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contingente, est pour moi un objet d’opinion, et j’ai la crainte du contraire, caractéristique de l’opinion d’après saint Thomas et tout le monde ? Et ne venonsnous pas de montrer que la nécessité et la contingence des vérités ne sont pas la mesure exacte des degrés de notre certitude ? Voir ce que nous avons dit contre Soto, col. 96.

10° Peut-on exiger, avant de croire, d’avoir l'évidence parfaite des préambules, par exemple, du fait de la révélation ? — Non ; c’est assez de l'évidence imparfaite ou « morale » dont nous venons de parler. Nous le prouverons : 1. par l'Évangile ; 2. par les documents ecclésiastiques ; 3. par le raisonnement théologique.

1. L'Évangile. — Jésus fait entendre à l’adresse des Juifs ces paroles de blâme : « Si vous n’avez pas vu des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. » Joa., iv, 48. Que veut-il précisément leur reprocher ? Est-ce de demander quelque motif de crédibilité avant de croire à sa mission, de demander en particulier le miracle ? Il ne pourrait les en blâmer, puisque lui-même leur recommande de croire à cause de ses œuvres extraordinaires, voir col. 69 ; puisqu’il dit à leur sujet : « Si je n’avais pas fait au milieu d’eux des œuvres que nul autre n’a r aites, ils seraient sans péché, « donc sans reproche. Joa., xv, 24. Dans leur désir du miracle, on ne peut concevoir qu’une chose qui attire des reproches : c’est qu’ils exigent trop en ce genre avant de croire : ce qu’exprime d’ailleurs la phrase du Sauveur par cette accumulation emphatique : « des signes et des prodiges, » et aussi par le mot « voir » : ils veulent voir tout cela de leurs yeux, tandis qu’un miracle, attesté par des témoins dignes de foi, devrait leur suffire. C’est dire, équivalemment, qu’il ne faut pas exiger, avant la foi, une évidence de preuves qui saute aux yeux et force à croire ; qu’il faut savoir se contenter de moins, par conséquent d’une évidence imparfaite, d’une certitude morale.

Même excès d’exigence chez l’apôtre Thomas : « Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, etc., je ne croirai point. » Joa., xx, 25. Il aurait dû se contenter de la grave attestation de témoins nombreux et qu’il savait dignes de foi, sans exiger pour lui-même une apparition du Christ ressuscité, avant de croire ce grand mystère. Jésus le lui fait sentir en louant devant lui « ceux qui n’ont pas vu et qui croient. » Le P. Félix montre très bien la déraison de pareilles prétentions, renouvelées par quelques incrédules de son temps : « Que de faits dans l’histoire, admis par vous comme certains, et que vous n’avez pas vus, et que vous ne pourrez jamais voir ! … Vous voulez voir le miracle, le voir de vos yeux et le toucher de votre main ? Mais apparemment tous les autres simples mortels comme vous ont le même droit que vous. Il faudra donc que chacun, pour croire, soit admis au moins une fois dans sa vie à la faveur de voir et de toucher lui-même le fait miraculeux. Que dis-je, une fois ? ce ne sera pas assez… Êtes-vous bien sûr que le miracle qui a convaincu le jeune homme de vingt ans suffira encore pour convaincre le vieillard de soixante ans ? Il faudra donc que, pour raffermir votre conviction, Dieu fasse de nouveau pour vous seul un miracle, puis un autre, puis un autre encore… Est-ce que vous ne voyez pas qu’avec cette exigence, en apparence si simple, vous aboutirez à multiplier le miracle à l’infini, à substituer l’exception à la règle, et, comme conséquence dernière, à jeter dans la création cette perturbation que vous objectiez tout à l’heure comme la conséquence du fait miraculeux ? » Conférences de Notre-Dame, 1864, ive conférence, p. 216.

