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grande, si elle est présentée par un Cicéron ou un Démosthène avec art et passion ; l’art de la parole excelle à proposer les motifs d’une manière persuasive. » Theologia scholaslica, Ingolstadt, 1732, t. i, tr. VII, n. 501. p. 150. Et très souvent, au barreau, à la tribune, les orateurs n’ont qu’un argument probable à faire valoir. La grâce ne pourra-t-elle pas «  fortiori ce que peut l'éloquence naturelle ; surtout, si en même temps elle détourne l’esprit des difficultés et des arguments contraires, ce qui évidemment ne dépasse pas son pouvoir ? Dira-t-on que cette habileté est malséante à l’action divine ? Non, si elle a une fin digne de Dieu, s’il s’agit par exemple de venir au secours d’un faible qui ne peut se défendre contre d’odieux sophismes, de l’amener malgré tout à la foi qui sauve, ou de lui maintenir la sécurité et le bonheur de sa foi. Cf. Mayr, loc. cit., n. 500. Un autre théologien du même temps, Ulloa, allègue pareillement en faveur du système la puissance d’un orateur humain, Theologia scholaslica, Augsbourg, 1719, t. iii, n. 107, p. 119. « Bien des gens, ajoute-t-il, s’imaginent que toute manière possible d’amener l’intelligence à l’assentiment doit se réduire aux seuls arguments, au seul tapage des raisons objectives. Il n’en est rien. Sans apporter d’arguments distincts de la vérité qui a besoin de preuve, on peut la persuader simplement, par exemple, en l’expliquant… On apportera de bonnes comparaisons (qui ne sont pas des raisons, mais) qui la feront comprendre : souvent, parce que nous commençons à comprendre ce qu’on veut nous dire, il nous arrive de l’admettre comme vrai. » Le sentiment agit aussi : « Parce qu’un événement nous est odieux ou agréable, nous en avons parfois le pressentiment. » Loc. cit., n. 109, p. 120. Pourquoi donc ne pas recon naître une semblable influence à la grâce ? Pendant que le catéchiste, le prédicateur, ou le bon livre agit au dehors, « Dieu renforce au dedans ces moyens extérieurs, en imprimant dans l'âme une vive lumière, ou une tendre dévotion, ou les deux à la fois, ou une haute estime, même sans douceur spéciale, ou une grande horreur de toute contradiction. » Loc. cit.

Critique du système. — a) La possibilité d’une telle grâce ne paraît pas niable. Si un grand orateur — non pas peut-être quand il s’adresse à des esprits critiques et défiants, habitués à disséquer l'éloquence et qui ne sont pas pour elle de « bons sujets » à expérimentation — mais quand il agit sur les foules, a la puissance de les persuader malgré l’imperfection de ses preuves, et d’ajouter du poids à ses raisons par des forces prises en dehors de la sphère de la raison, par la vibration d’une voix sympathique et l'énergie du geste, par la fascination du regard, par la force d’affirmation qui, éveillant l’instinct d’imitation, devient contagieuse, en un mot par un véritable phénomène de « suggestion » , Dieu ne doit-il pas avoir dans les trésors de sa toutepuissance, sous une forme très supérieure, des moyens analogues d’influencer l'âme et de la persuader ? On ne peut nier par ailleurs la convenance de leur emploi. Il est vrai qu’on a attaqué l'éloquence elle-même en disant qu’il serait plus digne, plus sincère d’exposer sèchement ses raisons : mais tant que les hommes, et surtout les simples, seront des êtres de passion et non pas de purs cerveaux, c’est faire tort à la vérité que de ne pas se servir, pour la défendre, de sensations et de sentiments bons en eux-mêmes, de n’opposer aucun entraînement instinctif, aucune impulsion du cœur, aux entraînements multiples qui, si souvent, favorisent le faux, et de ne pas savoir les combattre sur leur propre terrain. Ne soyons pas trop fiers, d’ailleurs, de la dignité de notre raison, si singulièrement liée à la matière : « Parmi les substances intellectuelles, dit saint Thomas, les âmes humaines sont les plus infimes. - Sum. theol., I a, q. lxxxix, a. 1. Et comme

