitement liés ensemble. Ils sont inadmissibles pour les raisons suivantes :

a) Si la perception de la crédibilité des dogmes est la même chose que l’acte de foi, comment le concile du Vatican peut-il parler de « l'évidente crédibilité de la foi chrétienne ? » c. iii, Denzinger, n. 1794. La foi, d’après tous les théologiens, d’après saint Thomas et son disciple aussi, je pense, est une connaissance essentiellement inévidente, obscure : la crédibilité, d’après les théologiens et le concile qui sanctionne leur formule, est évidente, peut être perçue avec évidence ; la connaissance de la crédibilité n’est donc pas la connaissance de foi ; une même connaissance d’un même objet, par la même lumière, ne peut être en même temps évidente et inévidente.

b) Aussi bien la vue de la crédibilité a un autre objet que la foi, et la précède d’après saint Augustin : Vides aliquid, ut credas aliquid. Quid est fides, nisi credere quod non vides ? Nullus crédit aliquid, nisi prius cogitaverit esse credendum. Voir col. 187. Et saint Thomas : Fides consista média inter duas cogitationes, quorum una voluntatem inclinât ad credendum, et hsec præccdit fidem ; Ma vero tendit ad intellectum eorum quse jam crédit. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, a. 2, q. i, ad 2 1, nl. Pie IX, encycl. Qui pluribus : Humana ratio ex splendidissimis hisce ac flrmissimis argumeniis (les motifs de crédibilité de la religion chrétienne) clare aperleque cognoscens, Deum ejusdem fidei auctorem existere, ullerius progredi nequit, sed, quavis difficullale ac dubitatione penilus abjecta atque remota omne eidem fidei obsequium præbeat oportel. Denzinger, n. 1 639. La raison ne doit pas illégitimement retarder l’acte de foi : mais il y a cependant une priorité et un intervalle entre la claire perception du fait de la révélation par ses preuves, clare aperleque cognoscens, et l’obsequium fldci, 'acte de foi, qu’elle doit exécuter à la fin.

c) Avant l’acte de foi, il faut admettre la possibilité et l’existence de jugements spéculatifs de crédibilité, doués d’une légitime certitude. Soit un païen intelli-