2. Indications fournies par les documents ecclésiastiques.

Détail assez remarquable : quand ils mentionnent en passant le degré de lumière ou de convic I tion avec lequel les préambules de la foi doivent être connus par la raison naturelle, ils parlent toujours de " certitude » , mais jamais d' « évidence » , ce dernier terme étant réservé dans l’usage théologique à l'évidence stricte ou nécessitante. Pour le préambule de l’existence de Dieu et de ses attributs, le concile du Vatican dit : cerlo cognosci posse. Pour les miracles, preuves du fait de la révélation, il anathématisc celui qui dirait qu’ils ne peuvent jamais cerlo cognosci. Et Léon XIII, encyclique JElerni Palris, les appelle cerla argumenta. Pour le fait de la révélation, Pie IX, encyclique Qui pluribus, dit que la raison humaine doit s’en enquérir, ut cerlo sibi constet Deum esse loculum. Les arguments en faveur de ce fait sont appelés mira, splendida, etc., mais jamais evidenlia : ce terme est toujours évité. Le concile du Vatican parle de V evidenlia credibililatis, mais cette alliance de mots a un sens particulier qui sera expliqué tout à l’heure. Le mot demonstrare est quelquefois employé, mais ne dit pas nécessairement un argument absolument irrésistible. Pour les textes, voir plus haut, col. 189 sq.

Le concile de Cologne, en 1860, a formulé explicitement la doctrine que nous défendons : « On donnerait trop à la raison, dit-il, si, quand il s’agit de prouver le fait de la révélation, on exigeait des arguments qui non seulement excluraient tout doute prudent, mais encore par leur évidence enlèveraient à l’homme toute possibilité de concevoir un doute quelconque, même imprudent. » Part. I, c. vi, dans Colleclio lacensis, t. v, col. 279.

3. Raisonnement Ihéologique.

Puisque la foi est nécessaire au salut, qu’elle est le fondement de toute la vie chrétienne, voir col. 84, et que « le juste vit de la foi, » elle doit être possible à l’infidèle en train de se convertir, facile au chrétien pour qu’il en fasse, s’il le veut, des actes fréquents ; d’où il suit que nul théologien, nul philosophe, n’a le droit, sans une preuve convaincante, de surcharger l’acte de foi de conditions restrictives qui le rendraient beaucoup plus difficile et même impossible à un grand nombre, même de ceux qui sont le mieux doués pour l’intelligence et l’instruction apologétique, et que nous considérons en ce moment. Or, si vous exigez, comme condition de l’acte de foi, que le fait de la révélation soit prouvé avec une évidence parfaite et nécessitante, vous le rendez bien plus difficile et plus rare ; vous le rendez même impossible, peut-être à tout le monde (car, d’après plusieurs théologiens, pareille évidence de ce fait est impossible en cette vie, c’est une question sur laquelle nous reviendrons), en tout cas au plus grand nombre. Pour avoir le droit de poser une condition aussi restrictive de la foi, quelle preuve convaincante apportez-vous ? Que, sans l'évidence nécessitante, il n’est pas d’adhésion ferme, ni de certitude digne de ce nom ? Mais nous avons prouvé le contraire, à propos des diverses espèces de certitude. Voir col. 207. Que les influences affectives et volontaires qui caractérisent la certitude morale, avec leur caractère subjectif, ne peuvent que jeter dans l’erreur ? Mais dans un cas comme le nôtre elles sont « légitimes ouvrières de vérité. » Voir Crédibilité, t. iii, col. 2220-2222. Qu'à l’importance suprême de la question religieuse doit répondre l'évidence suprême des arguments ? Mais nous avons prouvé le contraire avec Newman et Gladstone. Voir Croyance, t. iii, col. 2394, 2395. Que la preuve des préambules étant l’unique fondement de l’acte de foi, cet acte, qui doit être de la plus haute certitude, exige que ce fondement ait la plus haute perfection intellectuelle ? Mais nous montrerons que la preuve des préambules n’est pas l’unique ni le principal fondement de la certitude singulière de l’acte de foi. Voir plus loin ce qui sera dit de la certitude et de l’analyse de la foi. D’ailleurs, pour certain qu’il soit,