acte intellectuel de l’homme, l’acte de foi, quoique surnaturel, reste imparfait ; aussi la foi cessera-t-elle au ciel pour faire place à la claire vue. Pourquoi donc s'étonner de trouver, dans le vestibule de la foi, une préparation rationnelle qui se ressente de l’imperfection de notrelntelligencc ? Enfin, parmi tous les actes de foi, ceux dont la préparation rationnelle est nécessairement la plus médiocre se rencontrent chez les simples, chez les enfants ; faut-il se scandaliser si Dieu adapte son action bienfaisante à la faiblesse de leur esprit, et les traite dans l’ordre surnaturel comme ceux qui les instruisent, qui les élèvent, qui les intéressent, qui les émeuvent, les traitent dans l’ordre naturel ? Voir Croyance, t. iii, col. 2376.

b) Quant à l’existence et à Y universalité d’une telle grâce, on ne doit pas la supposer dans tous les chrétiens et dans tous leurs ac-tes de foi, en sorte qu’il y ait toujours insuffisance des motifs rationnels à produire un assentiment ferme, et toujours suppléance surnaturelle au moyen de cette suggestion divine. — Ce serait faire tort à la valeur de l’apologétique chrétienne et catholique, chez ceux à qui elle est familière ; personne alors ne pourrait plus rendre raison de | notre foi. Ce serait contredire le concile du Vatican, qui nous parle de « signes très certains de la révéla, tion, » de « notes manifestes de l’institution divine de l'Église, » c. ni, Denzinger, n. 1790, 1793 : il faut donc i bien que ces signes soient manifestes au moins pour j quelques-uns, et suffisent à les faire adhérer fermei ment au fait de la révélation, du moins en supposant chez eux des bonnes dispositions morales qui peuvent demander, elles aussi, la grâce, mais une autre espèce de grâce qui aide la volonté. Même chez les enfants et les simples, souvent les causes naturelles, comme nous l’avons dit à propos du système de Pérez, voir col. 248, suffisent amplement à expliquer la fermeté de leur assentiment aux préambules de la foi, et alors pourquoi demander inutilement cette suppléance surnaturelle ? Ils croient fermement au fait de la révélation, comme ils croient fermement aux autres faits historiques qu’on leur enseigne ; et qu’on ne dise pas que les faits miraculeux ou les mystères sont pour eux plus difficiles à admettre : l’enfance va d’instinct au merveilleux, et admet aisément, sur le témoignage de ses éducateurs, même l’invraisemblable. Réservons donc cette suggestion divine, comme une explication plausible, aux cas difficiles et critiques où elle est en quelque sorte nécessaire, ou du moins utile. — Quelques-uns des défenseurs de cette « illustration suasive » , trop soucieux d’agrandir son rôle, l’identifient avec la grâce prévenante sans laquelle nul ne peut faire l’acte de foi salutaire, d’après les Pères et le concile de Trente. Sess. VI, can. 3, Denzinger, n. 813. Ainsi fait Ulloa, loc. cit., n. 86, p. 111 ; n. 87, p. 112 ; cf. p. 114, 117, 118. Si cette identification était juste, le rôle de cette suggestion divine serait universel comme celui de la grâce prévenante. Mais ils ont tort : cette suggestion de la grâce, qui vient renforcer des motifs insuffisants au heu de laisser les causes secondes suivre leur cours ordinaire, appartient par là même à ce que les théologiens appellent le surnaturel quoad modum ; l’assentiment ferme qu’avec son appui donnera l’esprit au fait de la révélation, ne différera pas en lui-même, quoad substanliam, d’une croyance ferme quelconque, il aura seulement été produit, en partie, d’une manière extraordinaire et en quelque sorte miraculeuse. Au contraire, la grâce prévenante demandé.par les conciles avant tout acte de foi salutaire implique un acte essentiellement différent des actes naturels, appartenant à l’ordre des vertus infuses, de la grâce sanctifiante, de la déification ; c’est une autre espèce de surnaturel, le surnaturel quoad subslantiam, le surnaturel déiforme. Il n’y a donc pas d’identification pos-